mardi 31 mai 2011

des barrières, le troupeau, se rêver différent, risquer une sortie, ils le guettent dans l'ombre

lundi 30 mai 2011

séchoirs croulant sous le lierre,

immensités des champs de maïs,
 on ne détruisait pas, même plus le temps, au fond les silos, impasse

vendredi 27 mai 2011

profil perdu

une nudité soudaine,
elle s'effarouche,
sa mélancolie offerte

jeudi 26 mai 2011

Vous voulez un bonbon ?... un petit ours en gomme entre son pouce et son index C'est mon anniversaire ! Et vous savez quoi... ?  Pour mes douze ans, mes parents m'ont acheté un appareil photo  une pause, elle jubile rose ! Comme ça, c'est sûr, mon grand frère va pas me le prendre.

mercredi 25 mai 2011

répondre au courrier

le facteur n'est pas passé, il ne passera jamais,
il est midi sonné, la soupe est commencé, fermez les petits yeux...

mardi 24 mai 2011

vieillir (3)

  on y entre, puis une lourdeur, la gangue des jours, vieillir dans la carrière

lundi 23 mai 2011

C'est à boire, à boire, à boire,
c'est à boire qu'il nous faut...

samedi 21 mai 2011

terre

labourée, retournée, ensemencée,
et puis, des promesses, une attente

vendredi 20 mai 2011

Elle ne décolère pas Tu te rends compte ? Cinq semaines en Indonésie... je lui ai juste demandé de me rapporter un sac en soie pour l'intérieur du sac de couchage, c'est pour rien là- bas ... et elle a pas été fichue de le faire, tu parles d'une amie... de toutes les manifs, globalisation, délocalisations...

jeudi 19 mai 2011

chantier (1)

Le premier sur le chantier, un moment tranquille, seul, journal, douceur du jour qui commence,
mais déjà  les ouvriers, poignée de mains, bientôt le bruit, la poussière, les casques, les grues, les bétonneuses, les Manitou, toute une fourmilière à organiser

mercredi 18 mai 2011

La mère (1) un poème extrait de Haut Mal de Michel Leiris


une violence, la vôtre, les derniers mots une glu dans laquelle vous continuez à être prise, vous étiez si jeune alors...


LA MERE    Haut Mal (1943) Michel Leiris


La mère en deuil, c'est la mort qui attend au bord du fossé où se reflètent les nuages troubles,—c'est les obsèques du père un matin d'hiver (les panaches noirs frissonnent, un vent mauvais s'abat, épaissit les doigts des porteurs, couleur de gros vin rouge).


La mère en noir, mauve, violet—voleuse des nuits— c'est la sorcière dont l'industrie cachée vous met monde, celle qui vous berce, vous choie, vous met en bière, quand elle n'abandonne pas—ultime joujou— à vos mains qui le posent gentiment au cercueil, son corps recroquevillé.


La mère—en noir, en bleu, en vert, en rouge— c'est l'immortelle jaunie, le bouquet poussiéreux de mariée. Vierge claire, elle a pourtant gémi quand l'homme—charpentier de douleur—lui a mis aux entrailles la cheville, la pierre d'angle, la clef de voûte, afin qu'en un recoin du sanglant édifice prospère et nidifie l'humain malheur...


La mère—bête en folie—c'est le volcan tumultueux qui vous crache. (Mais le cratère—jetant sa pourpre de cendres, son paquet de laves brûlantes— lui, n'a jamais souri...)


La mère—statue aveugle, fatalité dressée au centre du sanctuaire inviolé—c'est la nature qui vous caresse, le vent qui vous encense, le monde qui tout ensemble vous pénètre, vous monte au ciel (enlevé sur les multiples spires) et vous pourrit.


I.a mère, c'est la chienne et l'ogresse, la goule qui hante les songes, le spectre réveillé soudain qui s'interpose entre l'âme (riches pilastres, altière ruine) et toute joie, tout pur amour.


La mère — qu'elle soit jeune ou vieille, belle ou laide, miséricordieuse ou têtue—c'est la caricature, le monstre femme jaloux, le Prototype déchu,— si tant est que l'Idée (pythie flétrie juchée sur le trépied de son austère majuscule) n'est que la parodie des vives, légères, chatoyantes pensées...


La mère—sa hanche : ronde ou sèche, son sein : tremblant ou dur—c'est le déclin promis, dès l'origine, à toute femme, l'émiettement progressif de la roche étincelante sous le flot des menstrues, ensevelissement lent—sous le sable du désert âgé —de la caravane luxuriante et chargée de beauté.


La mère—ange de la mort qui épie, de l'univers qui enlace, de l'amour que la vague du temps rejette— c'est la coquille au graphique insensé (signe d'un sûr venin) à lancer dans les vasques profondes, génératrices de cercles pour les eaux oubliées.
         
La mère—flaque sombre éternellement en deuil de tout et de nous-mêmes—c'est la pestilence vaporeuse qui s'irise et qui crève, enflant bulle par bulle sa grande ombre bestiale (honte de chair et de lait), voile roide qu'une foudre encore à naître devrait déchirer.


Viendra-t-il jamais à l'esprit d'une de ces innocentes salopes de se traîner pieds nus dans les siècles pour pardon de ce crime : nous avoir enfantés?

mardi 17 mai 2011

la maison était solide, construite pour durer, elle abriterait " [des] descendants aussi nombreux que les étoiles dans le ciel ou les grains de sable au bord de la mer" on croyait à l'immuable 

lundi 16 mai 2011

matin
il va faire soif

samedi 14 mai 2011

l'heure des mamans

toujours se dépêcher
ils se pressent au portail
ne pas les faire attendre

vendredi 13 mai 2011

 
ronger son frein, se poster à la fenêtre, puis une blouse verte, poignée de mains "Installez-vous"

jeudi 12 mai 2011

Hasparren
un panneau indicateur pour la route,
et le trou

mercredi 11 mai 2011

château et dépendances (3)

    l'étable était
 ouverte
un monde comme fossilisé

mardi 10 mai 2011

château et dépendances (2)

la vaisselle est finie,
la louche au clou,
le fer à cheval à sa place,
une messe est dite

lundi 9 mai 2011

elles ont ôté leur voile
le printemps a fleuri

dimanche 8 mai 2011

ils y vont,
un troupeau,
à côté, seul dans l'ombre,
résister

samedi 7 mai 2011

la marque verte ? 
 celles qui sont à traire...
ah ! ça... des marqueurs, ils nous ont bien renduservice,
avant, on mettait des bouts de ficelle, à la corne droite, à la corne gauche...on inventait, faut dire qu'on avait moins de brebis... une marque ça peut aussi vouloir dire que c'est une agnelle, que le bélier est passé, qu'on peut lui mettre un autre agneau à téter... est-ce que je sais moi...

vendredi 6 mai 2011

garde-manger

ça se balade, ah ! ça... si ça pouvait rester un peu plus au poulailler,
et ça pond de tous les côtés, c'est la saison qui veut ça,
dans les mangeoires, les corbeilles, les seaux, entre les ballots de foin, sous les escaliers...
là, sur le baril et près de la porte de la souillarde, je les ramasse pas tous les jours... je vais me servir quand j'en ai besoin, par exemple pour une omelette vite fait, c'est pratique.

Association... pas ma nouvelle préférée d'Annie Saumont, trop habile...  mais toujours regard acide et rythme nerveux pour ce bref monologue intérieur..

La femme du tueur  
Annie Saumont, C'est rien ça va passer, Julliard, 2001

     Sous prétexte que je suis douce et fine, un être délicat, il ne veut pas m'apprendre. Enseigner c'est donner. Il est égoïste et mesquin.
    Quand je l'ai épousé ma mère m'avait prévenue, Un plouc qui se prépare à tout diriger, à jouer au grand chef.  En ce temps-là ma mère me tapait sur les nerfs. Ce qu'on projetait lui et moi elle ne cessait d'y trouver à redire. La complicité entre nous deux oh j'y croyais. Pour le meilleur et pour le pire. Nous serions unis à jamais dans toutes nos entreprises.
      Certes il accepte mon aide, même il la demande pour les questions de choix, de sélection, c'est un tueur qui ne tue pas au hasard. Je tiens les livres, je remplis les colonnes. Ça coule de source je suis douée pour les comptes. J'aimerais mieux voir le sang couler.
     Si j'insiste il argumente, Les femmes se croient très fortes et au dernier moment elles craquent, elles s'évanouissent. Je proteste. Violemment. Il se fâche il crie, Va te faire pendre ailleurs. Je réponds que lui n'a rien à craindre, il ne vaut pas la corde pour le pendre. Avec dans ma rancœur un manque évident de logique j'ajoute, Vrai gibier de potence.
      Rien ne change. Je reste l'humble assistante. Il refuse de me révéler l'endroit précis où enfoncer le couteau. Il me cantonne dans le tri, le marquage. Des œufs garantis coque. Il ne veut pas m'apprendre à tuer les poulets.

jeudi 5 mai 2011

"Mon chien, c'est quelqu'un"

- Allez, s'il te plaît, au lieu de me tourner autour,
 gratte-moi tout partout, le ventre, le dos...
Bon, bé... puisque c'est comme ça, que tu m'écoutes pas,
 je te fais la gueule.

Mon chien, c'est quelqu'un  Raymond Devos

Depuis quelque temps, mon chien m'inquiète...Il se prend pour un être humain et je n'arrive pas à l'en dissuader. Ce n'est pas tellement que je prenne mon chien pour plus bête qu'il n'est... Mais qu'il se prenne pour quelqu'un, c'est un peu abusif ! Est-ce que je me prends pour un chien,moi?
        Quoique, quoique...
       Dernièrement, il s'est passé une chose troublante qui m'a mis la puce à l'oreille ! Je me promenais avec mon chien que je tenais en laisse...Je rencontre une dame avec sa petite fille et j'entends la dame qui dit à sa petite fille : 
       "Va ! va caresser le chien !" 
        Et la petite fille est venue me caresser la main ! J'avais beau lui faire signe qu'il y avait erreur sur la personne, que le chien, c'était l'autre...la petite fille a continué à me caresser gentiment la main...Et la dame a dit : 
        "Tu vois qu'il n'est pas méchant !" 
         Et mon chien qui ne perd jamais une occasion de se taire...a cru bon d'ajouter : 
         "Il ne lui manque que la parole, Madame !" 
          Ça vous étonne, hein ? 
          Eh bien moi, ce qui m'a le plus étonné, ce n'est pas que ces dames m'aient pris pour un chien...Tout le monde peut se tromper ! ... Mais qu'elles n'aient pas été autrement surprises d'entendre mon chien parler...! Alors là... Les gens ne s'étonnent plus de rien.
         Moi, la première fois que j'ai entendu mon chien parler, j'aime mieux vous dire que j'ai été surpris ! C'était un soir, après dîner. J'étais allongé sur le tapis, je somnolais...Je n'étais pas de très bon poil ! Mon chien était dans mon fauteuil, il regardait la télévision...Il n'était pas dans son assiette non plus ! Je le sentais ! J'ai un flair terrible... A force de vivre avec mon chien, le chien...je le sens ! Et subitement, mon chien me dit :       "On pourrait peut-être de temps en temps changer de chaîne ?" 
        Moi je n'ai pas réalisé tout de suite ! Je lui ai dit : 
        - C'est la première fois que tu me parles sur ce ton ! 
       Il me dit : 
       - Oui ! Jusqu'à présent, je n'ai rien dit, mais je n'en pense pas moins ! 
       Je lui dis : 
       - Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? 
       Il me dit : 
      - Ta soupe n'est pas bonne ! 
       Je lui dis : 
      - Ta pâtée non plus ! 
      Et subitement, j'ai réalisé que je parlais à un chien...J'ai dit : 
      - Tiens ! Tu n'es qu'une bête, je ne veux pas discuter avec toi ! 
      Enfin quoi ! Un chien qui parle ! Est-ce que j'aboie moi ?
      Quoique...Quoique...
       Dernièrement, mon chien était sorti sans me prévenir...Il était allé aux Puces, et moi j'étais resté pour garder la maison. Soudain, j'entends sonner. Je ne sais pas ce qui m'a pris, au lieu d'aller ouvrir, je me suis mis à aboyer ! Mais à aboyer ! Le drame, c'est que mon chien, qui avait sonné et qui m'attendait derrière la porte a tout entendu ! Alors depuis, je n'en suis plus le maître ! Avant, quand je lui lançais une pierre, il la rapportait ! Maintenant, non seulement il ne la rapporte plus, mais c'est lui qui la lance !Et si je ne la rapporte pas dans les délais, qu'est ce que j'entends ! Je suis devenu sa bête noire, quoi !
       Ah mon chien, c'est quelqu'un ! C'est dommage qu'il ne soit pas là, il vous aurait raconté tout cela mieux que moi... Parce que cette histoire, lorsque c'est moi qui la raconte, personne n'y croit ! Alors que, lorsque c'est mon chien, les gens sont tout ouïe...
         Les gens croient n'importe qui !

mercredi 4 mai 2011

miroir aux alouettes


 
on décrocherait le pompon, et, tournez manège, d'autres cieux

mardi 3 mai 2011

lundi 2 mai 2011

matin clair

Panurge, un familier. Avoir toujours entendu parler de lui et de ses moutons, une histoire souvent reprise en famille. Rabelais, ce serait plus tard, plus tard aussi la surprise de découvrir que les moutons se noyaient en mer et non dans une rivière.

moutons, et introduction aux moutons


Gloire à Rabelais, devenu expression populaire avec les moutons de Panurge : qui pourtant jamais ne furent siens.
Un texte farce, un texte cruel : noyade et pas que d’un seul, on achève les survivants.
Alors grand plaisir même pour moi à le reprendre, sa construction, ses registres, ses jeux dialogiques – chez Rabelais, les fous et les naïfs sont souvent le lieu de la performance textuelle, bien avant les protagonistes officiels que sont Panurge, Pantagruel et les autres.
Alors hommage à Dindenault, marchand – et cette page pour que vous puissiez écouter avec sous-titrage. Je ne crois pas avoir jamais lu ce chapitre en public, l’enregistrement ici fait à voix nue en 2007 (autres textes du Quart Livre à voix haute ici).
     Claude Ponti avait illustré ce texte en 1994, pour Comment Pantagruel monta sur mer (2500 exemplaires vendus, le reste pilonné six mois plus tard, Hatier allait mal – vendus juste ensuite, ça ne leur a pas porté bonheur). (...)

Comment Panurge feist en mer noyer le marchant & ses moutons.

Chapitre VIII.
Soubdain, ie ne sçay comment, le cas feut subit, ie ne eu loisir le consyderer. Panurge sans autre chose dire iette en pleine mer son mouton criant & bellant. Tous les aultres moutons crians & bellans en pareille intonation commencèrent soy iecter & saulter en mer après à la file. La foulle estoit à qui premier saulteroit après leur compaignon. Possible n’estoit les en guarder. Comme vous sçavez estre du mouton le naturel, tous iours suyvre le premier, quelque part qu’il aille. Aussi le dict Aristoteles lib. 9. de histo. animal. estre les plus sot & inepte animant du monde. Le marchant tout effrayé de ce que davant ses yeulx perir voyoit & noyer ses moutons, s’efforçoit les empecher & retenir tout de son povoir. Mais c’esttoit en vain. Tous à la file saultoient dedans la mer, & perissoient. Finablement il en print un grand & fort par la toison sus le tillac de la nauf, cuydant ainsi le retenir, & saulver le reste aussi consequemment. Le mouton feut si puissant qu’il emporta en mer avecques soy le marchant, & feut noyé, en pareille forme que les moutons de Polyphemus le bogne Cyclope emportèrent hors la caverne Ulyxes & ses compaignons. Autant en feirent les aultres bergiers & moutonniers les prenens uns par les cornes, aultres par les iambes, aultres par la toison. Lesquelz tous feurent pareillement en mer portez & noyez miserablement.
Panurge à cousté du fougon tenent un aviron en main, non pour ayder aux moutonniers, mais pour les enguarder de grimper sus la nauf, & evader le naufraige, les preschoit eloquentement, comme si feust un petit frère Olivier Maillard, ou un second frère Ian bourgeoys, leurs remonstrant par lieux de Rhetoricque les misères de ce monde, le bien & l’heur de l’aultre vie, affermant les plus heureux estre les trespassez, que les vivans en ceste vallée de misère, & à un chascun d’eulx promettant eriger un beau cenotaphe, & sepulchre honoraire au plus hault du mont Cenis, à son retour de Lanternoys : leurs optant ce néant moins, en cas que vivre encores entre les humains ne leurs faschat, & noyer ainsi ne leur vint à propous, bonne adventure, & rencontre de quelque Baleine, laquelle au tiers iour subsequent les rendist sains & saulves en quelque pays de satin, à l’exemple de Ionas.
La nauf vuidée du marchant & des moutons, Reste il icy (dist Panurge) ulle ame moutonnière. Où sont ceulx de Thibault l’aignelet ? Et ceulx de Regnauld belin, qui dorment quand les aultres paissent ? Ie n’y sçay rien. C’est un tour de vieille guerre. Que t’en semble frère Ian ?
Tout bien de vous (respondit frère Ian Ie n’ay rien trouvé maulvais si non qu’il me semble que ainsi comme iadis on souloyt en guerre au iour de batauille, ou assault, promettre aux soubdars double paye pour celleuy iour : s’ilz guaignoient la bataille, l’on avoit prou de quoy payer : s’ilz la perdoient, c’eust esté honte la demander, comme feirent les fuyars Gruyers après la bataille de Serizolles : aussi qu’en fin vous doibviez le payement reserver. L’argent vous demourast en bourse.
 C’est (dist Panurge) bien chié pour l’argent. Vertus Dieu i’ay eu du passetemps pour plus de cinquante mille francs. Retirons nous, le vent est propice. Frère Ian, escoutte icy. Iamais homme ne me feist plaisir sans recompense, ou recongnoissance pour le moins. Ie ne suys point ingrat, & ne le feux, ne seray. Iamais homme ne me feist desplaisir sans repentence, ou en ce monde ou en l’aultre. Ie ne suys poinct fat iusques là.
Tu (dist frère Ian) te damne comme un vieil diable. Il est escript, Mihi vindictam, & caetera. Matière de breviaire.
  Le Quart livre : extrait « Les moutons de Panurge » François Rabelais (version adaptée, Lelivrescolaire, 5ème).
      Les moutons de Panurge

Bien des années ont passé. Dans le deuxième tome ont été racontées les aventures du fils de Gargantua, Pantagruel. Ce dernier s’est notamment lié d’amitié avec un certain Panurge. Dans le troisième tome, le Tiers Livre, Panurge envisage de se marier et consulte de nombreuses personnes pour savoir si cela le rendra vraiment heureux. Il décide finalement d’aller consulter l’Oracle de la Dive Bouteille, accompagné de Pantagruel et du moine frère Jean. Cette quête les mène dans de nombreuses contrées, leur fait vivre de nombreuses aventures et leur périple se poursuit dans le Quart Livre. En mer, Panurge rencontre un marchand de moutons, Dindenault, qui prend le même bateau que lui pour le pays des Lanternes. Il veut lui acheter un mouton. Dindenault est très sot et exaspère Panurge par ses longs boniments et ses injures. Le marché est finalement conclu et Panurge, après avoir payé très cher, choisit le plus beau du troupeau.
   Soudain, je ne sais comment cela se produisit, je n’eus pas le loisir de le considérer, Panurge, sans dire autre chose, jette en pleine mer son mouton criant et bêlant. Tous les autres moutons criant et bêlant sur le même ton commencèrent à se jeter et à sauter dans la mer tous à la file. Le premier à sauter derrière son compagnon était dans la foule. Il n’était pas possible de les en empêcher. Vous savez en effet que c’est le naturel du mouton, de toujours suivre le premier, où qu’il aille. De plus Aristote dit au livre IX de l’Histoire des Animaux que c’est le plus sot et le plus inepte animal du monde. Le marchand, tout effrayé de voir devant ses yeux périr et se noyer ses moutons, s’efforçait de les en empêcher et de les retenir de toutes ses forces. Mais c’était en vain. Ils sautaient tous à la suite dans la mer, et y périssaient. Finalement il en prit un grand et fort par la toison sur le pont du bateau, s’imaginant ainsi le retenir, et sauver le reste en conséquence. Le mouton fut si puissant qu’il emporta en mer avec lui le marchand, qui fut noyé, de même que les moutons de Polyphème, le cyclope borgne, avaient jadis emporté hors de la caverne Ulysse et ses compagnons. Les autres bergers et marchands de moutons qui les tenaient les uns par les cornes, les autres par les pattes, les derniers par la toison connurent le même sort !
 Panurge, à côté de la cuisine tenait un aviron en main, non pour aider les marchands de moutons, mais pour les empêcher de grimper sur le bateau, et d’échapper ainsi au naufrage, et il leur faisait un sermon très éloquent. […]
Une fois le bateau vidé du marchand et des moutons, Panurge demanda :
« Reste-t-il ici une seule âme moutonnière ? Où sont ceux de Thibault l’Agnelet ?
[...] Que t’en semble, frère Jean ?
— Tout est bien pour vous, mais vous auriez dû garder le paiement. L’argent serait
resté dans votre bourse.
— J’en ai eu pour mon argent, répondit Panurge. »