dimanche 30 décembre 2012

On en était enfin à ce « milieu d'après-midi » où Susan lui avait dit de venir...


Cauchemar en gris

Fantômes et farfouilles, Fredric BROWN, traduit par Jean Sendy éditions Denoël, 1963.

 Il se réveilla avec une merveilleuse sensation de bien-être savourant l'éclat et la douce chaleur du soleil, dans l'air printanier. Il s'était assoupi sans bouger sur le banc du jardin public ; son somme n'avait pas duré une demi-heure.
    Le jardin resplendissait du vert du printemps ; c'était une journée magnifique et il était jeune amoureux. Merveilleusement amoureux, amoureux à en avoir le vertige. Et heureux en amour : la veille il s'était déclaré à Susan dans la soirée et elle avait dit oui. Pour être précis, elle ne lui avait pas dit oui, mais elle l'avait invité à venir, aujourd'hui dimanche, dans l'après-midi, faire la connaissance de ses parents : elle avait dit « J'espère que vous les aimerez et qu'eux vous aimeront... qu'ils vous aimeront autant que je vous aime ». Si ce n'était pas la l'équivalent d'un oui, qu'était-ce ?
Adorable Susan aux doux cheveux sombres, aux tendres taches de rousseur à peine marquées, aux grands yeux noirs si doux...
    On en était enfin à ce « milieu d'après-midi » où Susan lui avait dit de venir. Il se leva de son banc et, un peu engourdi par sa sieste, il s'étira voluptueusement.
Puis il se mit en route vers la maison, à quelques centaines de mètres. Une promenade agréable sous le beau soleil, par ce beau jour de printemps.
Il monta les marches du perron, frappa à la porte. La porte s'ouvrit et, pendant une fraction de seconde, il crut que c'était Susan elle-même qui lui ouvrait. Mais la jeune fille ressemblait seulement à Susan. Sa soeur, sans doute. La veille, elle lui avait en effet parlé d'une sœur. Son aînée d'un an seulement.
    Il s'inclina et se présenta, demanda à voir Susan. Il eut l'impression que la jeune fille le regardait d'un air bizarre, mais elle se contenta de lui dire « Entrez, je vous prie. Elle n'est pas là pour l'instant, mais si vous voulez bien attendre au salon, là... ».
    Il s'assit et attendit au salon, là. C'était bizarre qu'elle fût sortie. Même pour peu de temps.
    C'est alors qu'il entendit la voix, la voix de la jeune fille qui lui avait ouvert la porte, la jeune fille parlait dans l'entrée et, mû par une inexplicable curiosité il se leva et alla coller son oreille contre la porte. La jeune fille parlait, semble-t-il, au téléphone.
    -Harry ? Je t'en prie, rentre immédiatement. Et ramène le docteur ! Oui, c'est grand-père... Non, pas une nouvelle crise cardiaque... Non. C'est comme la dernière fois où eu il a eu crise d'amnésie et où il a cru que grand-mère était encore... Non, ce n'est pas de la démence sénile Harry, il a décroché de cinquante ans cette fois... Il est revenu à l'époque où il n'avait pas encore épousé grand-mère.
     Très vieux soudain, vieilli de cinquante ans en cinquante secondes, grand-père se mit à sangloter sans bruit, appuyé contre la porte.

samedi 29 décembre 2012

château et dépendances (13) : écuries

les manants les contemplaient et courbaient l'échine, à eux la campagne alentour au galop de fières montures, et sans plus lever les yeux, sou après sou, parcelle après parcelle, la pioche à la main, ils avaient conquis leur bout de terre, domaine dépecé, château délabré, adieu lustre d'antan, pourtant ils le savaient, ils veillaient en pure perte, d'autres viendraient, pas moins redoutables, les chevaux étaient déjà là

jeudi 27 décembre 2012

château et dépendances (12)

giclées de lumière, vieux oripeaux arrachés, l'envol de l'hiver

lundi 24 décembre 2012

nativité

 il est enfin là, chacun de s'émerveiller, le sacré parmi nous

dimanche 23 décembre 2012

château et dépendances (11)


avant les pelleteuses, délicate et inexorable, une lente possession des lieux

samedi 22 décembre 2012

douceur

et les feuilles de s'accrocher
comment se résigner à entamer sa chute

jeudi 20 décembre 2012

entrer dans la nuit

parking, embrasser du regard le bâtiment éclairé, un vieux, une lumière, un vieux, une lumière, fenêtre du bout, elle, silhouette de profil, la télé sans doute, le coeur bondit, débauche d'appels de phare, fenêtre à côté, un rideau soulevé, une main s'agite, quelqu'un attend, le rideau retombe, il/elle sera déçu(e), elle n'a pas bronché

vendredi 14 décembre 2012

jeudi 13 décembre 2012

lundi 10 décembre 2012

au bonheur des dames


Séville
                                       
                                         Au bonheur des dames Emile Zola

...C'était, à l'encoignure de la rue de la Michodière et de la rue Neuve-Saint-Augustin, un magasin de nouveautés dont les étalages éclataient en notes vives, dans la douce et pâle journée d'octobre. (...) Le magasin, vide encore de clientes, et où le personnel arrivait à peine, bourdonnait à l'intérieur comme une ruche qui s'éveille.

(...) Dans le pan coupé donnant sur la place Gaillon, la haute porte, tout en glace, montait jusqu'à l'entresol, au milieu d'une complication d'ornements, chargés de dorures. Deux figures allégoriques, deux femmes riantes, la gorge nue et renversée, déroulaient l'enseigne: Au Bonheur des dames. Puis, les vitrines s'enfonçaient, longeaient la rue de la Michodière et la rue Neuve-Saint-Augustin, où elles occupaient, outre la maison d'angle, quatre autres maisons, deux à gauche, deux à droite, achetées et aménagées récemment. C'était un développement qui lui semblait sans fin, dans la fuite de la perspective, avec les étalages du rez-de-chaussée et les glaces sans tain de l'entresol, derrière lesquelles on voyait toute la vie intérieure des comptoirs. En haut, une demoiselle, habillée de soie, taillait un crayon, pendant que, près d'elle, deux autres dépliaient des manteaux de velours. 
(...) tous trois revinrent sur leurs pas, en tournant autour du magasin. Mais, comme elle entrait dans la rue, Denise fut reprise par une vitrine, où étaient exposées des confections pour dames. (...) une admiration la clouait sur le trottoir. Au fond, une grande écharpe en dentelle de Bruges, d'un prix considérable, élargissait un voile d'autel, deux ailes déployées, d'une blancheur rousse; des volants de point d'Alençon se trouvaient jetés en guirlandes; puis, c'était, à pleines mains, un ruissellement de toutes les dentelles, les marines, les valenciennes, les applications de Bruxelles, les points de Venise, comme une tombée de neige. A droite et à gauche, des pièces de drap dressaient des colonnes sombres, qui reculaient encore ce lointain de tabernacle. Et les confections étaient là, dans cette chapelle élevée au culte des grâces de la femme: occupant le centre, un article hors ligne, un manteau de velours, avec des garnitures de renard argenté; d'un côté, une rotonde de soie, doublée de petit-gris; de l'autre, un paletot de drap, brodé de plumes de coq; enfin, des sorties de bal, en cachemire blanc, en matelassé blanc, garnies de cygne ou de chenille. Il y en avait pour tous les caprices, depuis les sorties de bal à vingt-neuf francs jusqu'au manteau de velours affiché dix-huit cents francs. La gorge ronde des mannequins gonflait l'étoffe, les hanches fortes exagéraient la finesse de la taille, la tête absente était remplacée par une grande étiquette, piquée avec une épingle dans le molleton rouge du col; tandis que les glaces, aux deux côtés de la vitrine, par un jeu calculé, les reflétaient et les multipliaient sans fin, peuplaient la rue de ces belles femmes à vendre, et qui portaient des prix en gros chiffres, à la place des têtes.

samedi 8 décembre 2012

"... en la verde orilla de Guadalquivir"

Séville : d'autres "cartes postales"

Luis de Góngora

En la verde orilla

Los rayos le cuenta al Sol
Con un peine de marfil
La bella Jacinta un día
Que por mi dicha la vi
En la verde orilla
De Guadalquivir.

La mano oscurece al peine;
Mas qué mucho, si el abril
La vio oscurecer los lilios
Que blancos suelen salir
En la verde orilla
De Guadalquivir.
Los pájaros la saludan,
Porque piensa (y es así)
Que el Sol que sale en oriente
Vuelve otra vez a salir
En la verde orilla
De Guadalquivir.

Por sólo un cabello el Sol
De sus rayos diera mil,
Solicitando invidioso
El que se quedaba allí
En la verde orilla
De Guadalquivir.

jeudi 6 décembre 2012

serre

accroche-toi, ne lâche rien, agrippe la terre

mardi 4 décembre 2012

"Quand nous parcourons les lieux de la mémoire..."

 Pour Primo Levi Mario Rigoni Stern 
traduction François Maspero


Bobbio, dans De Senectute, écrit: "Quand nous parcourons les lieux de la mémoire, les morts se pressent autour de nous, et leurs rangs se font chaque année plus nombreux. La plupart de ceux qui nous ont accompagnés nous ont abandonnés. Mais on ne peut les effacer comme s'ils n'avaient jamais existé. Dès lors que nous les convoquons dans nos pensées nous les faisons revivre, ne serait-ce qu'un instant, et ils ne sont pas vraiment morts, ils n'ont pas complètement disparu dans le néant... " Par ces journées lumineuses de fin d'hiver je vais presque chaque matin sur la route qui traverse la forêt, chaussant mes skis légers ; et, en ce moment, c'est mon cher Primo qui m'accompagne. (...)
      Je me rappelle ton récit dans Vice de forme, tu parlais d'arbres qui bougeaient, de fleurs qui communiquaient avec une petite fille, et celle-ci disait que tout ce qui pousse sur la terre et a des feuilles vertes est comme nous. Tu parlais encore du caractère des arbres, de leur voix que tu as, toi aussi, essayé d'écouter, d'arbres qui voulaient redevenir sauvages et hostiles aux hommes parce que ceux-ci les avaient contraints à produire des fleurs et des fruits. Ton imagination ne te trompait pas tellement : les scientifiques, quand ils sont aussi des poètes, voient loin. Dans une récente rencontre entre spécialistes des forêts, un rapport expliquait qu'il se produit des associations d'arbres de la même espèce qui forment comme une famille, liés par le sang, qui s'entraident en échangeant des éléments vitaux à travers leurs racines ; et qui, avec leurs branches, se protègent mutuellement des intempéries.

dimanche 2 décembre 2012

Un dimanche (10) à Pau

gelée blanche, l'herbe crisse sous les pas,
un friselis de branches, le magnolia,
lumière d'un matin d'hiver

dimanche 25 novembre 2012

Triana : sur le devant de la scène


Paroles Come Di Paolo Conte

"la comédie d'un jour, d'un jour d'ta vie,

la comédie, la comédie
"…

samedi 24 novembre 2012

(...) je ne sais pas si je l'aime ou si je m'y suis habituée.

Dormir accompagnéLivre de chroniques II de António Lobo Antunes
 Dormir accompagné (livre de chroniques II) A. Lobo Antunes

(traduit du portugais par Carlos Batista)

L'amour conjugal

Je suis mariée depuis vingt-quatre ans et je ne sais pas si je l'aime ou si je m'y suis habituée. Je ne déborde pas d'enthousiasme à l'idée que mon mari rentre tous les soirs à six heures et demie sept heures mais ça ne m'est pas non plus désagréable. La perspective de passer un mois de vacances avec lui et les enfants ne m'exalte ni ne m'ennuie. Faire l'amour n'est pas la chose qui m'excite le plus au monde mais je ne peux pas non plus dire que c'est une corvée. Zé To a le sens de l'humour, il n'est pas laid, il n'est pas idiot, il n'a pas tant de ventre que ça, il n'est pas mal pour son âge, il m'offre des fleurs de temps en temps, il me rapporte du parfum duty free au retour de ses réunions à Londres, j'ai commencé à flirter avec lui à dix-sept ans, je n'ai jamais couché avec quelqu'un d'autre, sincèrement je ne me vois pas coucher avec quelqu'un d'autre et cependant vous comprenez, je ne sais pas si je l'aime ou si je m'y suis habituée. J'en arrive à penser que je l'aime quand je le compare aux autres hommes, aux maris de mes amies par exemple, à mes beaux-frères, et j'en arrive à penser que je m'y suis habituée quand je vois un film avec Robert de Niro. Ce n'est pas que Robert de Niro soit beau, mais c'est son sourire, c'est sa manière de regarder, c'est le vide qui flotte en moi quand je rallume la lumière et qu'au lieu de Robert de Niro, c'est Zé To près de moi sur le canapé, c'est Zé To près de moi dans la voiture, c'est Zé To qui me demande en portugais si la femme de ménage a repassé son pantalon gris, qui me fait remarquer que le robinet de la salle de bain goutte, et quand je suis allongée c'est Zé To en pyjama qui s'étend à mes côtés avec ses revues de 4x4 qui le passionnent, c'est Zé To qui me donne un baiser, éteint la lumière, c'est le talon de Zé To qui frôle ma jambe, c'est Zé To qui s'endort si vite et me laisse seule dans le noir à regarder le plafond en attendant un sommeil qui tarde, qui se fait attendre, qui met des siècles à venir. Bien entendu si Robert de Niro était ici je n'en voudrais pour rien au monde. Il a certainement des tas de manies insupportables, il est certainement égocentrique, peut-être aime-t-il assembler des miniatures d'avions ou autres bêtises de ce genre, si ça se trouve il me tromperait à droite et à gauche avec des actrices de Hollywood
(j'ai déjà quarante-six ans et sans être laide je n'ai rien à proprement parler d'une Jessica Lange)
et ma vie deviendrait un enfer de jalousie et de scènes de ménage puériles. Parfois, voyez-vous, je me demande ce qui me pousse à chercher si j'aime Zé To ou si je m'y suis habituée, parfois je me demande si c'est important de l'aimer, si c'est important l'amour, si l'amitié et la camaraderie
(c'est un mot horrible qui rappelle les scouts n'est-ce pas, je trouve que c'est un mot horrible mais je n'en vois pas d'autre)
ne sont pas plus importantes, nos enfants sont de vraies perles, ils ne nous causent aucun souci, ils ne se droguent pas, sont tous deux à l'université, n'ont jamais cabossé nos voitures, s'inquiètent beaucoup de nous, surtout Diogo, Bernardo a toujours été plus détaché ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas un ange, parfois je me demande si la complicité
(ce mot ne me plaît pas davantage, il sent le vol à main armée vous ne trouvez pas ?)
l'absence de disputes, le caractère doux de Zé To ne sont pas plus importants, sa patience face à mes caprices, face à ce petit tempérament que j'ai hérité de mon père, face à mon désir d'être opérée des seins, de faire un lifting, de retrouver celle que j'ai été même si au moment de sourire j'ai la sensation que les coins de ma bouche vont se déchirer dans un crissement de tissu. Fort heureusement vous êtes d'accord avec moi, vous n'imaginez pas de quel poids vous me soulagez, fort heureusement vous aussi vous considérez l'amitié comme plus importante que l'amour, la camaraderie,
(revoilà ce mot quelle plaie)
les enfants, la complicité
(et celui-là encore)
l'absence de disputes, la douceur de Zé To, fort heureusement vous pensez que je ne dois pas me demander si je l'aime ou si je m'y suis habituée, fort heureusement vous m'avez invitée à dîner en tête à tête, seulement pour dîner avec vous, docteur, quelle excuse irais-je donner à Zé To, mais si vous voulez, nous pouvons à la place déjeuner vendredi dans un restaurant loin de votre cabinet et de chez moi, de préférence un endroit où l'on ne croisera aucune connaissance, car je crois bien que vous avez quelque chose de Robert de Niro, son sourire, son regard, dès que je suis entrée dans votre cabinet j'ai pensé
—Ce psychologue a quelque chose de Robert de Niro, je suis persuadée que nous allons bien nous entendre
et maintenant je suis prête à jurer que nous allons bien nous entendre, je suis prête à jurer qu'après ce déjeuner nous nous entendrons à merveille.

vendredi 23 novembre 2012

Séville

Monasterio de la Cartuja-Centro de arte Contemporáneo
 "Mme de Chaulnes me mande que je suis trop heureuse d'être ici avec un beau soleil ; elle croit que tous nos jours sont filés d'or et de soie. Hélas! mon cousin, nous avons cent fois plus de froid ici qu'à Paris (...)"  il pleut dru.
 Agnès Varda est à l'honneur.
dès l'entrée, comme un clin d’œil, un peu de sa présence