dimanche 30 juin 2024

Lu et vu (105)

 Lu

Muette d’Eric Pessan

Qui-vive de Valérie Zenatti 

*

   Je me suis remise de la mort de Leonard Cohen et de l'angoisse politique distillée par l'élection de Donald Trump, comme je m'étais remise du 11 septembre et de l'appel de ma mère, Manhattan, tu connais Manhattan, c'est pas là où tu habitais ? C'est la guerre, ils détruisent tout, ils attaquent l'Amérique. Remise du 21 avril et de l'excitation effrayée de 19 h 58, ce n'était pas possible, nous n'allions pas voir s'afficher le visage de Le Pen qualifié pour le second tour, que faire de ces deux minutes où l'on devinait l'évidence en refusant d'y croire ? Remise des 7 et 9 janvier où des hommes de trente-deux et trente-quatre ans avaient pu surgir au milieu d'une salle de rédaction, dans un magasin casher, et décider qui vivrait hanté par le carnage, qui mourrait sous les balles. Remise du 13 novembre et du bandeau rouge au bas de l'écran où rien ne semblait pouvoir arrêter la progression du nombre de victimes, à croire que ceux qui avaient choisi de sortir ce soir-là dans l'Est parisien allaient y passer jusqu'au dernier. Remise du 14 juillet et de la vidéo visionnée sur Internet en tremblant avant qu'elle soit effacée, un travelling sur les trottoirs de la promenade des Anglais imbibés de sang, jonchés de corps gémissants ou morts sous des couvertures de survie dorées, et une voix hors champ qui disait, Regardez, regardez, c'est pas possible.

   Mais si, cela avait été possible, et c'était donc réel.


   La sidération s'était estompée chaque fois, quoi que j'en aie pensé à la seconde où j'en avais le cœur retourné. Je me répétais, la beauté d'un chant et le désir de destruction se superposeront toujours, il ne faut pas céder à la panique, même si je poussais parfois une porte dérobée pour fuguer vers un autre temps, là où le tissu de l'Histoire était une seconde peau.

Je continuais de croire en mon métier quand je rencontrais mes élèves en début d'année. On va tâcher d'y voir clair dans ce capharnaim qu'on nomme l'histoire de l'humanité, leur disais-je. Je continuais de classer des articles de journaux pour conserver les traces de notre époque et commençais à manquer de place. (…) À quoi ça sert d'entasser des papiers comme ça, alors que tout est sur le Net ?

   Vous ne connaissez pas le frisson de feuilleter un journal daté de 1989 ou 2003, et de découvrir rétrospectivement l'importance exagérée ou minuscule accordée aux événements ; les erreurs d'analyse, les aveuglements des uns, la lucidité des autres. On se réjouit un jour d'une révolution qui se transforme le lendemain en massacre. On estime une rencontre historique alors qu'elle ne mène nulle part et tombe vite aux oubliettes.(…)

   

*

J'écoutais plus souvent Leonard Cohen depuis sa disparition, tout en nourrissant le regret de ne jamais l'avoir vu sur scène, parce que les billets m'avaient paru trop chers lors de son dernier passage à Paris. Il fallait que je prenne garde à ne plus passer à côté des choses importantes, celles qui exhaussent la vie vers la joie pure, mais c'est une entreprise titanesque d'être attentif à tout lorsque l'on slalome entre les jours, entre contraintes, assurance et oubli, et je défie qui que ce soit de soutenir que notre trajectoire est une ligne droite plutôt qu'une errance, j'en détiens la preuve. (p 14 à 17)

samedi 29 juin 2024

et c’était chaque soir comme ça

un accès momentanément condamné à la salle de bain, cuisine évier cuvette, réminiscence, se laver les pieds, les filles d’abord, leur peau sensible d’enfant, des cris, ca brûle, les sortait, les replonger, ça refroidissait puis en dernier les pieds du père, les plus sales, venus de l’étable, sortis de bottes ou caoutchoucs, fétus de de paille, l’eau aussitôt marron, un empressement autour de lui C’est pas assez chaud elle est épela tiède va-et-vient vers le fourneau, oui, là ça va, parfois rarement changer l’eau, les robinets, l’eau courante, ce serait plus tard, faire attention, économiser, les pieds rougis en appui sur le rebord de la cuvette, ça gouttait, il attendait, son bras, un oihal torchon se tendait prestement, la mère, zipu batekin avec un chiffon l’eau par terre, un grand coup de rein l’eau de la cuvette pour les cochons, les fleurs le jardin mais ses pieds à elle c’était quand

vendredi 28 juin 2024

conversation (32) à la caisse (4)

Petite soixantaine, elle tourne vire intarissable agitée dans la boutique seconde main. Ça me va ça ? parce qu’à la Pépinière y a le goûter de fin d’année, faut s’habiller puis dimanche, on vote, faut bien se mettre pour aller voter un blanc, elle réfléchit qui c’est qui se présente déjà, cherche quelques instants Bayrou, deux à la caisse Non pas cette fois, là patiemment on vote pour les députés elle n’écoute pas, poursuit et puis Macaron… bref échange de regards, une impuissance, elle sort

mardi 25 juin 2024

Parapluies (4)

 

Gare RENFE Saint-Sébastien, 13h30

Rue du 31 août, Saint-Sébastien, 8h30

lundi 24 juin 2024

ici ou là,

 


les maux du tourisme, Donostia salgai / Saint-Sébastien à vendre, à l’image, un immeuble, les appartements, ou vide, ou à vendre ou pour la location touristique, et au rez-de-chaussée, commerce fermé pour l’un, déménage pour l’autre. 

dimanche 23 juin 2024

Lu et vu (104)

 Vu

Phénomènos d’Ana-María Shua, ateliers Compagnie des Explorateurs, mise en scène Claire Chaperot

Exposition Une Conversation Chillida et les arts 1950–1970 San Telmo Museo, Saint-Sébastien

Udako solstizioa à Chillida Leku, Hernani, grand spectacle participatif à l’air libre, coordination par la compagnie de danse Kukai

Plaza Berri, devant l’ancienne mairie, Saint-Sébastien, feu de la Saint-Jean


… et saisir un bout d’écorce, une branchette à garder jusqu’au prochain solstice 


jeudi 20 juin 2024

Conversation (31)

 allée partagée de Gelos, un petit groupe de femmes, elles s’activent, sarclent, bêchent, midi bientôt, le soleil cogne dur, l’une Prenez donc un peu de mélisse et puis aussi de la menthe, c’est pas ce qui manque, vous n’osez pas ? c’est fait pour ça pourtant, on va ajouter de petits panneaux, et là de la sauge, oui, prenez, et là cette fleur jaune, elle fait rouler les petites boules dans ses doigts, sentez, c’est comme du curry,  vous pouvez l’ajouter à vos préparations, du poisson par exemple, sa joie fierté à donner, repartir avec une brassée, quelques jours plus tard, un fier petit bouquet encore devant le grille-pain 

mardi 18 juin 2024

vaille que vaille

 


se faire une place au soleil, frêle mais vivace, valeureuse petite fleur, tout est contre elle, elle pousse

dimanche 16 juin 2024

Lu et vu (104)

 Lu

Les heures silencieuses de Gaëlle Josse

Ouragan de Laurent Gaudé

Le chasseur d’histoires d’Eduardo Galeano

La connaissance et l’extase d’Eric Pessan, éd. l’Attente

« (…) Mais un type accoudé au comptoir d'un bar, un type qui attend le versement de sa retraite en éructant sa haine, on fait quoi avec un type comme ça?

Un type qui souhaite la mort des musulmans, l'expulsion de tous les Français issus de l'immigration.

On l'aide comment?

Un type qui veut voir mourir les juifs, les hommes et femmes de gauche et de droite, comme les artistes, les musiciens, les comédiens, les écrivains, les danseurs et les peintres.

Quelle marge de manœuvre on a avec lui?

Un type qui aime l'idée de la mort de David Bowie.

On lui explique qu'il se trompe?

On lui dit qu'il a tort?

On lui fait lire l'Ancien Testament?

On lui fait lire le Coran?

On lui fait lire le Nouveau Testament?

On commence par l'asseoir pour lui parler?

On crie plus fort que lui?

On le frappe d'abord et on lui dit que l'on ne cessera de cogner qu'à condition qu'il change sincèrement d'avis?

Elle est où, la marge de manœuvre?

On monte un spectacle qu'il n'ira pas voir pour que des acteurs qu'il exècre incarnent les mots qu'il ne lira pas?

C'est quoi la solution?

L'art?

La littérature?

L'électricité?

La pince coupante?

Le croc?

Les couilles dans un étau?

L'incarcérer au secret, un sac sur les yeux, une cave de deux mètres par deux en terre battue, sans chaise ni lit ni seau où se soulager; on diffuse Boulez à plein pot et on le force à regarder des documentaires sur les bienfaits de l'action culturelle? (p 16-17)


Ça étonnerait plus d'un être humain d'apprendre que l'une des caractéristiques de l'être humain est de nier la condition d'être humain à d'autres êtres humains.

La bêtise est une tragédie.

La simplification est une tragédie.

La fermeture est une tragédie.

Le refus des mots, des partages, du langage commun et du langage possible est une tragédie.

Un homme qui réclame dans un café que l'on tue d'autres hommes c'est une tragédie.

Que des hommes approuvent cet homme est une tragédie.

Que je ne me sois pas levé pour lui demander de se taire est une tragédie.

Ce matin-là, tout le monde dans ce café, tous les visages apparus à la télévision, tous les visages imprimés sur les pages de titre des journaux appartenaient à la communauté humaine. Des êtres différents, énigmatiques à autrui comme - parfois - à eux-mêmes, divers, dissemblables, étrangers, autres mais humains. (p 80-81)

samedi 15 juin 2024

Conversation (30) caisse de supermarché (3)

vagues souvenirs de salle de prof, jamais partagé de conseils de classe avec elle, sa voix forte au-dessus du brouhaha habituel, la maison de Pau, celle d’Hossegor, les études brillantes du fils, le fils médecin, le mariage du fils médecin… une vraie scie, honnie par élèves, à mots couverts son arbitraire, la retraite et bien quinze ans sans la croiser, dans le magasin juste s’effleurer du regard, au moment de payer la retrouver, deux personnes et, carte bleue en main, elle encore, une plainte monocorde et continue, grise de lassitude la caissière écoute,  j’ai tout perdu, la locataire… la queue s’allonge, le minuscule York tire sur sa laisse quatre ans et demi…bourdon de sa voix… impossible de la mettre dehors sa voix vire à l’aigu, dans un élan la conclusion On va enfin arrêter de protéger cette vermine, gagnée à sa cause, la caissière,  Ô oui alors, vous avez raison, dans la queue après l’impatience polie, un effroi palpable, se regarder profond et prendre appui, le matin s’est fait glacé, ne pas rester seul

jeudi 13 juin 2024

Un bien bel édito pour

la quatrième édition du festival Le Murmure du Monde, à Arras-en-Lavedan, dans les Hautes-Pyrénées du 13 au 16 juin 24. 


Était-ce l’aube ou le crépuscule ? Dans la forêt, nous tendions l’oreille. La neige et le froid s’étaient fait attendre. Silence. La chouette avait changé de domicile. Reviendrait-elle ?

Alors que nous assistons médusé·es à la disparition de l’hiver, alors que nous éprouvons autant que nous l’observons ce basculement du monde et que le désespoir guette, le festival crée une communauté tout à la fois préoccupée et déterminée à donner du sens, à entendre et inventer de nouveaux récits pour le monde.


Car le festival ne prétend pas alerter mais raconter. S’il est une sentinelle, c’est qu’il cherche au plus près de la création contemporaine les indices du changement à l’œuvre. Il fait entendre les voix qui s’élèvent plus ou moins timidement pour raconter ce qui se joue au fond des bois comme au fond de chacun·e.

Une quarantaine d’invité.es viennent cette année encore nous sortir de notre torpeur et de notre inclination à l’anxiété. Le festival est un rendez-vous qui n’est pas triste et le public, de plus en plus nombreux, le sait bien.

Sommes-nous à l’aube ou au crépuscule ? L’affiche de Marine Schneider ne tranche pas. C’est à nous de choisir.

Mathilde Walton, Directrice et programmatrice

et un papier de La Nouvelle République des Pyrénées 

et sur ce blog, il y a deux ans, pour la deuxième édition de ce festival 

mercredi 12 juin 2024

À pied (20) de Sévignacq-Méracq à Oloron Sainte-Marie

 

Arudy depuis Bescat vers 8h1/2, le 6/6/24

béarnaises


lundi 10 juin 2024

Petites choses (73) qui surprennent

 


être souvent passée par là, avoir même eu une amie qui y habitait et n’avoir jamais relevé ce  « Impasse La Foi »

dimanche 9 juin 2024

Lu et vu (103)

 Lu

Entre ciel et terre de Jón Kalfmán Stefánsson

Maddi d’Edurne Portela 

De vives voix de Gaëlle Josse

Le Livre des Étreintes d’Eduardo Galeano (éd La Différence)



LA GUIGNE


Tant que dure la guigne, je perds tout. Les choses me tombent des poches et de la mémoire : je perds mes clefs, mes crayons, mon argent, mes documents, les noms, les visages, les mots. Et je sais s'il s'agit d'un mauvais sort, jeté par quelqu'un qui ne m'aime pas ou me veut du mal, ou d'un pur hasard, mais parfois, la dépression tarde à me laisser et je vais de perte en perte, je perds ce que je trouve, je ne trouve pas ce que je cherche, et je ressens l'angoisse profonde de voir la vie tomber de moi par distraction.(éditions La Différence, p 168)


Vu


Spectacles 



Compagnies IT Dansa


Akram Kahn
Gustavo Ramírez Sansano
Ohad Naharin

Kaash / Lo que no se ve
Minus

samedi 8 juin 2024

à pied (19) : de Sévignacq-Méracq à Oloron-Sainte-Marie




pour finir sur plusieurs kilomètres, marcher à l’ombre des grands arbres, murmure de l’eau, oiseaux à qui mieux-mieux, 


le gave d’Ossau dévale la vallée à la rencontre du gave  d’Aspe pour devenir à Oloron, le gave d’Oloron

Oloron, depuis Sainte-Croix, 6 juin, 4 h

vendredi 7 juin 2024

à pied (18) de Sévignacq-Méracq à Oloron-Sainte-Marie

 

Ogeu-les-Bains, 6 juin 24, vers midi 

un bruissement, le champ ondoie, la moisson sera belle

jeudi 6 juin 2024

À pied (17) de Sévignacq-Méracq à Oloron-Sainte-Marie

 

Herrère, ce jour, 12h50

Penser à revenir par ici un automne 


Forêt domaniale d’Escou, 12h40

mardi 4 juin 2024

de l’art de la répartie

 


64 Music Box, Médiathèque de Pau, Thierry Biscary J’ai besoin de voir mon public, faites-moi un peu de lumière sur la salle, ah ! quelques têtes blanches… l’un des six enfants devant au premier rang Et nous, des têtes colorées ?

lundi 3 juin 2024

par les sous-bois (9)

 


il a gémi, 
un cri, 
il était mort

dimanche 2 juin 2024

Lu et vu (102)

Lu

Le livre du large et du long de Laura Vasquez

Comment tout a commencé de Pete Fromm

Un fils perdu de Sacha Filipenko

Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain 

extrait : 

« La vieille Délira, effrayée, se signa.

—Je ne déparle pas, maman. Il y a les affaires du ciel et il y a les affaires de la terre : ça fait deux et ce n'est pas la même chose. Le ciel, c'est le pâturage des anges; ils sont bienheureux ; ils n'ont pas à prendre soin du manger et du boire. Et sûrement qu'il y a des anges nègres pour faire le gros travail de la lessive des nuages ou balayer la pluie et mettre la propreté du soleil après l'orage, pendant que les anges blancs chantent comme des rossignols toute la sainte journée ou bien soufflent dans de petites trompettes comme c'est marqué dans les images qu'on voit dans les églises. Mais la terre, c'est une bataille jour pour jour, une bataille sans repos : défricher, planter, sarcler, arroser, jusqu'à la récolte, et alors tu vois ton champ mûr couché devant toi le matin, sous la rosée, et tu dis : moi untel, gouverneur de la rosée, et l'orgueil entre dans ton cœur. Mais la terre est comme une bonne femme, à force de la maltraiter, elle se révolte: j'ai vu que vous avez déboisé les mornes. La terre est toute nue et sans protection.

Ce sont les racines qui font amitié avec la terre et la retiennent: ce sont les manguiers, les bois de chênes, les acajous qui lui donnent les eaux des pluies pour sa grande soif et leur ombrage contre la chaleur de midi.

C'est comme ça et pas autrement, sinon la pluie écorche la terre et le soleil l'échaude: il ne reste plus que les roches. Je dis vrai: c'est pas Dieu qui abandonne le nègre, c'est le nègre qui abandonne la terre et il reçoit sa punition : la sécheresse, la misère et la désolation.

—Je ne veux plus t'entendre, fit Délira secouant la tête. Tes paroles ressemblent à la vérité et la vérité est peut-être un péché. » (Zulma poche, p 34,35) 

Vu 

Cinéma

Fainéant.es de Karim Dridi

Spectacle 

Thierry Biscary

samedi 1 juin 2024

Pau, quartier Saragosse

 


pour un peu de rouge sur tour grise