vendredi 1 avril 2011

Chapelle d'Haranbeltz
La première élégie

Qui, si je criais, m’entendrait donc, d’entre
les ordres des anges ? et supposé même que l’un d’eux
me prît soudain contre son cœur, je périrais
de son trop de présence.
Car le beau n’est rien
que ce commencement du Terrible que nous supportons encore,
et si nous l’admirons, c’est qu’il dédaigne, indifférent,
de nous détruire. Tout ange est terrifiant.
         Du coup, je me contiens, je ravale le cri d’appel
d’obscurs sanglots. À qui, hélas, pouvons-nous
recourir ? Ni aux anges, ni aux hommes,
et les bêtes sagaces, flairent bien
que nous ne sommes pas vraiment en confiance
dans le monde expliqué. Tout juste s’il nous reste
un arbre ou l’autre sur la pente, à revoir
jour après jour ; s’il nous reste la route d’hier
et quelque fidèle habitude, trop choyée,
qui, de se plaire auprès de nous, ne repart plus.
         Et j’oubliais : la nuit, quand le vent chargé d’espaces
tire sur notre face – à qui manquerait-elle, la nuit désirée,
doucement décevante – peine et menace
pour le cœur solitaire. Est-elle aux amants plus légère ?
Ah, ils ne savent que s’entre-cacher leur sort.
         L’ignores-tu encore ? Que tes bras ajoutent leur vide
aux espaces par nous respirés, et les oiseaux peut-être
éprouveront l’air élargi d’un plus intime vol.
 
R. M. Rilke, Les élégies de Duino, traduction et postface de Philippe Jaccottet, La Dogana, 2008, p. 9 et 11.

2 commentaires:

  1. comme le poète sait bien dire notre angoisse

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  2. "Ni aux anges, ni aux hommes,
    et les bêtes sagaces, flairent bien
    que nous ne sommes pas vraiment en confiance
    dans le monde expliqué."
    Je ne connaissais pas ce texte magnifique de Rilke.
    Qu'il nous laisse malgré tout, l'espoir d'une main qui se tend pour remonter la pente.

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