samedi 1 octobre 2011

attaches (1)

ce qui nous avait reliés se désagrégeait sous nos yeux, on regardait
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Les cormorans Philippe Jaccottet

     (...) Après quoi, on se retourne sur ce temps vécu hors du temps ; et comme le naturel est revenu à peine est-on rentré chez soi, on recommence à s'interroger : ce temps, ne l'a-t-on pas tout simplement perdu ? Et si l'on n'a rien voulu chercher, hors le changement et l'oubli, rien ne vous a-t-il trouvé, sans qu'on le veuille, sans qu'on ait pu le prévoir? En dehors de ce que la simple curiosité note au passage, n'y a-t-il pas eu de signes pour pénétrer en vous aussi profond que ceux que l'on accueille dans la tranquillité patiente de la maison? Des rencontres, même brèves, comme celle du prieuré de Serrabone, où un monde étranger et presque perdu, presque inaccessible, vous est rouvert un instant ? C'est cela qu'il me faut à présent déceler à travers notes et souvenirs.
     Oui, on cherche à se laver les yeux, on poursuit l'inconnu. Les yeux veulent boire de nouveau, enfin, à quelque chose de vif, de frais, de caché et d'inaltéré comme une source. Autour de soi, trop près de soi, on ne sait plus le trouver. Alors, comme un enfant, comme quiconque rêve et ne peut s'empêcher de rêver à ce qui est a "de l'autre côté de la montagne" ou "derrière le mur", à l'invisible, on franchit les frontières en s'imaginant qu'aussitôt ce pas fait, tout sera différent, comme diffèrent les drapeaux et les noms qui désignent les pays. Et si d'abord cette naïve attente est déçue, parce que les vraies limites ne sont pas nécessairement où l'histoire les a pour un temps fixées, plus lentement quelque chose se passe, qui bientôt presque la comblera.
 
     (...) Ainsi, le voyage avait bien fini par devenir intérieur, on était revenu en soi, on n'avait finalement accueilli en soi que ce qui déjà s'y cachait plus ou moins farouchement. Le tout différent, on l'avait oublié ; seul le tout proche, sans qu'on s'en doute d'abord, avait eu accès en vous. Une fois de plus, on n'était pas sorti de soi-même ; on ne s'était ni changé  ni renouvelé. Ce voyage était presque la même chose qu'un rêve, on n'était pas sorti du labyrinthe qu'ajoure de plus en plus rarement à mesure qu'on vieillit la lueur rose d'un corps ou une vraie fenêtre ouverte sur une prairie apparemment sans limites, et qui ramène toujours les pas et les yeux vers le même monstre, vieux visage d'homme ou de femme qui crie, muettement ou pas, I'étonnement et l'horreur d'être détruit.

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