lundi 12 novembre 2012

"Comme si les écoles, c'était capable de se mettre debout et d'ensuite se barrer !"


Tokyo Montana express, Richard Brautigan
traduit de l'américain par Robert Pépin

Encore une école montanaise 
                          qui disparaît dans la Voie lactée

     Tout était bien là hormis l'école. Au bord de la route il y avait des panneaux de signalisation jaunes où l'on recommandait aux automobilistes entrant dans zone de rouler doucement : il y avait une école le coin.


     Sur ces panneaux l'on avait peint les silhouettes petit garçon et d'une petite fille avec des livres le bras. Comme quoi c'était donc des panneaux indiquant qu'il fallait y aller doucement afin que tous les enfants fréquentant ladite école puissent devenir des citoyens responsables. Comme quoi aussi, c'était vraiment dommage qu'il n'y ait pas le plus petit bout d'école dans les parages.


     Et moi je songe à tous ces gens qui là ont ralenti, là ont roulé doucement sans jamais la voir, cette école ; à tous ceux qui alors se sont demandés où elle était, ont alors probablement cru qu'ils l'avaient loupée —et se sont dit que c'était de leur faute, du genre : « Comment est-ce que j'ai pu faire mon compte pour me la rater, cette école ? »
 

     Sauf que rien n'était plus facile étant donné que justement, d'école, eh bien non, il n'y en avait pas. Et moi qui pour aller à la pêche un peu plus haut dans allée là, jour après jour, étais passé en voiture et chaque fois l'avais aperçue, cette école ! Même qu'il y avait des fois où c'était la récré et où tout le monde était à jouer dans la cour et qu'il y en avait d'autres où tout un chacun était au contraire à s'apprendre à compter et qui c'était déjà, le dixième président des Etats-Unis d'Amérique ?
     Et puis, il y a deux ans de cela, je cessai de passer par là pendant plusieurs semaines, un mois peut-être même : lorsqu'un jour enfin je repris cet itinéraire, je me trouvai si pressé d'arriver sur mes lieux de pêche que je ne prêtai guère attention à ma petite école Et tout simplement me pensai qu'elle était toujours là : comme si elle n'y était pas déjà depuis des années et des années ! Comme si les écoles, c'était capable de se mettre debout et d'ensuite se barrer !

Lorsque le soir même je repassai devant en voiture —déjà le crépuscule tirait à sa fin—, je remarquai que quelque chose avait changé mais, hypnotisé par la force de mes souvenirs et fermement décidé à m'accrocher au réel, presque je me convainquis de l'avoir vue ; l'école avait pourtant quelque chose de bizarre que malgré tous mes efforts je n'arrivai pas à comprendre.

     Il y avait là quelque chose qui clochait: je ne cessai d'y songer pendant les quelques semaines qui suivirent mais toujours l'affaire me restait obscure. Étant donné que je n'avais aucune raison d'emprunter cette route, dans ma vie la chose bien vite se transforma en petit mystère.

     Jusqu'au jour où, me rendant une fois de plus sur mes lieux de pêche et cette fois en ouvrant tout grand les yeux pour ne pas la manquer, je m'aperçus qu'elle avait bien évidemment disparu. L'école ? Transportée ailleurs. Où ? Je n'en ai toujours pas la moindre idée. Pourquoi ? Ça aussi, je l'ignore.

     Ce qui fait qu'aujourd'hui encore par panneaux interposés l'on recommande aux automobilistes de conduire doucement parce qu'il y a une école dans le coin. Et que moi, je me demande pourquoi on ne les a pas enlevés, ces panneaux : après tout, on l'a bien enlevée, cette école, non ?
 

     Mais peut-être aussi est-ce qu'on les a oubliés ou alors qu'on n'en avait plus besoin : serions-nous donc en présence d'un cas de « disparition d'école » ? J'espère quand même qu'elle n'a pas quitté la planète ; qu'au moins on n'en a pas disposé entièrement.

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