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un tombereau dès les premiers plans de la bande-annonce Farrebique (1946) Georges RouquierA Paris, ce vendredi 17 juillet [1676].
(...) Enfin c’en est fait, la Brinvilliers est en l’air. Son
pauvre petit corps a été jeté, après l’exécution, dans un fort grand
feu, et les cendres au vent,
de sorte que nous la respirerons, et par la
communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur
empoisonnante, dont nous serons tous
étonnés. Elle fut jugée dès hier ; ce matin, on lui a lu
son arrêt, qui était de faire amende honorable à Notre-Dame et d’avoir
la tête coupée, son
corps brûlé, les cendres au vent.
On l’a présentée à la question; elle a dit qu’il n’en
était pas besoin, et qu’elle dirait tout. En effet, jusqu’à cinq heures
du soir elle a conté sa
vie, encore plus épouvantable qu’on ne le pensait. Elle a
empoisonné dix fois de suite son père (elle ne pouvait en venir à
bout), ses frères et
plusieurs autres ; et toujours l’amour et les
confidences mêlés partout. Elle n’a rien dit contre Pennautier.
Après cette confession, on n’a pas laissé de lui donner,
dès le matin, la question ordinaire et extraordinaire; elle n’en a pas
dit davantage. Elle a
demandé à parler à Monsieur le procureur général; elle a
été une heure avec lui. On ne sait point encore le sujet de cette
conversation.
A six heures on l’a menée, nue en chemise et la corde au
cou, à Notre-Dame faire l’amende honorable. Et puis on l’a remise dans
le même tombereau, où je
l’ai vue, jetée à reculons sur de la paille, avec une
cornette basse et sa chemise, un confesseur auprès d’elle, le bourreau
de l’autre côté ; en
vérité, cela m’a fait frémir. Ceux qui ont vu
l’exécution disent qu’elle a monté` sur l’échafaud avec bien du courage.
Pour moi, j’étais sur le pont
Notre-Dame avec la bonne d’Escars; jamais il ne s’est vu
tant de monde, ni Paris si ému ni si attentif. Et demandez-moi ce qu’on
a vu, car pour moi je
n’ai vu qu’une cornette, mais enfin ce jour était
consacré à cette tragédie. J’en saurai demain davantage, et cela vous
reviendra…
A Paris, mercredi 22 juillet.
…Encore un petit mot de la Brinvilliers : elle est morte
comme elle a vécu, c’est-à-dire résolument. Elle entra dans le lieu où
l’on devait lui
donner la question, et voyant trois seaux d’eau : «
C’est assurément pour me noyer, dit-elle, car de la taille dont je suis,
on ne prétend pas que je
boive tout cela. ».
Elle écouta son arrêt, dès le matin, sans frayeur ni
sans faiblesse; et sur la fin, elle le fit recommencer, disant que ce
tombereau l’avait frappée
d’abord, et qu’elle en avait perdu l’attention pour le
reste. Elle dit à son confesseur, par le chemin, de faire mettre le
bourreau devant elle, « afin
de ne point voir, dit-elle, ce coquin de Desgrez qui m’a
prise » ; il était à cheval devant le tombereau. Son confesseur la
reprit de ce sentiment;
elle dit : « Ah, mon Dieu ! je vous en demande pardon;
qu’on me laisse donc cette étrange vue ». Et monta seule et nu-pieds
sur l’échelle et sur
l’échafaud, et fut un quart d’heure mirodée, rasée,
dressée et redressée, par le bourreau; ce fut un grand murmure et une
grande cruauté.
Le lendemain on cherchait ses os, parce que le peuple
disait qu’elle était sainte. Elle avait, disait-elle, deux confesseurs :
l’un disait qu’il
fallait tout dire, et l’autre non ; et elle de cette
diversité; disant : « Je peux faire en conscience tout ce qu’il me
plaira. » Il lui a plu de ne
rien dire du tout. Pennautier sortira un peu plus blanc
que de la neige ; le public n’est point content; on dit que tout cela
est trouble.
Admirez le malheur : cette créature a refusé d’apprendre
ce qu’on voulait, et a dit ce qu’on ne demandait pas. Par exemple elle
dit que M. Foucquet avait
envoyé Glaser, leur apothicaire empoisonneur, en Italie,
pour avoir d’une herbe qui fait du poison; elle a entendu dire cette
belle chose à Sainte-Croix.
Voyez quel excès d’accablement et quel prétexte pour
achever ce misérable. Tout cela est bien suspect. On ajoute encore bien
des choses, mais en voilà
assez pour aujourd’hui.
Je vous dirai plus, monsieur ; il n’y a point en France de loi expresse qui condamne à mort pour des blasphèmes. L’ordonnance de 1666 prescrit une amende pour la première fois, le double pour la seconde, etc., et le pilori pour la sixième récidive.
Cependant les juges d’Abbeville, par une ignorance et une cruauté inconcevables, condamnèrent le jeune d’Étallonde, âgé de dix-huit ans :
1° À souffrir le supplice de l’amputation de la langue jusqu’à la racine, ce qui s’exécute de manière que si le patient ne présente pas la langue lui-même, on la lui tire avec des tenailles de fer, et on la lui arrache.
2° On devait lui couper la main droite à la porte de la principale église.
3° Ensuite il devait être conduit dans un tombereau à la place du marché, être attaché à un poteau avec une chaîne de fer, et être brûlé à petit feu. Le sieur d’Étallonde avait heureusement épargné, par la fuite, à ses juges l’horreur de cette exécution.
Le chevalier de La Barre étant entre leurs mains, ils eurent l’humanité d’adoucir la sentence, en ordonnant qu’il serait décapité avant d’être jeté dans les flammes ; mais s’ils diminuèrent le supplice d’un côté, ils l’augmentèrent de l’autre, en le condamnant à subir la question ordinaire et extraordinaire, pour lui faire déclarer ses complices ; comme si des extravagances de jeune homme, des paroles emportées dont il ne reste pas le moindre vestige, étaient un crime d’État, une conspiration. Cette étonnante sentence fut rendue le 28 février de cette année 1766.
Relation de la mort du chevalier de La Barre par Voltaire
Je vous dirai plus, monsieur ; il n’y a point en France de loi expresse qui condamne à mort pour des blasphèmes. L’ordonnance de 1666 prescrit une amende pour la première fois, le double pour la seconde, etc., et le pilori pour la sixième récidive.
Cependant les juges d’Abbeville, par une ignorance et une cruauté inconcevables, condamnèrent le jeune d’Étallonde, âgé de dix-huit ans :
1° À souffrir le supplice de l’amputation de la langue jusqu’à la racine, ce qui s’exécute de manière que si le patient ne présente pas la langue lui-même, on la lui tire avec des tenailles de fer, et on la lui arrache.
2° On devait lui couper la main droite à la porte de la principale église.
3° Ensuite il devait être conduit dans un tombereau à la place du marché, être attaché à un poteau avec une chaîne de fer, et être brûlé à petit feu. Le sieur d’Étallonde avait heureusement épargné, par la fuite, à ses juges l’horreur de cette exécution.
Le chevalier de La Barre étant entre leurs mains, ils eurent l’humanité d’adoucir la sentence, en ordonnant qu’il serait décapité avant d’être jeté dans les flammes ; mais s’ils diminuèrent le supplice d’un côté, ils l’augmentèrent de l’autre, en le condamnant à subir la question ordinaire et extraordinaire, pour lui faire déclarer ses complices ; comme si des extravagances de jeune homme, des paroles emportées dont il ne reste pas le moindre vestige, étaient un crime d’État, une conspiration. Cette étonnante sentence fut rendue le 28 février de cette année 1766.
Le Grand Meaulnes Alain-Fournier Deuxième partie Chapitre 11 Je trahis...
Que faire ?
Le temps s’élevait un peu. On eût dit que le soleil allait se montrer.
Une porte claquait dans la grande maison. Puis le silence retombait. De temps à autre mon père traversait la cour, pour remplir un seau de charbon dont il bourrait le poêle. J’apercevais les linges blancs pendus aux cordes et je n’avais aucune envie de rentrer dans le triste endroit transformé en séchoir pour m’y trouver en tête-à-tête avec l’examen de la fin de l’année, ce concours de l’École Normale qui devait être désormais ma seule préoccupation.
Chose étrange : à cet ennui qui me désolait se mêlait comme une sensation de liberté. Meaulnes parti, toute cette aventure terminée et manquée, il me semblait du moins que j’étais libéré de cet étrange souci, de cette occupation mystérieuse, qui ne me permettaient plus d’agir comme tout le monde. Meaulnes parti, je n’étais plus son compagnon d’aventures, le frère de ce chasseur de pistes ; je redevenais un gamin du bourg pareil aux autres.
Et cela était facile et je n’avais qu’à suivre pour cela mon inclination la plus naturelle.
Le cadet des Roy passa dans la rue boueuse, faisant tourner au bout d’une ficelle, puis lâchant en l’air trois marrons attachés qui retombèrent dans la cour. Mon désœuvrement était si grand que je pris plaisir à lui relancer deux ou trois fois ses marrons de l’autre côté du mur.
Soudain je le vis abandonner ce jeu puéril pour courir vers un tombereau qui venait par le chemin de la Vieille-Planche. Il eut vite fait de grimper par derrière sans même que la voiture s’arrêtât. Je reconnaissais le petit tombereau de Delouche et son cheval. Jasmin conduisait ; le gros Boujardon était debout. Ils revenaient du pré.
« Viens avec nous, François ! » cria Jasmin, qui devait savoir déjà que Meaulnes était parti.
Ma foi ! sans avertir personne, j’escaladai la voiture cahotante et me tins comme les autres, debout, appuyé contre un des montants du tombereau. Il nous conduisit chez la veuve Delouche…
Le temps s’élevait un peu. On eût dit que le soleil allait se montrer.
Une porte claquait dans la grande maison. Puis le silence retombait. De temps à autre mon père traversait la cour, pour remplir un seau de charbon dont il bourrait le poêle. J’apercevais les linges blancs pendus aux cordes et je n’avais aucune envie de rentrer dans le triste endroit transformé en séchoir pour m’y trouver en tête-à-tête avec l’examen de la fin de l’année, ce concours de l’École Normale qui devait être désormais ma seule préoccupation.
Chose étrange : à cet ennui qui me désolait se mêlait comme une sensation de liberté. Meaulnes parti, toute cette aventure terminée et manquée, il me semblait du moins que j’étais libéré de cet étrange souci, de cette occupation mystérieuse, qui ne me permettaient plus d’agir comme tout le monde. Meaulnes parti, je n’étais plus son compagnon d’aventures, le frère de ce chasseur de pistes ; je redevenais un gamin du bourg pareil aux autres.
Et cela était facile et je n’avais qu’à suivre pour cela mon inclination la plus naturelle.
Le cadet des Roy passa dans la rue boueuse, faisant tourner au bout d’une ficelle, puis lâchant en l’air trois marrons attachés qui retombèrent dans la cour. Mon désœuvrement était si grand que je pris plaisir à lui relancer deux ou trois fois ses marrons de l’autre côté du mur.
Soudain je le vis abandonner ce jeu puéril pour courir vers un tombereau qui venait par le chemin de la Vieille-Planche. Il eut vite fait de grimper par derrière sans même que la voiture s’arrêtât. Je reconnaissais le petit tombereau de Delouche et son cheval. Jasmin conduisait ; le gros Boujardon était debout. Ils revenaient du pré.
« Viens avec nous, François ! » cria Jasmin, qui devait savoir déjà que Meaulnes était parti.
Ma foi ! sans avertir personne, j’escaladai la voiture cahotante et me tins comme les autres, debout, appuyé contre un des montants du tombereau. Il nous conduisit chez la veuve Delouche…
Et la suite Biquefarre… (du même Rouquier)
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