J'ai le plaisir aujourd'hui d'accueillir Frank. De mon côté, je suis accueillie par Céline.
Deux contraintes cette fois :
un incipit => Ils vont où les oiseaux
et
un thème => cuisine(s)
Frans SNYDERS Anvers, 1579 - Anvers, 1657 |
- Ils vont où les
oiseaux, Madame ?
- Eh bien
posez-les délicatement sur la table mon Ami… dit-elle d’un ton légèrement
excédé. Elle avait bien d’autres préoccupations que donner des ordres évidents
à des aides encombrants. Enfin, le jour était venu de fêter dignement l’évènement
par un dîner gastronomique dont le clou devait être la révélation de l’œuvre.
Le dîner se devait d’être splendide. Madame Desplat souhaita se surpasser dans
la confection du menu. Elle avait accepté, aussi incroyable que cela put
paraître, la complicité de Carter qui s’était proposé de lui venir en aide,
bien entendu en tant que simple commis parce qu’il avait tant à apprendre sur
la cuisine française... On les vit, sous les halles au marché, choisir les
ingrédients nécessaires pour la préparation du dîner. Ils s’attardèrent devant
l’étal du volailler, à soupeser les bécasses, palper les foies de canard,
inspecter la venaison chez le boucher, trier les meilleurs légumes chez le
marchand de primeurs. Madame Desplat virevoltait d’un étal à l’autre,
condamnait d’une sentence irrévocable le cuissot de chevreuil dont on avait,
d’un geste irresponsable, dépecé la fourrure, mettait sous le nez d’un Carter
attentif et appliqué la tête luisante et grêlée de brindilles d’un cèpe de
Bordeaux, le retournant pour montrer la chair moussue et kaki où le doigt
s’enfonçait, la fermeté rénitente de la queue attaquée par des limaces
connaisseuses, autant de signes qui traduisaient la qualité du produit. Elle
avait manifestement plaisir à instruire Carter de toutes les ficelles
accumulées par des générations avant elle et transmises de bouche de mères à
oreilles de filles. L’attention studieuse qu’il avait, la façon d’incliner la
tête vers elle, de lui sourire en la relevant, de porter sans broncher les
colis de plus en plus pesants qu’elle entassait sur ses bras, cette élégante
humilité qui le faisait se retirer pour la laisser parader dans son rôle
stimulaient son enthousiasme. Loin de lui l’idée de raconter ses longues années
d’apprentissage dans les plus grandes maisons d’Europe et les grandes tables où
il avait appris l’art culinaire ; il ne voulait pas rompre l’entrain qui saupoudrait
de rose les joues de madame Desplat et lui seyait si bien.
La préparation du repas les
occupa toute la journée et ils ne tolérèrent aucune autre personne autour
d’eux. Il obéit aux ordres enjoués de son chef, peler les carottes, vider les
oiseaux après les avoir plumés, exactement comme elle lui avait montré, les
mettre en broche après les avoir lardés et fourrés d’une noix de foie gras de
canard, « juste pour remplacer le manque », préparer le bouillon de
carcasse avec les os du canard, oignons, carottes, poireaux… Elle lui montra comment
désarticuler les bécasses rôties, les parer, ôter la peau de la chair, les
agencer dans la casserole, puis concasser les os et les restes à
réserver ; comment préparer la sauce en faisant revenir dans du beurre,
assaisonné d’une branche de thym et de laurier, quelques échalotes puis
mouiller de bouillon et de vin rouge « attention, pas n’importe quelle
piquette », sel, poivre, une pincée de muscade. Comment la faire réduire
de moitié pour enfin y plonger ce qui a été pilé, faire chauffer, sans
bouillir, et passer le tout à l’étamine, verser la « substantifique
moelle » sur les morceaux de bécasses et faire chauffer le tout au
bain-marie… Carter était rouge de plaisir et d’excitation derrière madame
Desplat qui maniait poêlons et sauciers de main de maître. Les mains dans
le dos, il fronçait les sourcils en observant tous les mouvements qu’elle
réalisait avec précision et efficacité, malgré l’attention qu’elle sentait
peser sur elle. Elle rayonnait sur son terrain de prédilection, fière de
montrer au majordome toute la maitrise de son art, auréolée des vapeurs de
cuisson, parfumée aux bouquets de gibier, les mains ornées de rubis de sang
séché. Il souhaita que jamais ne cessa cet office païen où la puissante
prêtresse sacrifiait goulument sous le tranchant de sa lame, tout ce qui
passait entre ses mains, les cous déplumés, chapelets à la triste peau noire et
ridée, les fanes tremblantes des carottes ligotées, les radicelles dressées sur
la queue des poireaux, jusqu’aux transparentes et légères tuniques des oignons
qui seuls, avaient pu tirer une larme de ses yeux exaltés.
La ronde
tourne cette fois-ci dans le sens suivant, par ordre du tirage au sort
(un clic sur le lien de son blog libère le nom de l’auteur) :
Hélène (simultanées) / chez Franck (à l’envi) / chez Élise (Même si) / chez Céline (mesesquisses) / chez Noël (talipo) / chez Guy (Emaux et gemmes des mots que j’aime ) / chez Dominique H. (Métronomiques) / chez Marie-Christine (Promenades en Ailleurs)/ chez Jean-Pierre (Voir et le dire, mais comment ?) chez Jacques ( jfrisch) / chez Giovanni (Le portrait inconscient) /chez Dominique A. (la distance au personnage)…
Bonne lecture à tous au fil de la ronde !
Dans la cuisine : on y est, on y vit. Quelle admirable manière de faire parler Snyders, on demande du rab.
RépondreSupprimerIl était normal qu'elle soit devenue maîtresse en assiettes préparées, Madame Desplat.
RépondreSupprimerun texte goûteux à souhait !
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