Le chant de la Tamassee de Ron Rash
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharrez
Lee avait l'accent du sud de la Caroline du Sud, un accent qu'il cultivait, je le savais, comme un autre peaufinerait une poignée de main franc-maçonnique alambiquée. Et, d'une certaine façon, c'était bien ce qu'était son accent : un signe d'appartenance. Il fleurait bon les vieilles fortunes et les demeures ancienes, Porter-Gaude Académy et les bals de débutantes à Charleston. (p 19)
***
"J'ai déjà rencontré certains d'entre vous, a-t-il dit, mais, pour les autres, sachez que je m'appelle Peter Brennon. Je suis le propriétaire de la Société des barrages amovibles de de Carbondale, dans l'Illinois. Je suis également l'inventeur de ce type de barrage"
Sa voix avait l'inflexion monocorde, très Midwest, des présentateurs de journaux télévisés. C'était l'inflexion enseignée à Charlotte et à Atlanta -même à Columbia- aux gens du Sud qui avaient honte de parler comme leurs parents et leurs grands-parents. Mais on ne donnait pas ce genre de cours dans le comté d'Oconee.* (p 56)
*pays natal de la narratrice
*pays natal de la narratrice
***
et deux textes en écho ronde autour des accents de septembre 2017
Pau,
milieu des années 70, file du restau U, des américaines, on les
reconnaissait. Indifférentes à l'apparence. Massives, tunique ample, jean informe, petit sac à dos. Toujours en
groupe. Se détachant sa voix à elle, français fluide et accent basque "à
couper au couteau". On disait comme ça alors. Terroir, territoire,
racines, identité, authentique, et la fierté qui va avec, ce serait
plus tard. Cet accent-là on le gardait encore dans l’oreille, il avait quitté nos lèvres sans même qu'on s'en rende compte, « tu parles pointu ou quoi », ils nous disaient, là-bas, des parents de Méharin, elle avait expliqué, à quinze kilomètres de votre lieu de naissance, ils avaient immigré, dans leurs bagages, cette
langue-là.
et le texte passionnant de Giovanni Merloni
J’ai un accent (1)
J’ai toujours aimé les accents, présents
en grand nombre dans la langue française. J’aimais surtout les accents
circonflexes, sans lesquels il n’y aurait pas eu, je crois, des mots
extraordinaires comme débâcle, château, enchevêtrement ou mât. Je m’amusais de même à mettre l’accent aigu sur l’e de Gérard et les deux accents croisés sur les deux e d’Hélène et d’été. J’adorais la halte que m’imposait la recherche sur le clavier du tréma que je devais placer en tête de l’i chaque fois que je rencontrais des mots fabuleux comme Héloïse, naïf, aïeul ou camaïeu.
Je croyais d’abord que cela n’avait pas d’explication, qu’il s’agissait
de l’héritage de façons de s’exprimer venant de loin, de Charlemagne,
Jaufré Rudel et Jeanne d’Arc. J’obéissais à cet ordre calligraphique
sans vraiment comprendre qu’il s’agissait d’une règle utilitaire, ayant
surtout le but d’aider les gens à écrire et prononcer correctement les
mots.
Par rapport à ma langue d’origine, tout
cela me paraissait curieux et compliqué, si l’on considère qu’en italien
les accents sont rares et qu’ils ont surtout la fonction de donner de
la sonorité en plus aux voyelles terminales de certains adverbes comme più, perché ou de verbes comme partì, morì, andò et tornò.
À part cela, la plupart des mots de ma langue d’origine sont
naturellement accentués et cela simplifie beaucoup la compréhension
réciproque entre la langue orale et la langue écrite. Cela n’empêche
qu’en manque d’une adéquate protection institutionnelle de la langue et à
la suite du bombardement télévisé qui a ravagé profondément notre
immense culture, on assiste aujourd’hui à une sensible distance qui va
devenir un gouffre entre la langue des livres et la langue des bars.
D’ailleurs, la liberté absolue dont
jouissent les divers dialectes d’Italie et la fantaisie verbale effrénée
de mes compatriotes ajoutent au manque de contraintes dans la
construction des phrases (où les relatives abondent) un mélange continu
de mots et d’expressions d’invention. Nombreux dictons du dialecte
sicilien ou napolitain, par exemple, sont tranquillement rentrés dans la
langue parlée en Vallée d’Aoste ou à Venise, tandis que dans les
régions méridionales de la péninsule on intègre surtout la langue
de la Capitale. Cette Babel des dialectes se retrouve de plus en plus
dans les textes littéraires. C’est un phénomène sans doute intéressant —
légitimé et même accéléré par la télévision, unique autorité culturelle
à partir des années 80 — qui dévoile une langue en voie de
transformation sous un ciel qui n’a pas envie de se soumettre à
n’importe quelle règle.
Cependant, je vous épargne la longue
lamentation nostalgique sur la beauté et richesse de nos dialectes du
temps où les dialectes mêmes s’enracinaient dans des endroits
circonscrits où la langue se développait harmoniquement avec l’évolution
ou involution de chacune des sociétés humaines concernées… Inutile
d’évoquer une fois de plus les voyages en train dans les années 60 et
70, où les gens de différentes parties d’Italie se rencontraient et
essayaient de se parler, chacun dans son idiome, parfois
incompréhensible…
C’est à l’époque révolue de ces voyages en train que le premier terme qui venait à la bouche c’était celui de l’accent :
— Vous êtes de Parme, n’est-ce pas ? Je le reconnais par votre accent !
— Vous êtes de Parme, n’est-ce pas ? Je le reconnais par votre accent !
À Parme en fait, en plus d’un dialecte typique de la Vallée du Pô, on découvre une façon tout à fait particulière de rouler l’r, à la française.
Pareillement, en Italie, on reconnaît immédiatement un Français par son
accent, que les Italiens aiment beaucoup. En fait, l’accent des
Français, quand ils parlent un italien adouci par cet r un peu
aristocratique, c’est tellement agréable ! Il suffit d’entendre les
chansons de Françoise Hardy, de Charles Aznavour, de Nino Ferré ou
d’Adamo en italien pour savourer cette prononciation magique et
excentrique aussi…
Symétriquement, il ne passe même pas un jour, ici à Paris, qu’on ne me dise pas, en souriant :
— Vous êtes Italien ? On le reconnaît de l’accent !
Cette question est immédiatement suivie par une autre :
— De quelle région d’Italie ?
— Rome.
— Ah, Rome ! Quelle ville merveilleuse…
— Vous êtes Italien ? On le reconnaît de l’accent !
Cette question est immédiatement suivie par une autre :
— De quelle région d’Italie ?
— Rome.
— Ah, Rome ! Quelle ville merveilleuse…
J’arrête ici, même s’il y avait énormément à dire au sujet de l’accent et de son rôle dans les rencontres entre les peuples…
Cependant, pour conclure, je vais
mentionner une région d’Italie vraiment spéciale, où le dialecte de ses
habitants a établi avec la langue nationale un rapport tout à fait
particulier. Pour ne pas être trop analytique, je vais survoler les
nombreux mots et expressions de la langue de Sardaigne qui ont été
transportés dans l’italien que les gens du lieu parlent. Ce qui est
vraiment intéressant et unique, les Sardes —
différemment des habitants des autres régions qui ont du mal à respecter
l’intégrité et la fluidité des mots italiens — s’expriment dans un
Italien impeccable. Pourtant, je n’exagère pas, ils ne posent jamais
l’accent là où on devrait le poser selon la langue officielle. Je
m’explique. Sans que cela soit marqué, dans la langue italienne on est
obligé d’articuler les mots en syllabes, posant l’accent toujours dans
un endroit codifié. Par exemple :
Sono andato al mercato per comprare delle uova(Je me suis rendu au marché pour y acheter des œufs)
doit être scandé et accentué comme ça :
Só-no an-dà-to àl mer-cà-to pér com-prà-re dél-le uò-va
tandis qu’un habitant de la Sardaigne dirait :
Sò-nno àn-dat-to al mér-cat-to per com-prar-re dèl-le uóv-va
(Jé me suis réndu au màrche pour y à-cheter des œ-üfs)
On pourrait faire d’innombrables
exemples : toujours, un habitant de Sardaigne dira de façon impeccable
des expressions qui auront pourtant tous les accents déplacés et
renversés !
Giovanni Merloni
______________(1) Titre emprunté à l’ancien blog de Gabriella Merloni.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire