lundi 20 novembre 2017

"C'était l'inflexion enseignée à Charlotte et à Atlanta -même à Columbia- aux gens (...) qui avaient honte de parler comme leurs parents et leurs grands-parents"


traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharrez

     Lee avait l'accent du sud de la Caroline du Sud, un accent qu'il cultivait, je le savais, comme un autre peaufinerait une poignée de main franc-maçonnique alambiquée. Et, d'une certaine façon, c'était bien ce qu'était son accent : un signe d'appartenance. Il fleurait bon les vieilles fortunes et les demeures ancienes, Porter-Gaude Académy et les bals de débutantes à Charleston. (p 19)

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     "J'ai déjà rencontré certains d'entre vous, a-t-il dit, mais, pour les autres, sachez que je m'appelle Peter Brennon. Je suis le propriétaire de la Société des barrages amovibles de de Carbondale, dans l'Illinois. Je suis également l'inventeur de ce type de barrage"
     Sa voix avait l'inflexion monocorde, très Midwest, des présentateurs de journaux télévisés. C'était l'inflexion enseignée à Charlotte et à Atlanta -même à Columbia- aux gens du Sud qui avaient honte de parler comme leurs parents et leurs grands-parents. Mais on ne donnait pas ce genre de cours dans le comté d'Oconee.* (p 56)
 
                       *pays natal de la narratrice

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      Pau, milieu des années 70, file du restau U, des américaines, on les reconnaissait. Indifférentes à l'apparence. Massives, tunique ample, jean informe, petit sac à dos. Toujours en groupe. Se détachant sa voix à elle, français fluide et accent basque "à couper au couteau". On disait comme ça alors. Terroir, territoire, racines, identité, authentique, et la fierté qui va avec, ce serait plus tard. Cet accent-là on le gardait encore dans l’oreille, il avait quitté nos lèvres sans même qu'on s'en rende compte, « tu parles pointu ou quoi », ils nous disaient, là-bas, des parents de Méharin, elle avait expliqué, à quinze kilomètres de votre lieu de naissance, ils avaient immigré, dans leurs bagages, cette langue-là.

                et le texte passionnant de Giovanni Merloni


Jai un accent (1) 

J’ai toujours aimé les accents, présents en grand nombre dans la langue française. J’aimais surtout les accents circonflexes, sans lesquels il n’y aurait pas eu, je crois, des mots extraordinaires comme débâcle, château, enchevêtrement ou mât. Je m’amusais de même à mettre l’accent aigu sur l’e de Gérard et les deux accents croisés sur les deux e d’Hélène et d’été. J’adorais la halte que m’imposait la recherche sur le clavier du tréma que je devais placer en tête de l’i chaque fois que je rencontrais des mots fabuleux comme Héloïse, naïf, aïeul ou camaïeu. Je croyais d’abord que cela n’avait pas d’explication, qu’il s’agissait de l’héritage de façons de s’exprimer venant de loin, de Charlemagne, Jaufré Rudel et Jeanne d’Arc. J’obéissais à cet ordre calligraphique sans vraiment comprendre qu’il s’agissait d’une règle utilitaire, ayant surtout le but d’aider les gens à écrire et prononcer correctement les mots.
Par rapport à ma langue d’origine, tout cela me paraissait curieux et compliqué, si l’on considère qu’en italien les accents sont rares et qu’ils ont surtout la fonction de donner de la sonorité en plus aux voyelles terminales de certains adverbes comme più, perché ou de verbes comme partì, morì, andò et tornò. À part cela, la plupart des mots de ma langue d’origine sont naturellement accentués et cela simplifie beaucoup la compréhension réciproque entre la langue orale et la langue écrite. Cela n’empêche qu’en manque d’une adéquate protection institutionnelle de la langue et à la suite du bombardement télévisé qui a ravagé profondément notre immense culture, on assiste aujourd’hui à une sensible distance qui va devenir un gouffre entre la langue des livres et la langue des bars.
D’ailleurs, la liberté absolue dont jouissent les divers dialectes d’Italie et la fantaisie verbale effrénée de mes compatriotes ajoutent au manque de contraintes dans la construction des phrases (où les relatives abondent) un mélange continu de mots et d’expressions d’invention. Nombreux dictons du dialecte sicilien ou napolitain, par exemple, sont tranquillement rentrés dans la langue parlée en Vallée d’Aoste ou à Venise, tandis que dans les régions méridionales de la péninsule on intègre surtout la langue de la Capitale. Cette Babel des dialectes se retrouve de plus en plus dans les textes littéraires. C’est un phénomène sans doute intéressant — légitimé et même accéléré par la télévision, unique autorité culturelle à partir des années 80 — qui dévoile une langue en voie de transformation sous un ciel qui n’a pas envie de se soumettre à n’importe quelle règle.
Cependant, je vous épargne la longue lamentation nostalgique sur la beauté et richesse de nos dialectes du temps où les dialectes mêmes s’enracinaient dans des endroits circonscrits où la langue se développait harmoniquement avec l’évolution ou involution de chacune des sociétés humaines concernées… Inutile d’évoquer une fois de plus les voyages en train dans les années 60 et 70, où les gens de différentes parties d’Italie se rencontraient et essayaient de se parler, chacun dans son idiome, parfois incompréhensible…
C’est à l’époque révolue de ces voyages en train que le premier terme qui venait à la bouche c’était celui de l’accent :
— Vous êtes de Parme, n’est-ce pas ? Je le reconnais par votre accent !
À Parme en fait, en plus d’un dialecte typique de la Vallée du Pô, on découvre une façon tout à fait particulière de rouler l’r, à la française. Pareillement, en Italie, on reconnaît immédiatement un Français par son accent, que les Italiens aiment beaucoup. En fait, l’accent des Français, quand ils parlent un italien adouci par cet r un peu aristocratique, c’est tellement agréable ! Il suffit d’entendre les chansons de Françoise Hardy, de Charles Aznavour, de Nino Ferré ou d’Adamo en italien pour savourer cette prononciation magique et excentrique aussi…
Symétriquement, il ne passe même pas un jour, ici à Paris, qu’on ne me dise pas, en souriant :
— Vous êtes Italien ? On le reconnaît de l’accent !
Cette question est immédiatement suivie par une autre :
— De quelle région d’Italie ?
— Rome.
— Ah, Rome ! Quelle ville merveilleuse…
J’arrête ici, même s’il y avait énormément à dire au sujet de l’accent et de son rôle dans les rencontres entre les peuples…
Cependant, pour conclure, je vais mentionner une région d’Italie vraiment spéciale, où le dialecte de ses habitants a établi avec la langue nationale un rapport tout à fait particulier. Pour ne pas être trop analytique, je vais survoler les nombreux mots et expressions de la langue de Sardaigne qui ont été transportés dans l’italien que les gens du lieu parlent. Ce qui est vraiment intéressant et unique, les Sardes différemment des habitants des autres régions qui ont du mal à respecter l’intégrité et la fluidité des mots italiens — s’expriment dans un Italien impeccable. Pourtant, je n’exagère pas, ils ne posent jamais l’accent là où on devrait le poser selon la langue officielle. Je m’explique. Sans que cela soit marqué, dans la langue italienne on est obligé d’articuler les mots en syllabes, posant l’accent toujours dans un endroit codifié. Par exemple :
Sono andato al mercato per comprare delle uova
(Je me suis rendu au marché pour y acheter des œufs)
doit être scandé et accentué comme ça :
Só-no an-dà-to àl mer-cà-to pér com-prà-re dél-le uò-va
tandis qu’un habitant de la Sardaigne dirait :
Sò-nno àn-dat-to al mér-cat-to per com-prar-re dèl-le uóv-va
(Jé me suis réndu au màrche pour y à-cheter des œ-üfs)
On pourrait faire d’innombrables exemples : toujours, un habitant de Sardaigne dira de façon impeccable des expressions qui auront pourtant tous les accents déplacés et renversés !
Giovanni Merloni
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(1) Titre emprunté à l’ancien blog de Gabriella Merloni.
 


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