dimanche 4 août 2024

Lu et vu (110)

 Lu

La Couverture du soldat de Lídía Jorge

« Oui, les amandiers s'étaient couverts de pétales en cette fin d'hiver, pendant un mois de février tiède et humide. Ces arbres réticulés avaient l'air de ne pas exister au milieu des autres arbres et soudain on voyait des pétales sortir de leurs branches fragiles. Un voile de pétales émergeait de ce réseau de néant, recouvrait les champs, les réunissait, comme si un souffle blanc s'élevait au-dessus de la terre pour montrer qu'elle était vivante. Une floraison aussi suave, aussi fine, n'avait jamais eu lieu, ni avant, ni après. Les chemins peu fréquentés étaient couverts de tapis de pétales qui survivaient des jours et des jours sans se faner, et quand ils se fanaient, la fille de Walter se disait que la nature revigorée était prête à défier une temporalité qui jamais ne se répétait.

Elle se souvenait d'images de la nature qui enseignaient que la vie s'écoule irréversiblement. Elle se souvenait de coquelicots rouges ondulant à la surface des champs de blé après les batailles, comme si le sang des hommes se métamorphosait en fleurs de la patrie. Elle se remémorait aussi d'autres passages semblables qui forment les pages tragiques des pays, déclamées en musique après les armistices. Sans le vouloir, en cette fin d'hiver, en parcourant les chemins elle pensait à la bataille sous la neige dans les collines des Ardennes, contemporaine de Walter. Elle reculait dans le temps et pensait aux soldats français renant d'une Moscou glaciale, elle évoquait des images épasses d'autres batailles, puis elle pensait à Hector, qu'elle arait fréquenté pendant les années de L'Iliade, Hector mort, transporté en grande pompe sur un char, sous les murailles de Troie. Comment aurait-elle pu évoquer d’autres images dispersées, limitée qu'elle était par l'insignifiance des vagues informations qui lui étaient parvenues sur les faits, confondus dans le souvenir de son âme intime, face au grand absolu qui s'inscrit toujours dans le temps et jamais ne se répète ni ne s'arrête. Cette grande mer en mouvement. Mais, par-delà l'infiniment insignifiant que sa mémoire retenait par bribes et par-delà le glissement véloce de cet immense océan extérieur, se dressait, vigoureux et tangible, ce qu'elle aimait. Elle savait depuis longtemps que pour elle, en certaines nuits de pluie, l'histoire de l'humanité était beaucoup moins importante que celle de son père, même s'il était indigne de le penser et encore plus de le dire, fût-ce à voix basse. Voilà pourquoi elle aurait aimé que Walter, qui avait reçu le sobriquet de soldat, soit mort près d'un champ de bataille »

Le musée des contradictions d’Antoine Wauters

« Rongés par la stupeur d'en être réduits à ça (si peu d'intensité, de joie), on cherche la direction de la vie. Sa localisation. Quelle voie ? Quel ciel ? Où est-elle, hein ? Derrière quelles oreilles pleines de poils se trouve la putain de direction de la vie, Mamy ?

Tu sais, hier, on a pris des photos de notre nouveau tatouage. Sur la fesse... Le dragon, oui. Et on les a balancées sur la toile, car on en était fiers, en même temps que, déjà, on en était lassés.

Un rien nous réjouit.

Un rien nous flingue.

Où sont les haricots à couper ? Quelles sont nos tâches du jour ? Des ordres. On veut des ordres et les aboiements de la douceur, Mamy.

Tu te souviens quand on venait dormir chez vous, au village de Fraiture, au sommet du col du même nom, au numéro 54 de la rue du même nom ? Arracher les mauvaises herbes, cueillir les groseilles, laver les poireaux et les couper en prévision des soupes à venir, c'était ça, la direction. À présent, on a le cul entre le fauteuil à oreilles de la nostalgie et celui du rien. Des merles mélancoliques. De tristes merles qui, quoi qu'ils fassent, n'en finissent pas de faire signe à l'enfant de jadis. Toute notre vie ressemble à ça, à une chambre d'enfant. Même nos tatouages sont des dessins d'enfant. Quel adulte sérieux se dessinerait un dauphin sur le bras, Mamy? Ou un dragon, hein ? Qui se laisserait

 dévaster le triceps par les traits approximatifs de la pieuvre dessinée par son fils de 3 ans ?

Les magasins qu'on ouvre ? Des cavernes d'Ali Baba du regret. Ce qu'on y vend ? Les cendres de nos années de bonheur. Radiocassettes, survêtements Adidas. Du kitsch. Les tasses en porcelaine dans lesquelles vous buviez, les mêmes que les vôtres, oui. La marque Boch.

Hier, ces pensées nous ont sapé le moral.

Le monde ne nous suffisait plus. Comme s'il se détachait de nous, tels ces voiliers qui quittaient le port quand vous nous emmeniez à Ostende et Middelkerke, l'été venu. Comme si rien ne restait en nous plus de quelques instants. Comme si notre mémoire était un fantôme passé à la centrifugeuse.

On était un petit peu à cran, hier. »

Vu

Cinéma 

Six pieds sur terre de Karim Bensalah

Gondola de Veit Helmer

Spectacle 

dans le cadre de Un été à Pau, au Théâtre de Verdure Solann

la cavalcade de Mendionde

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