dimanche 11 août 2024

Lu et vu (111)

 Lu

Le café sans nom de Robert Seethaler

TU L'AS VU ? Blanc comme un linge. Carrément livide, et ces cernes qu'il a sous les yeux. Et puis maigre comme un coucou avec ça. Mais en fin de compte pas mal. Mieux qu'avant. Certains hommes, la maladie leur va bien. D'autres c'est la mort. Au premier abord on ne le reconnaissait pas. Il débarque comme un revenant et commence par vider les cendriers. Avant de dire bonjour. Un patron de café n'a pas besoin d'être poli. Il faudrait complètement cesser d'être poli, il faudrait dire la vérité.La vérité et la politesse s'excluent pour ainsi dire l'une l'autre. On n'en est pas là tout de même. Le principal, c'est d'avoir l'air aimable. Et tout le monde était content qu'il soit revenu. Mais qu'est-ce qu'il avait, finalement ?Une grippe? En plein été ? Les gens n'ont plus aucune résistance. Je n'ai jamais été malade de ma vie. Même les accouchements ne m'en ont pas vraiment fait voir. Moi si. Ça m'a complètement déchirée là en bas. Les enfants je les ai payés cher, par des années de vie! Ça, tu ne peux pas le savoir, sans les enfants tu serais peut-être partie depuis longtemps. Je vais te confier un secret: c'est juste pour rester jeune que j'ai eu les enfants. Ce n'est pas un secret, on le fait toutes. Mais ça ne sert à rien. Pour arrêter le temps, Pour arrêter le temps, tu fais des enfants, l’un après l'autre, et un beau jour ton giron est asséché. On ne peut pas arrêter le temps, voilà. J'ai mal au coeur. Eh bien cesse de boire autant de café. Depuis que j'y mets un doigt de cognac, je le supporte mieux. Tu vois, il y a une solution à tout. Maintenant, c'est Rudolf Kirchschläger qui est président. Il paraît qu'il prend tous les jours un bain de pieds dans de l'eau vinaigrée. Incroyable. J'aurais bien accordé encore un moment à Franz Jonas. Ça, c'était un homme bien. Maintenant il n'est plus rien. N'empêche que Kirchschläger est séduisant. Bien plus séduisant que Jonas. Il n'a pas de mal. Et pas de mérite. Le physique on n'y peut rien. Quand j'étais jeune, on m'a dit une fois : Chère demoiselle, vous êtes trop belle pour moi, je le sais, mais je tente tout de même ma chance, voulez-vous venir au cinéma? Quelle ineptie! Tu l'as envoyé promener? Non, je l'ai épousé. Je n'ai jamais vraiment compris les hommes, mais j'aimais bien les avoir à mon côté. L'amour ne m'a jamais fait mal. Mon père disait toujours : les souffrances ne sont que les petits coups de griffe de la vie. Là où ça devient grave, c'est quand on cesse de les ressentir. Un homme intelligent, sauf qu'ensuite il s'est mis à boire. Les hommes intelligents se mettent à boire et les imbéciles te racontent un beau jour qu'ils voudraient revenir dans le sein maternel. Ou peut-être que c’est le contraire. J'ai perdu un peu le fil. Dans les deux cas c’est minable. Quand je ne comprenais pas un homme, je me contentais de sourire. Je crois que j’ai passé la moitié de ma vie à sourire. On boit encore quelque chose ? Bien entendu. Dieu soit loué, je commençais à m’inquiéter. (p 119-121)


Voix endormies de Dulce Chacón


Souvenirs d’un futur radieux de José Vieira


La vie rêvée des plantes de Lee Seung-U

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