dimanche 8 juin 2025

Lu et vu (151)

 Lu

Les inconfiants de Tatiana Arfel, images de Julien Cordier 

On m'a donné des médicaments, pour la tête. Mon corps seul a répondu. Je peux à nouveau me déplacer, mais ça ne sert à rien. Me déplacer pour aller où ? Pour faire quoi ? Aller vers qui ? Un sirop noir, dégoulinant, a recouvert toutes mes envies. Ce n'est pas la peine. Ça ne changera rien. Quoi que tu fasses, tu n'iras pas bien loin. Les gens tombent amoureux, et puis après, ils se déchirent. Les gens font des enfants, ces enfants vont mourir. Les gens font la révolution, le nouveau régime est pire qu'avant. Les gens vont au travail, s'en plaignent leur vie durant, sont en retraite enfin, et ils plongent dans l'enfer du vide. Trop de temps.

On appelle ça une « dépression », c'est le médecin qui me l'a dit. Dans mon milieu [esthéticienne], ça ne se fait pas.

Tiens bien debout, petit soldat, ne te plains pas, ne te congratule pas, avance droit, fais ce qu'on attend de toi.

Ma famille n'est pas venue. Ils ne comprennent pas.

Et ils ont bien raison. J'ai honte. Rien de grave ne m'est arrivé. J'avais un emploi et un appartement, mon chat était en bonne santé. Et pourtant, à terre, à terre, le sirop noir m'a engluée, et c'est comme si, comment dire, il recouvrait toute la vitre qui me cache l'alentour, maintenant.

Puis « dépression », qu'est-ce que ça veut dire ? Le médecin avance qu'il s'agit d'un état passager. Il ne sait pas. Il ne peut pas savoir. Il n'y a plus de haut duquel on aurait chuté. Une fois dans le sirop, le sirop a toujours existé. Il poisse rétrospectivement mes jeunes années. Rien n'y a eu de valeur, rien ne mérite que je vive. (p 9)

La perte du temps de Werner Lambersy

Vu

Comédies tragiques de Catherine Anne, spectacle des ateliers adulte, théâtre Les Explorateurs mené par Claire Chaperot

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