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mercredi 30 septembre 2015
dimanche 27 septembre 2015
une familiarité avec la mort
oui, hier deux personnes sont mortes. Le premier, c'était simple, on lui a apporté son goûter et au souper il était sur son lit, " pausatua zen" il reposait. Pour le second, ça s'est passé dans la nuit, il y avait la famille, c'est plus compliqué, il faut s'en occuper, l'entourer, proposer du café, ces choses, mais vous savez, certains aiment bien s'en aller seuls, la fille ou le fils est là qui veille, il sort le temps d'aller aux toilettes ou de prendre l'air dans le couloir et au retour, ça y est, c'est fini
jeudi 24 septembre 2015
au parc
Raymond Chandler Lettres tome 1
traduit de l'américain par Michel Doury
7 mars 1947
à Mrs. Robert J. Hogan
... Une de mes particularités en tant qu'écrivain, et une de mes difficultés, c'est que je ne veux rien élaguer. Je ne peux pas oublier que j'ai eu une raison, une sensation, pour écrire cela, et je ne veux pas couper, pour rien au monde. Une autre de mes bizarreries (et j'y crois absolument) est qu'²on ne sait jamais où en est l'histoire avant d'avoir fini le premier jet. C'est pourquoi je considère toujours ce premier jet comme un matériau brut. Ce qui dedans semble vivant, c'est ce qui va. On ne peut pas combiner une histoire : il faut la distiller. Au bout du compte, si peu qu'on en parle ou qu'on y pense, ce qu'il y a de plus durable, c'est le style; et c'est le meilleur investissement qu'un écrivain puisse faire de son temps. Le revenu est lent, ça fera ricaner votre agent littéraire, votre éditeur n'y comprendra rien, et ce sont des gens dont on n'a jamais entendu parler qui les convaincront petit à petit que l'écrivain qui met sa marque individuelle sur ce qu'il écrit est toujours un bon placement. On n'y parvient pas en essayant, car le style auquel je songe est une projection de la personnalité, et avant de pouvoir projeter une personnalité, il convient d'en avoir une. Mais si c'est le cas, on ne peut la projeter sur le papier qu'en pensant à autre chose.
En un sens, il y a une ironie là-dessous : je suppose que c'est la raison pour laquelle dans une génération d'écrivains « fabriqués », j'affirme qu'on ne peut pas fabriquer un écrivain. Se préoccuper de style ne suffit pas. La saveur de ce que fait un écrivain n'est pas affectée de façon sensible par toutes les révisions et tout le polissage que l'on voudra. C'est le produit de la qualité de ses émotions et de ses perceptions; c'est la faculté de les transcrire sur le papier qui fait l'écrivain...
25 mai 1957
à Melba Greene
. Accepter un genre médiocre et en faire quelque chose qui ressemble à de la littérature n'est pas une mince performance. On me dit—ce n'est pas moi qui l'invente—qu'aujourd'hui des centaines d'écrivains vivent plus ou moins bien du roman policier parce que j'en ai fait un genre respectable, et même digne. Mais, bon Dieu, que faire d'autre quand on écrit ? On fait de son mieux dans un certain genre. J'ai eu de la chance, et cela en a inspiré d'autres, on dirait. Steinbeck et moi, nous espérions que l'écrivain contemporain dont on se souviendrait et dont on honorerait la mémoire serait un inconnu, peut-être bien supérieur à nous, mais qui n'aurait pas eu notre chance ou notre énergie. Un écrivain digne de ce nom, qui se considère parfois comme un artiste, aimerait mieux être oublié pour que l'on se souvienne d'un meilleur que lui. Nous ne sommes pas toujours très gentils, mais nous avons un idéal fondamental qui nous élève au-dessus de nous-mêmes Bien sûr, il existe des écrivains vulgaires et vénaux, mais un écrivain véritable, quand il tombe sur quelque chose de bon, fait dans son cœur une prière silencieuse pour que « ce type soit meilleur que moi ». Celui qui sait écrire une page de prose vivante ajoute quelque chose à notre vie, et celui qui le peut, comme moi, est certainement le dernier à s'offenser de rencontrer un autre écrivain qui peut faire encore mieux. Un artiste ne saurait nier l'art. Un amoureux ne peut nier l'amour. Si vous croyez à un idéal, vous ne le possédez pas, c'est lui qui vous tient, et vous ne voudrez certainement pas l'arrêter à vos propres limites pour des motifs commerciaux.
vendredi 18 septembre 2015
jeudi 17 septembre 2015
vieillir : mots oubliés
la débandade, bien sûr, on le savait, on l'avait lu, les noms propres joueraient à cache-cache dans notre bouche et à l'instant de sortir se réfugieraient dans un quelconque repli intérieur et alors même que vous les auriez oubliés surgiraient et vous feraient la nique mais, un nom commun, non, vous ne vous y attendiez pas, un texto, écrire merci pour votre ... ? et buter, merci pour votre quoi, chercher, une obscurité flottante, de vagues contours, tâtonner, un mot comme prévenance, un mot gentil et réconfortant, puis battre en retraite, après tout si ça se trouve vous l’aviez rêvé ce mot, pourtant le lendemain, il était là, vous ne l'aviez pas appelé, il se pressait "sollicitude", merci pour votre sollicitude, quels mots il nous resterait si celui-là, précisément, nous abandonnait ?
mardi 15 septembre 2015
La ronde (14) : vacance (s)
Ronde (14) : Vacance(s)
La ronde est un échange périodique de blog à blog sous forme de boucle, mis en ligne le 15 du mois. Le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième et ainsi de suite.
Sur le thème de Vacance (s), j'ai le plaisir aujourd'hui d'accueillir Hélène
encriers
C’est
une plage rose ponctuée de rochers noirs. Une immensité sans mesure
dans la lumière des jours sans fin. Autant ou peut-être plus de grains
de sable ici que d’humains sur la planète et dans la vacuité de l’été,
chacun de réfléchir aux façons de compter l’incommensurable avant de
trouver refuge dans le renoncement. Ce sont les vacances.
Des
oiseaux minuscules plongent, piqués de blancs froufrous, là où finit la
terre et s’arrêtent les vagues — le sol est couvert de petits poissons
bleus d’argent surpris par le reflux. Un sillon creusé sur la plage
sépare le peuple des humains nus de celui des vêtus. Mais la frontière
est passoire, les quolibets fusent. Ce sont les vacances.
L’enfant
aime les plumes. Nous les ramassons, collées de sable, raides de sel.
Après avoir compté le grain des plages, humains et animaux, la hauteur
des marées, le nombre de jours du cycle de la lune, nous piquâmes la
plume dans l’encrier de sable pour écrire les heures, la course du
soleil et celle des saisons, dans les suspens de l’ombre.
#343 signes, 3 fois
Erquy, août 2015
Jean-Pierre,http://voirdit.
Céline, http://mesesquisses.over-blog.
Guy, http://wanagramme.blog.
Hélène, http://simultanees.blogspot.
Elise, http://mmesi.blogspot.fr/
Franck, http://quotiriens.blog.
Jacques, http://2yeux.blog.lemonde.fr/
Dominique A, http://dom-a.blogspot.fr/
vendredi 11 septembre 2015
vendredi 4 septembre 2015
"La langue basque est un chant..."
Shibumi Trevanian
p 48, 49
— Vous cherchez M. Hel ? lui dit-il.
(...)
Il finit par lui expliquer comment se rendre au château d'Etchebar. D'abord, il fallait franchir le gave de Tardets (le r roulé, les deux t et le s appuyés), puis traverser Abense-le-Haut (cinq syllabes, le h et le t appuyés) et ensuite monter jusqu'à Lichans (pas de nasale, prononcer le s) et à l'embranchement, prendre à droite vers les collines d'Etchebar ; pas le chemin de gauche, qui vous mènerait à Licq.
— Est-ce loin d'ici ?
— Non, pas très loin. Mais vous ne voulez pas aller à Licq, de toute façon ?
— Je veux dire Etchebar ! Sommes-nous loin d'Etchebar ?
Hannah était dans un tel état de tension nerveuse et d'épuisement que le simple fait d'obtenir un renseignement d'un Basque lui paraissait au-dessus de ses forces.
— Non, ce n'est pas loin. Peut-être à deux kilomètres après Lichans.
— Et à quelle distance est Lichans ?
I1 haussa les épaules.
—Oh! ça doit bien être à deux kilomètres après Abense-le-Haut. Vous ne pouvez pas le manquer. Sauf si vous tournez à gauche après l'cmbranchement. Alors là, vous le manqueriez, parce que vous arriveriez à Licq, vous comprenez ?
Il finit par lui expliquer comment se rendre au château d'Etchebar. D'abord, il fallait franchir le gave de Tardets (le r roulé, les deux t et le s appuyés), puis traverser Abense-le-Haut (cinq syllabes, le h et le t appuyés) et ensuite monter jusqu'à Lichans (pas de nasale, prononcer le s) et à l'embranchement, prendre à droite vers les collines d'Etchebar ; pas le chemin de gauche, qui vous mènerait à Licq.
— Est-ce loin d'ici ?
— Non, pas très loin. Mais vous ne voulez pas aller à Licq, de toute façon ?
— Je veux dire Etchebar ! Sommes-nous loin d'Etchebar ?
Hannah était dans un tel état de tension nerveuse et d'épuisement que le simple fait d'obtenir un renseignement d'un Basque lui paraissait au-dessus de ses forces.
— Non, ce n'est pas loin. Peut-être à deux kilomètres après Lichans.
— Et à quelle distance est Lichans ?
I1 haussa les épaules.
—Oh! ça doit bien être à deux kilomètres après Abense-le-Haut. Vous ne pouvez pas le manquer. Sauf si vous tournez à gauche après l'cmbranchement. Alors là, vous le manqueriez, parce que vous arriveriez à Licq, vous comprenez ?
Les vieux joueurs de cartes avaient abandonné leur partie et s'étaient assemblés derrière le patron du café, intrigués par toutes ces histoires autour de cette touriste étrangère. I1 y eut une brève discussion en basque et on convint que si la fille prenait le chemin de gauche elle tomberait sur Licq. Mais alors, Licq n'était pas un si mauvais village. N'était-ce pas là que s'était passée la fameuse histoire du pont de Licq construit avec l'aide des lutins de la montagne qui...
— Ecoutez, implora Hannah, y a-t-il quelqu'un qui pourrait me conduire au château d'Etchebar ?
— Ecoutez, implora Hannah, y a-t-il quelqu'un qui pourrait me conduire au château d'Etchebar ?
(...)
p 190, 191
Après avoir découvert qu'il avait presque perdu l'usage de sa voix, il se força à parler pendant plusieurs heures chaque jour, inventant une conversation ou se racontant à voix haute l'histoire politique et la vie intellectuelle des pays dont il parlait la langue.
Les premiers temps, il fut gêné de parler tout seul, craignant que les gardiens ne pensent qu'il avait l'esprit dérangé. Mais penser tout haut devint vite machinal et il finit par marmonner toute la journée. De ses années de prison, Hel conserva toute sa vie l'habitude de parler à voix si sourde que seule la grande netteté de sa prononciation le rendait compréhensible.
À l'avenir, cette voix précise et sourde devait produire un effet glaçant sur les gens que son étrange profession l'amena à rencontrer. Quant à ceux qui commettaient l'erreur fatale de le tromper, leur cauchemar était de l'entendre murmurer dans l'ombre.
Le premier dicton du livre de proverbes était : Zahar hitzak, zuhur hitzak, qui était traduit: "Les vieux dictons sont des dictons sensés." Son dictionnaire ne lui donna que la signification du mot Zahar : vieux. Ses premières annotations dans sa grammaire improvisée furent :
Zuhur= sensé
Pluriel basque:"ak ou zak
Radical pour "adages/dictons" "hit" ou "hitz". hibou hitz
Remarque: verbe dire/parler" probablement construit sur ce radical.
Remarque: possible que des constructions parallèles ne nécessitent pas de verbe.
À partir de ces éléments succincts, Nicholaï construisit une grammaire de la langue basque, mot à mot, concept par concept, construction par construction. Dès le début, il s'obligea à prononcer à voix haute les mots qu'il apprenait, afin de les garder vivants à l'esprit. Sans conseil, il fit plusieurs erreurs qui devaient à jamais marquer sa prononciation, pour la plus grande joie de ses amis basques. Par exemple, il décida que le h devait être muet comme en français. De même il dut choisir comment prononcer le x basque parmi un éventail de possibilités. Ce pouvait être z, ou sh ou tch, ou le guttural ch germanique. Il choisit arbitrairement ce dernier. A tort, pour son plus grand embarras.
Son existence quotidienne était à présent remplie, comblée même, d'occupations dont il ne se lassa jamais. Petit déjeuner et douche froide commençaient sa journée. Après avoir brûlé son trop-plein d énergie avec quelques mouvements de gymnastique, il se donnait une demi-heure de méditation. Puis l'étude du basque l'occupait jusqu'au dîner. Après quoi il faisait encore quelques exercices physiques jusqu'à ce que son corps fût rompu de fatigue. Une autre demi-heure de méditation. Et le sommeil.
Les premiers temps, il fut gêné de parler tout seul, craignant que les gardiens ne pensent qu'il avait l'esprit dérangé. Mais penser tout haut devint vite machinal et il finit par marmonner toute la journée. De ses années de prison, Hel conserva toute sa vie l'habitude de parler à voix si sourde que seule la grande netteté de sa prononciation le rendait compréhensible.
À l'avenir, cette voix précise et sourde devait produire un effet glaçant sur les gens que son étrange profession l'amena à rencontrer. Quant à ceux qui commettaient l'erreur fatale de le tromper, leur cauchemar était de l'entendre murmurer dans l'ombre.
Le premier dicton du livre de proverbes était : Zahar hitzak, zuhur hitzak, qui était traduit: "Les vieux dictons sont des dictons sensés." Son dictionnaire ne lui donna que la signification du mot Zahar : vieux. Ses premières annotations dans sa grammaire improvisée furent :
Zuhur= sensé
Pluriel basque:"ak ou zak
Radical pour "adages/dictons" "hit" ou "hitz". hibou hitz
Remarque: verbe dire/parler" probablement construit sur ce radical.
Remarque: possible que des constructions parallèles ne nécessitent pas de verbe.
À partir de ces éléments succincts, Nicholaï construisit une grammaire de la langue basque, mot à mot, concept par concept, construction par construction. Dès le début, il s'obligea à prononcer à voix haute les mots qu'il apprenait, afin de les garder vivants à l'esprit. Sans conseil, il fit plusieurs erreurs qui devaient à jamais marquer sa prononciation, pour la plus grande joie de ses amis basques. Par exemple, il décida que le h devait être muet comme en français. De même il dut choisir comment prononcer le x basque parmi un éventail de possibilités. Ce pouvait être z, ou sh ou tch, ou le guttural ch germanique. Il choisit arbitrairement ce dernier. A tort, pour son plus grand embarras.
Son existence quotidienne était à présent remplie, comblée même, d'occupations dont il ne se lassa jamais. Petit déjeuner et douche froide commençaient sa journée. Après avoir brûlé son trop-plein d énergie avec quelques mouvements de gymnastique, il se donnait une demi-heure de méditation. Puis l'étude du basque l'occupait jusqu'au dîner. Après quoi il faisait encore quelques exercices physiques jusqu'à ce que son corps fût rompu de fatigue. Une autre demi-heure de méditation. Et le sommeil.
p 236
Quand Hel et Le Cagot étaient rompus de fatigue, les genoux et les coudes à vif, l'avant-bras trop raide pour serrer le manche du piolet, ils s'endormaient à l'abri de la artzain xola, cette cabane que les bergers utilisent pendant les pâturages d'été sur les flancs du pic d'Orhy, le plus haut sommet du Pays basque. Trop tendus pour trouver rapidement Ic sommeil, ils bavardaient pendant que le vent mugissait le long des pentes sud de la montagne. C'est là que Hel entendit pour la première fois l'adage énonçant que le Basque, où qu'il soit dans le monde, aspire toujours avec nostalgie à retourner à Eskual-Herri.
Orhiko choria Orhin laket. "Les oiseaux d'Orhy ne se plaisent qu'à Orhy."
Orhiko choria Orhin laket. "Les oiseaux d'Orhy ne se plaisent qu'à Orhy."
(... )
p 258, 259
Ils n'échangèrent pas un mot jusqu'au dernier sursaut orangé de la flamme, jusqu'à ce que le miroitement des parois soit remplacé par les points de lumière qui se mirent à danser dans leurs yeux contraints de s'accoutumer à la lueur comparativement faible de leurs lampes frontales. La voix de Le Cagot était inhabituellement étouffée quand il déclara:
—Nous l'appellerons la Caverne Zazpiak Bat.
Hel hocha la tête. Zazpiak Bat, "Sept en Une". La devise de ceux qui cherchaient à réunir les sept provinces basques en une seule république transpyrénéenne. Un rêve impossible, et qui n'était pas même souhaitable, mais un but pour des hommes qui préféraient l'attrait romantique du danger à la sécurité et à l'ennui, des hommes capables de cruauté et de stupidité, certes, mais jamais de médiocrité et de couardise. Il était bon que le rêve insensé de la nation basque fût représenté par une caverne de contes de fées pratiquement inaccessible.
Hel s'accroupit et mesura approximativement la distance jusqu'au sommet de la cascade avec son clinomètre; puis il se plongea dans ses calculs.
—Nous sommes presque à la hauteur du torrent d'Holcarté. La résurgence ne doit pas être loin.
—D'accord, dit Le Cagot. Mais où est la rivière ? Qu'est-ce que tu en as fait ?
Il était vrai que la rivière avait disparu. Disloquée par la chute d'eau, elle s'était enfoncée dans les crevasses et les fissures et devait couler à l'étage inférieur. Il y avait deux possibilités. Soit elle ressortirait à nouveau à l'intérieur du réseau quelque part devant eux, soit elle disparaîtrait définitivement dans les crevasses au pied de la cascade pour ne réapparaître que dans la gorge. Cette dernière leur ôterait à jamais l'espoir de la victoire finale en les empêchant de suivre le cours d'eau à
la nage jusqu'à l'air libre. Elle rendrait également inutile la longue veille des jeunes spéléologues qui campaient près du point d'émergence.
Le Cagot prit la tête pour traverser la Caverne Zazpiak Bat, ainsi qu'il le faisait toujours lorsque la progression devenait raisonnablement facile. Tous deux savaient que Nicholaï était un meilleur technicien du rocher; Le Cagot n'avait pas besoin de l'admettre, ni Hel de le faire remarquer. L'un remplaçait l'autre, simplement et automatiquement, suivant la configuration du réseau. Hel menait dans les cheminées, les abîmes, le long des corniches; Le Cagot prenait sa place quand ils entraient dans les grottes et les passages spectaculaires, que par conséquent il découvrait et "baptisait".
Dès qu'il était en tête, Le Cagot éprouvait la portée de sa voix dans la cavité, entonnant l'une de ces mélodies basques qui démontrent la capacité de ce peuple à supporter l'horreur la plus inesthétique. La mélodie contenait une suite d'onomatopées allant de l'imitation des bruits à celle des états émotionnels. Dans le refrain de la chanson de Le Cagot, il était question d'un travail bâclé (kirrimarra) effectué par un homme dans un état de précipitation confuse (tarrapatakan).
—Nous l'appellerons la Caverne Zazpiak Bat.
Hel hocha la tête. Zazpiak Bat, "Sept en Une". La devise de ceux qui cherchaient à réunir les sept provinces basques en une seule république transpyrénéenne. Un rêve impossible, et qui n'était pas même souhaitable, mais un but pour des hommes qui préféraient l'attrait romantique du danger à la sécurité et à l'ennui, des hommes capables de cruauté et de stupidité, certes, mais jamais de médiocrité et de couardise. Il était bon que le rêve insensé de la nation basque fût représenté par une caverne de contes de fées pratiquement inaccessible.
Hel s'accroupit et mesura approximativement la distance jusqu'au sommet de la cascade avec son clinomètre; puis il se plongea dans ses calculs.
—Nous sommes presque à la hauteur du torrent d'Holcarté. La résurgence ne doit pas être loin.
—D'accord, dit Le Cagot. Mais où est la rivière ? Qu'est-ce que tu en as fait ?
Il était vrai que la rivière avait disparu. Disloquée par la chute d'eau, elle s'était enfoncée dans les crevasses et les fissures et devait couler à l'étage inférieur. Il y avait deux possibilités. Soit elle ressortirait à nouveau à l'intérieur du réseau quelque part devant eux, soit elle disparaîtrait définitivement dans les crevasses au pied de la cascade pour ne réapparaître que dans la gorge. Cette dernière leur ôterait à jamais l'espoir de la victoire finale en les empêchant de suivre le cours d'eau à
la nage jusqu'à l'air libre. Elle rendrait également inutile la longue veille des jeunes spéléologues qui campaient près du point d'émergence.
Le Cagot prit la tête pour traverser la Caverne Zazpiak Bat, ainsi qu'il le faisait toujours lorsque la progression devenait raisonnablement facile. Tous deux savaient que Nicholaï était un meilleur technicien du rocher; Le Cagot n'avait pas besoin de l'admettre, ni Hel de le faire remarquer. L'un remplaçait l'autre, simplement et automatiquement, suivant la configuration du réseau. Hel menait dans les cheminées, les abîmes, le long des corniches; Le Cagot prenait sa place quand ils entraient dans les grottes et les passages spectaculaires, que par conséquent il découvrait et "baptisait".
Dès qu'il était en tête, Le Cagot éprouvait la portée de sa voix dans la cavité, entonnant l'une de ces mélodies basques qui démontrent la capacité de ce peuple à supporter l'horreur la plus inesthétique. La mélodie contenait une suite d'onomatopées allant de l'imitation des bruits à celle des états émotionnels. Dans le refrain de la chanson de Le Cagot, il était question d'un travail bâclé (kirrimarra) effectué par un homme dans un état de précipitation confuse (tarrapatakan).
(...)
p 267, 271
Pendant leur expédition souterraine, un renversement inhabituel des conditions atmosphériques s'était produit dans les montagnes, créant ce phénomène des plus dangereux que l'on appelle un jour blanc.
Depuis plusieurs jours, Hel et ses coéquipiers savaient qu'un jour blanc approchait. Comme chez tout montagnard de Haute Soule, leur inconscient percevait les changements atmosphériques que l'on pouvait lire dans l'éloquent ciel basque à mesure que les vents dominants tournaient sur le cadran de la boussole. D'abord, l'Ilharra, le vent du nord, qui balaie les nuages du ciel et apporte sa lumière froide, bleu-vert, auréolant la montagne de brume. Le temps de l'Ipharra est court, car bientôt le vent tourne à l'est et fraîchit, se transformant en Iduzkihaizea, le "vent du soleil, qui se lève le matin et tombe au coucher du soleil, créant le paradoxe des après-midi frais et des soirées chaudes. L'atmosphère est à la fois humide et claire, les contours des paysages aigus, particulièrement quand le soleil est bas et que ses rayons obliques jouent sur les formes d'un buisson ou d'un arbre ; mais l'humidité bleuit et brouille les détails dans le lointain des sommets, adoucissant les contreforts, estompant la lisière entre cimes et ciel. Puis un matin, l'air devient brusquement pur comme le cristal, et les montagnes au loin ont perdu leur auréole bleue ; elles se sont rapprochées de la vallée, leurs crêtes gravées sur le bleu ardent du ciel. L'Hego-churia, "le vent blanc du sud-ouest, s'est levé. En automne, l'Hego-churia persiste parfois pendant des semaines, et c'est alors la grande saison du Pays basque. Avec un certain sens de l'équilibre, la splendeur de l'Hego-churia est suivie de la fureur de l'Haize-hegoa, le vent sec du sud, qui rugit sur les flancs de la montagne, fait claquer les volets dans les villages, soulève les tuiles des toits, brise les arbres les plus jeunes, charrie des tourbillons de poussière sur le sol. Le paradoxe étant la norme basque, ce vent dangereux a la consistance d'un velours chaud. Même quand il rugit au plus fort dans les vallées et empoigne les maisons tout au long de la nuit, les étoiles brillent dans le ciel. Vent capricieux, il mollit et se tait pour revenir soudain avec violence, détruisant le travail de l'homme, éprouvant l'œuvre de Dieu, abrégeant les colères, usant les nerfs avec son hurlement continu dans les rues et ses plaintes qui s'engouffrent dans les cheminées. Parce qu'il est changeant et dangereux, superbe et sans pitié, énervant et sensuel, l'Haize-hegoa symbolise souvent la Femme chez les Basques. Enfin tombé, le vent du sud tourne à l'ouest, porteur de pluie et de gros nuages gris bordés d'argent. I1 est - comme toujours en ce pays - un vieux dicton qui dit : Hegoak hegala urean du, "le vent du sud vole avec une aile dans l'eau . La pluie du sud-ouest tombe lourde et droite, fertilisant la terre. Mais le vent change à nouveau et lui succède le Haizebliza, le "mauvais vent", avec ses rafales de pluie horizontale sous lesquelles le parapluie n'est plus qu'une inutile et perfide protection. Puis, un soir, sans prévenir, le ciel s'éclaircit et le vent de terre tombe, bien que les déplacements d'air en altitude continuent à disperser des bandes de nuages s'effilant à l'horizon. Quand le soleil se couche, des archipels chimériques de flocons glissent à toute allure vers le sud où ils s'amoncellent, dorés et roux, contre les flancs des hautes montagnes.
Splendeur d'une nuit. Le matin suivant apporte la lumière verdâtre de l'Ipharra. Le vent du nord est revenu. Le cycle recommence.
Si ces vents tournent régulièrement autour des points cardinaux, chacun avec ses caractéristiques propres, on ne peut malgré tout affirmer que le temps est prévisible au Pays basque, car certaines années il y a trois ou quatre cycles, et d'autres uniquement un. Qui plus est, chaque vent dominant offre des variations de force et de durée. Ainsi, un vent peut souvent changer de personnalité dans la nuit, offrant le lendemain matin un visage différent. I1 y a aussi les temps d'équilibre entre deux vents, quand aucun n'est assez fort pour dominer. Alors, le montagnard basque dit: "I1 n'y a pas de temps aujourd'hui."
Et quand il n'y a pas de temps, pas de mouvement dans la montagne, vient parfois le tueur magnifique, le jour blanc. Un épais manteau de brume se déploie, d'un blanc que le soleil rend éblouissant. Brûlant les yeux, impénétrable, si dense et brillant que la main tendue devient une ombre et que les pieds se perdent dans des reflets laiteux, un grand jour blanc crée des sensations plus dangereuses que l'obscurité, le vertige et l'inversion sensorielle. Un montagnard expérimenté peut trouver son chemin dans la nuit la plus noire. La diminution de la vue déclenche un renforcement des autres sens ; la caresse du vent sur sa joue lui indique un obstacle ; le roulement des cailloux lui donne l'inclinaison du sol et la distance qui le sépare du bas de la pente. Et l'obscurité n'est jamais totale : l'œil perçoit toujours une certaine lumière dans le ciel.
Mais dans un jour blanc, aucune de ces réactions sensorielles ne vient compenser l'absence de vue. Le nerf optique, ébloui par la lumière, persiste à communiquer au système nerveux central qu'il est capable d'y voir, entraînant un relâchement de l'ouïe et du toucher. Aucune indication de distance n'est donnée par le vent, puisque vent et jour blanc ne coexistent pas. Chaque bruit est trompeur, car il porte loin et clair dans l'air lourd, mais semble venir de partout à la fois, comme le bruit sous l'eau.
C'est dans un jour blanc que Hel sortit de l'obscurité de la cavité. Pendant qu'il détachait son harnais, la voix de Le Cagot lui parvint de quelque part au bord du gouffre.
(...)
Depuis plusieurs jours, Hel et ses coéquipiers savaient qu'un jour blanc approchait. Comme chez tout montagnard de Haute Soule, leur inconscient percevait les changements atmosphériques que l'on pouvait lire dans l'éloquent ciel basque à mesure que les vents dominants tournaient sur le cadran de la boussole. D'abord, l'Ilharra, le vent du nord, qui balaie les nuages du ciel et apporte sa lumière froide, bleu-vert, auréolant la montagne de brume. Le temps de l'Ipharra est court, car bientôt le vent tourne à l'est et fraîchit, se transformant en Iduzkihaizea, le "vent du soleil, qui se lève le matin et tombe au coucher du soleil, créant le paradoxe des après-midi frais et des soirées chaudes. L'atmosphère est à la fois humide et claire, les contours des paysages aigus, particulièrement quand le soleil est bas et que ses rayons obliques jouent sur les formes d'un buisson ou d'un arbre ; mais l'humidité bleuit et brouille les détails dans le lointain des sommets, adoucissant les contreforts, estompant la lisière entre cimes et ciel. Puis un matin, l'air devient brusquement pur comme le cristal, et les montagnes au loin ont perdu leur auréole bleue ; elles se sont rapprochées de la vallée, leurs crêtes gravées sur le bleu ardent du ciel. L'Hego-churia, "le vent blanc du sud-ouest, s'est levé. En automne, l'Hego-churia persiste parfois pendant des semaines, et c'est alors la grande saison du Pays basque. Avec un certain sens de l'équilibre, la splendeur de l'Hego-churia est suivie de la fureur de l'Haize-hegoa, le vent sec du sud, qui rugit sur les flancs de la montagne, fait claquer les volets dans les villages, soulève les tuiles des toits, brise les arbres les plus jeunes, charrie des tourbillons de poussière sur le sol. Le paradoxe étant la norme basque, ce vent dangereux a la consistance d'un velours chaud. Même quand il rugit au plus fort dans les vallées et empoigne les maisons tout au long de la nuit, les étoiles brillent dans le ciel. Vent capricieux, il mollit et se tait pour revenir soudain avec violence, détruisant le travail de l'homme, éprouvant l'œuvre de Dieu, abrégeant les colères, usant les nerfs avec son hurlement continu dans les rues et ses plaintes qui s'engouffrent dans les cheminées. Parce qu'il est changeant et dangereux, superbe et sans pitié, énervant et sensuel, l'Haize-hegoa symbolise souvent la Femme chez les Basques. Enfin tombé, le vent du sud tourne à l'ouest, porteur de pluie et de gros nuages gris bordés d'argent. I1 est - comme toujours en ce pays - un vieux dicton qui dit : Hegoak hegala urean du, "le vent du sud vole avec une aile dans l'eau . La pluie du sud-ouest tombe lourde et droite, fertilisant la terre. Mais le vent change à nouveau et lui succède le Haizebliza, le "mauvais vent", avec ses rafales de pluie horizontale sous lesquelles le parapluie n'est plus qu'une inutile et perfide protection. Puis, un soir, sans prévenir, le ciel s'éclaircit et le vent de terre tombe, bien que les déplacements d'air en altitude continuent à disperser des bandes de nuages s'effilant à l'horizon. Quand le soleil se couche, des archipels chimériques de flocons glissent à toute allure vers le sud où ils s'amoncellent, dorés et roux, contre les flancs des hautes montagnes.
Splendeur d'une nuit. Le matin suivant apporte la lumière verdâtre de l'Ipharra. Le vent du nord est revenu. Le cycle recommence.
Si ces vents tournent régulièrement autour des points cardinaux, chacun avec ses caractéristiques propres, on ne peut malgré tout affirmer que le temps est prévisible au Pays basque, car certaines années il y a trois ou quatre cycles, et d'autres uniquement un. Qui plus est, chaque vent dominant offre des variations de force et de durée. Ainsi, un vent peut souvent changer de personnalité dans la nuit, offrant le lendemain matin un visage différent. I1 y a aussi les temps d'équilibre entre deux vents, quand aucun n'est assez fort pour dominer. Alors, le montagnard basque dit: "I1 n'y a pas de temps aujourd'hui."
Et quand il n'y a pas de temps, pas de mouvement dans la montagne, vient parfois le tueur magnifique, le jour blanc. Un épais manteau de brume se déploie, d'un blanc que le soleil rend éblouissant. Brûlant les yeux, impénétrable, si dense et brillant que la main tendue devient une ombre et que les pieds se perdent dans des reflets laiteux, un grand jour blanc crée des sensations plus dangereuses que l'obscurité, le vertige et l'inversion sensorielle. Un montagnard expérimenté peut trouver son chemin dans la nuit la plus noire. La diminution de la vue déclenche un renforcement des autres sens ; la caresse du vent sur sa joue lui indique un obstacle ; le roulement des cailloux lui donne l'inclinaison du sol et la distance qui le sépare du bas de la pente. Et l'obscurité n'est jamais totale : l'œil perçoit toujours une certaine lumière dans le ciel.
Mais dans un jour blanc, aucune de ces réactions sensorielles ne vient compenser l'absence de vue. Le nerf optique, ébloui par la lumière, persiste à communiquer au système nerveux central qu'il est capable d'y voir, entraînant un relâchement de l'ouïe et du toucher. Aucune indication de distance n'est donnée par le vent, puisque vent et jour blanc ne coexistent pas. Chaque bruit est trompeur, car il porte loin et clair dans l'air lourd, mais semble venir de partout à la fois, comme le bruit sous l'eau.
C'est dans un jour blanc que Hel sortit de l'obscurité de la cavité. Pendant qu'il détachait son harnais, la voix de Le Cagot lui parvint de quelque part au bord du gouffre.
(...)
Son humeur se déchaînant, Le Cagot étendit la malédiction à tous les étrangers qui polluent la montagne : touristes, campeurs, chasseurs et surtout ces skieurs, sportifs trop ramollis pour monter à pied et qui vous envahissent de leurs affreuses installations, de leurs horribles chalets, de leurs baraques à distractions. Les emmerdeurs! C'est après avoir eu affaire à ces skieurs mal embouchés et à leurs nanas ridicules que, le huitième jour, Dieu avait créé les pistolets!
Un des vieux bergers opina gravement du bonnet et admit que tous les étrangers sans exception sont malfaisants. Atzerri, otzerri (L'étranger à l'étranger)
Suivant le rituel des conversations entre inconnus, Hel répondit à ce vieux dicton par :
—Mais je suppose que chori bakhoitzari eder bere ohantzea (pour chaque oiseau, son nid est beau).
—C'est vrai, dit Le Cagot. Zahar hitzak, zuhur hitzak.
Hel sourit. C'étaient les premiers mots de basque qu'il avait appris, des années plus tôt, dans sa cellule de la prison Sugamo.
Ils mangèrent et burent sans plus parler devant le soleil qui se couchait, attirant dans son sillage la nappe dorée des nuages. Un des jeunes spéléologues s'étira avec un soupir de satisfaction et déclara que c'était ça la vie. Hel sourit en lui-même, sachant que ce ne serait sans doute pas cette vie-là qu'aurait le jeune homme, déjà contaminé par la radio et la télévision. Comme la plus grande partie de la jeune génération basque, il finirait probablement dans une usine en ville, sa femme aurait un réfrigérateur, et lui boirait du Coca-Cola dans un café aux tables en plastique - la bonne vie, produit du Miracle économique français.
—C'est la vraie vie, prononça lentement Le Cagot. J'ai voyagé, j'ai tenu le monde dans la paume de ma main, comme une pierre aux veines colorées, et j'ai découvert ceci : un homme n'est vraiment heureux que lorsqu'il trouve l'équilibre entre ce qu'il désire et ce qu'il possède. Comment trouve-t-on cet équilibre ? L'une des solutions serait d'accroître ses propres biens au niveau de ses appétits, mais ce serait stupide. Cela signifierait l'accomplissement de choses peu naturelles - négocier, marchander, travailler. Alors ? Alors, le sage atteint l'équilibre en réduisant ses besoins au niveau de ses possessions. Et c'est encore plus facile si l'on sait apprécier à sa juste valeur ce que la vie vous donne gratuitement: les montagnes, la gaieté, la poésie, le vin offert par un ami, les femmes un peu moins jeunes, un peu moins minces. Pour ma part, je suis parfaitement heureux avec ce que je possède. L'essentiel est que j'en aie suffisamment!
—Le Cagot ? demanda l'un des vieux contrebandiers, en s'installant confortablement dans un coin de l'artzain xola. Raconte-nous une histoire.
—Oui, renchérit son compagnon. Une histoire d'autrefois.
En vrai poète populaire, qui préfère la parole à l'écriture, Le Cagot commença à tisser les fils de ses fables de sa belle voix de basse, tandis que chacun écoutait ou somnolait. Ils connaissaient tous ces histoires, mais leur plaisir tenait à l'art du conteur. Et la langue basque est mieux adaptée à la fiction qu'à l'échange d'informations. Personne ne peut apprendre à s'exprimer harmonieusement en basque ; on naît avec ce don comme on naît avec des yeux noirs ou un groupe sanguin particulier. La langue est subtile et obéit à des règles imprécises, avec ses circonlocutions, ses déclinaisons vagues, ses doubles conjugaisons, ses tournures périphrasiques, avec ses anciennes formes narratives mêlées a des formes verbales rigides. La langue basque est un chant, et si les étrangers peuvent en apprécier les paroles, ils ne peuvent jamais en maîtriser la musique.
Le Cagot leur raconta l'histoire de la Basa-andere, la Femme Sauvage qui tue les hommes de la façon la plus merveilleuse. L'on sait que la Basa-andere est très belle, que son corps est fait pour l'amour, et que la fourrure dorée qui la recouvre tout entière est étrangement attirante. Si, par malheur, un homme la rencontre dans la forêt (elle se tient toujours à genoux près d'un ruisseau, en train de démêler sa fourrure avec un peigne d'or), elle se tourne vers lui, lui sourit, s'étend et s'offre à lui. Chacun sait qu'elle donne un plaisir si intense que l'homme meurt en jouissant, mais pourtant nombreux sont ceux qui ont accepté de plein gré cette mort, le dos arqué dans l'agonie d'un plaisir indescriptible.
—C'est vrai, dit Le Cagot. Zahar hitzak, zuhur hitzak.
Hel sourit. C'étaient les premiers mots de basque qu'il avait appris, des années plus tôt, dans sa cellule de la prison Sugamo.
Ils mangèrent et burent sans plus parler devant le soleil qui se couchait, attirant dans son sillage la nappe dorée des nuages. Un des jeunes spéléologues s'étira avec un soupir de satisfaction et déclara que c'était ça la vie. Hel sourit en lui-même, sachant que ce ne serait sans doute pas cette vie-là qu'aurait le jeune homme, déjà contaminé par la radio et la télévision. Comme la plus grande partie de la jeune génération basque, il finirait probablement dans une usine en ville, sa femme aurait un réfrigérateur, et lui boirait du Coca-Cola dans un café aux tables en plastique - la bonne vie, produit du Miracle économique français.
—C'est la vraie vie, prononça lentement Le Cagot. J'ai voyagé, j'ai tenu le monde dans la paume de ma main, comme une pierre aux veines colorées, et j'ai découvert ceci : un homme n'est vraiment heureux que lorsqu'il trouve l'équilibre entre ce qu'il désire et ce qu'il possède. Comment trouve-t-on cet équilibre ? L'une des solutions serait d'accroître ses propres biens au niveau de ses appétits, mais ce serait stupide. Cela signifierait l'accomplissement de choses peu naturelles - négocier, marchander, travailler. Alors ? Alors, le sage atteint l'équilibre en réduisant ses besoins au niveau de ses possessions. Et c'est encore plus facile si l'on sait apprécier à sa juste valeur ce que la vie vous donne gratuitement: les montagnes, la gaieté, la poésie, le vin offert par un ami, les femmes un peu moins jeunes, un peu moins minces. Pour ma part, je suis parfaitement heureux avec ce que je possède. L'essentiel est que j'en aie suffisamment!
—Le Cagot ? demanda l'un des vieux contrebandiers, en s'installant confortablement dans un coin de l'artzain xola. Raconte-nous une histoire.
—Oui, renchérit son compagnon. Une histoire d'autrefois.
En vrai poète populaire, qui préfère la parole à l'écriture, Le Cagot commença à tisser les fils de ses fables de sa belle voix de basse, tandis que chacun écoutait ou somnolait. Ils connaissaient tous ces histoires, mais leur plaisir tenait à l'art du conteur. Et la langue basque est mieux adaptée à la fiction qu'à l'échange d'informations. Personne ne peut apprendre à s'exprimer harmonieusement en basque ; on naît avec ce don comme on naît avec des yeux noirs ou un groupe sanguin particulier. La langue est subtile et obéit à des règles imprécises, avec ses circonlocutions, ses déclinaisons vagues, ses doubles conjugaisons, ses tournures périphrasiques, avec ses anciennes formes narratives mêlées a des formes verbales rigides. La langue basque est un chant, et si les étrangers peuvent en apprécier les paroles, ils ne peuvent jamais en maîtriser la musique.
Le Cagot leur raconta l'histoire de la Basa-andere, la Femme Sauvage qui tue les hommes de la façon la plus merveilleuse. L'on sait que la Basa-andere est très belle, que son corps est fait pour l'amour, et que la fourrure dorée qui la recouvre tout entière est étrangement attirante. Si, par malheur, un homme la rencontre dans la forêt (elle se tient toujours à genoux près d'un ruisseau, en train de démêler sa fourrure avec un peigne d'or), elle se tourne vers lui, lui sourit, s'étend et s'offre à lui. Chacun sait qu'elle donne un plaisir si intense que l'homme meurt en jouissant, mais pourtant nombreux sont ceux qui ont accepté de plein gré cette mort, le dos arqué dans l'agonie d'un plaisir indescriptible.
mardi 1 septembre 2015
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