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mercredi 18 juin 2025

à pied (28)

 


s’arrêter aux mêmes endroits, 


les redécouvrir sans cesse,

chemins familiers

mardi 17 juin 2025

lundi 16 juin 2025

Conversation (43)

À partir du bois de palettes, son mari a bricolé une jardinière, elle reprend Non une balconnière, avec fierté, tendresse aussi Il a tout fait lui-même, admirer la balconnière  posée contre la palissade marron orangé de leur petite terrasse Il l’a peinte aussi, j’avais pourtant bien pris du Rouge Basque, oui ça existe, j’en ai trouvé chez Leroy Merlin mais ça rend pas pareil, c’est terne, ah ! tu crois que si ça ressort pas c’est parce que c’est pas sur du blanc, comme là-bas sur les façades ?

dimanche 15 juin 2025

Lu et vu (152)

 Lu

Comme nous existons de Kaoutar Harchi

La ronde des poupées de Tatiana Arfel

Je vais rester là pour souffler un peu. Ces toilettes bien tenues, bien propres, très liquide bleu, me réconfortent. Elles sont le lieu de l'organique vaincu. Abritent l'urine, les excréments et le sang et continuent à sentir l'eau de Javel, le citron synthétique, la lavande fantasmée. J'ai presque une heure devant moi. Après le déjeuner j'irai préparer la réunion, ne prêter le flanc à aucune critique, tous les graphistes sous mes ordres sont des hommes qu'il faut tenir comme des chiots excités. J'y parviens généralement. Le fait que je ne réponde à aucune provocation ne fait certes pas avancer socialement les choses, qu'y puis-je si on nous a toutes isolées chacune pour soi, mais il les a menés à me percevoir comme une sorte de dame au cœur de glace, une sorcière que rien ne peut atteindre, s'ils savaient. Je suis chaque jour défaite. Je fais illusion par la parure et la parole, brève et sèche. Mais je suis une imposture. Au miroir je délaisse mon visage, que le maquillage a figé avec succès, pour regarder mes jambes dans mon nouveau collant de l'hypermarché. Et je les vois.

Les collants de ma mère, beige grisé taille cinq, achetés par trois chez Prisunic, les moins chers, le bas de gamme.

D'abord pliés dans leur habitacle commun, puis sur elle. jambes grises, puis jetés, distendus, on voit le renfort à la pointe des pieds et à l'entrejambe, il est beige foncé. Et moi toujours en colère, qui me demande pourquoi elle n'en achète pas d'autres, ce sont des collants de vieille dame et elle n'a pas quarante ans, ils sont en mousse mate, ils sont laids, ternissent la jambe, alors qu'on en trouve en voile bril lant pour le même prix. Je suis en colère car elle pourrait se faire jolie, je dis elle pourrait mais elle ne peut pas, elle achète des collants beige grisé et de vastes culottes beige et des soutiens-gorge sans dentelle, elle s'en fiche, ça ou autre chose, c'est juste le minimum pour sortir dans la rue, il faut bien mettre des dessous et tout passe en machine sans encombre, puisque c'est déjà fané avant. Et pour le reste, plaire, elle ne veut pas, plus, depuis longtemps, si longtemps que je ne me souviens plus de ma mère prenant soin d'elle, alors que des photos, qui datent de quand j'avais un an ou deux, témoignent du contraire: de beaux bas, des jupes légères, un rouge à lèvres cerise et profusion de boucles brunes. Un jour, plus rien, la mauvaise farce d'un mariage qui ne tient pas, d'un homme enfui, et arrivent les collants beige grisé achetés par trois chez Prisunic, et ces collants trainent partout, dans le salon, dans l'entrée, pas dans leur emballage, non, déjà portés, encore gonflés des jambes de ma mère. Quand les camarades viennent j'inspecte l'appar-tement, parce que le public et le privé s'entrechoquent, parce que la douleur et la solitude du corps abandonné s'offrent à tous, et les collants, les culottes s'étalent, les vêtements sales sont roulés en boule à même le sol. Je suis en colère parce qu'elle n'a plus la force d'être une femme, qu'elle est allongée sur son canapé-lit toute la journée face à la télévision, elle me fait signe de me pousser si je passe devant l’écran. (p 84, 85)



Mon corps. Toujours au miroir je n'ai pu m'empêcher de le détailler à son tour. Il a ses propres défauts. Il est un peu rond, les hanches trop fortes par rapport aux épaules. Je le vois, et pourtant ce n'est pas grave. Seule la mort l'est, et il n'est pas encore temps. L'âge m'a fait du bien. Il y a quelque chose d'une intensité de souffrance qui s'est apaisée avec les années. Je ne suffoque plus, à me regarder, comme quand j'étais adolescente. Les rides sont un prix raisonnable pour cette paix relative. Je ne me compare plus non plus aux autres femmes. Je les trouve belles chacune, belles comme des ilots de solitude gitant ici et là, et courageuses aussi, à promener comme moi leur image dans le monde au milieu de toutes les injonctions esthétiques. Il faut du culot pour sortir dans la rue quand on n'est pas parfaite, parfaite comme l'exigent à chaque instant la mode le cinéma les affiches des arrêts de bus ou les canons de santé, et pourtant nous sommes là, nous travaillons, nous rions, nous aimons. (p 107)


Vu 


Cinéma

The Life Of Chuck de Mike Flanagan


Théâtre 

Les Fourberies de Scapin mis en scène par Murielle Hayette-Holtz


Festival écopoétique Le Murmure du Monde dans le Val d’Azun autour de la librairie Le Kairn (Arras-en-Lavedan)

samedi 14 juin 2025

chez le généraliste, salle d’attente

retrouver une famille d’anciens élèves, un frère une sœur, le mari a fait chauffeur, son inquiétude fébrile plane au-dessus de nous, elle, regard doré, bon sourire de toujours mais le cheveu grisonnant et broussailleux, les épaules affaissées, quelque chose d’usé raviné, l’image-même de  bout du rouleau, des heures et des heures de ménage, elle s’est écroulée de fatigue sur le parking d’un supermarché, pompiers urgences, une bonne partie de la nuit là-bas avec sa fille, une ordonnance à prendre, elle est encore avec eux, pas de lycée donc ce matin Je voudrais faire médecine, penser Et pas en cours ? une belle jeune fille, de longues mains élégantes, un foulard noir retient sa chevelure et dégage l’ovale parfait de son visage, lointaine cinquième, la croiser quelques jours plus tard en ville, sa mère va mieux, un peu de repos et elle  a repris le travail, et elle, Parcours Sup a tranché, la voilà prise en première année de médecine à Pau, sourire radieux, elle s’échappe légère, un envol

vendredi 13 juin 2025

offrandes aux dieux

elle a quatre-vingt-douze ans, sa fille L’eau de Lourdes elle a déjà mais, une bougie pour l’orage, oui, tu peux,  se rappeler, roulements lointains, tiximistak, des éclairs, orzia le tonnerre, signe de croix, la main tremblante, en perdre les allumettes, le cierge, de ce côté-ci orage ortzia du nom même de la divinité dans la mythologie basque, que s’éloigne donc Ortzia ! vieille langue paysanne, Ah ! tu dis comme ça, ici [de l’autre côté de la frontière, vers Saint-Sébastien, Pampelune, Vitoria ou encore Bilbao], on dit ekaitza, les bougies l’eau se signer, superstitions tout  ça, on riait persiflait, pourtant, drames collectifs et des bougies aux fenêtres, sur les lieux de la perte, frêles mais vives, leurs flammes, des fleurs aussi, des dessins, des mots, communion, un temps suspendu, face à la violence des hommes des éléments, plaider une innocence, suppliques silencieuses, s’incliner, gestes immémoriaux

mardi 10 juin 2025

Conversation (42)

 Cracovie, au marché, tout petit comptoir,  thés, cafés, à boire sur place ou à emporter, on s’y serre les coudes, parle, la pluie le beau temps, elle, bien campée, petite trentaine, consultante dans une grande entreprise et l’aisance qu’on leur prête C’est vrai que 7, 8 degrés le matin, ça surprend, d’ailleurs j’ai eu mal à la gorge, pas grave, je pars toujours avec une valise de médicaments, ben ! oui, c’est gratuit, un peu de Doliprane et hop ! c’est passé comme ça, aux Etats-Unis, ça t’ouvre même des portes, quand je leur montre et que je dis Servez-vous Free, ils ouvrent de ces yeux, t’as pas idée, free, ils ont du mal à y croire

lundi 9 juin 2025

et au bout du chemin (14)


 

un ciel laiteux, 

ça grimpe bien un peu mais pas longtemps, 


pluie et orage des derniers jours, 

attendue et c’est là, 

la cascade du Séris, 

sa puissance,


à peine 3/4 d’heure au-dessus de Laruns, 

passer l’église 

puis la Poste

un panneau jaune et tout droit

dimanche 8 juin 2025

Lu et vu (151)

 Lu

Les inconfiants de Tatiana Arfel, images de Julien Cordier 

On m'a donné des médicaments, pour la tête. Mon corps seul a répondu. Je peux à nouveau me déplacer, mais ça ne sert à rien. Me déplacer pour aller où ? Pour faire quoi ? Aller vers qui ? Un sirop noir, dégoulinant, a recouvert toutes mes envies. Ce n'est pas la peine. Ça ne changera rien. Quoi que tu fasses, tu n'iras pas bien loin. Les gens tombent amoureux, et puis après, ils se déchirent. Les gens font des enfants, ces enfants vont mourir. Les gens font la révolution, le nouveau régime est pire qu'avant. Les gens vont au travail, s'en plaignent leur vie durant, sont en retraite enfin, et ils plongent dans l'enfer du vide. Trop de temps.

On appelle ça une « dépression », c'est le médecin qui me l'a dit. Dans mon milieu [esthéticienne], ça ne se fait pas.

Tiens bien debout, petit soldat, ne te plains pas, ne te congratule pas, avance droit, fais ce qu'on attend de toi.

Ma famille n'est pas venue. Ils ne comprennent pas.

Et ils ont bien raison. J'ai honte. Rien de grave ne m'est arrivé. J'avais un emploi et un appartement, mon chat était en bonne santé. Et pourtant, à terre, à terre, le sirop noir m'a engluée, et c'est comme si, comment dire, il recouvrait toute la vitre qui me cache l'alentour, maintenant.

Puis « dépression », qu'est-ce que ça veut dire ? Le médecin avance qu'il s'agit d'un état passager. Il ne sait pas. Il ne peut pas savoir. Il n'y a plus de haut duquel on aurait chuté. Une fois dans le sirop, le sirop a toujours existé. Il poisse rétrospectivement mes jeunes années. Rien n'y a eu de valeur, rien ne mérite que je vive. (p 9)

La perte du temps de Werner Lambersy

Vu

Comédies tragiques de Catherine Anne, spectacle des ateliers adulte, théâtre Les Explorateurs mené par Claire Chaperot

samedi 7 juin 2025

au marché (32)

 oignons blancs annonce le petit panneau, se saisir d’une botte, le maraîcher Là, c’est du rouge, Non, c’est pas pareil, le blanc est très bien, parfumé, doux mais je préfère celui-ci, comment vous dire, il a plus de caractère, d’ailleurs c’est comme ça que j’ai choisi ma femme, elle, sur ces entrefaites, une cagette de radis à la main Ben heureusement que j’en ai du caractère, vaut mieux pour faire une vie avec toi, ils rient ensemble

vendredi 6 juin 2025

Petites choses (106) qui amusent

 


jouer à la touriste en sa ville, prendre le funiculaire Ah ! c’est pas payant ? et se faire transporter vers la ville haute, comme une autre dans le compartiment petite vidéo, les grands arbres, les massifs d’hortensia en fleur, les drapeaux sur le boulevard des Pyrénées, 


se retourner, la gare s’éloigne, croiser le funiculaire qui descend, le préposé déverrouille  salue, Merci beaucoup, Bonne journée, nos cartes postales

jeudi 5 juin 2025

Petites choses qui (105) réjouissent le cœur

 à contrejour par une allée du parc du château, sur la petite crête, une silhouette dansante, grandes boucles brunes à hauteur d’épaule, elle ? la reconnaître avant même qu’elle ne soit à votre hauteur, se sourire largement. Se superpose l’image de la toute jeune femme connue dix ans plus tôt. Une petite dernière de famille de quatre. Pas tout à fait trente ans qui avait pris avec maestria les rennes d’un échange scolaire de deux semaines. Conversations d’alors, on la charriait gentiment Non, des enfants, la famille, jamais, mon truc c’est voyager, faire du surf, une coloc’ dans une grande maison avec jardin, c’est bon. Depuis, la croiser de loin en loin, au parc, vers Franqueville, au bord du gave, seule, avec un compagnon, puis le même et elle s’excusant presque On a acheté ensemble un grand appartement près de chez toi, plus tard encore, toujours tous les deux, un chien follet court autour d’eux, On est allé le chercher à la SPA, et enfin en ce jour ombreux, vient-elle vraiment de caresser légèrement  presque furtivement son ventre ? Revenir vers elle, les vacances prochaines, les suppressions de poste puis Je peux commencer à le dire, je suis en enceinte de trois mois, elle rosit, une onde de douceur dans le bruissement des grands arbres, elle rayonne

mercredi 4 juin 2025

Petites choses (104) qui réjouissent le cœur

 


avec de petits bouquets grappillés en chemin, 


le sentiment délicieux et sans conséquences de ne pas être tout à fait dans les clous

autour de trois hortensias du jardin d’enfance

mardi 3 juin 2025

soif, à même la flaque

 


quand je leur donne le grain aux poules, je mets à côté dans de petits récipients de l’eau propre


mais les canards y te leur viennent et salissent tout, et ça aime pas l’eau sale, une poule



lundi 2 juin 2025

cimetière /zydowski (7)

 

à gauche de l’entrée du Nouveau Cimetière Juif de Cracovie, dans l’angle, des jeunes gens de quinze, seize ans font cercle autour d’une guide, les profs veillent, ils sont attentifs. elle parle français, un français fluide légèrement rocailleux, bribes, tendre l’oreille Le royaume de Pologne… l’empire austro-hongrois… la Prusse… les costumes traditionnels encore portées dans les mariages à la campagne… une respiration, elle agite les mains, capte à nouveau leur attention, toute leur attention Pour les juifs, comment vous expliquer ? je vais prendre mon exemple, je suis polonaise, eh! bien, je n’arrive toujours pas à tout à fait les comprendre, je suis attachée à ma terre, à mon pays, eux, non, ils vont, viennent, c’est un peuple nomade.  

dimanche 1 juin 2025

Lu et vu (150)

 Lu 

Le bal des célibataires de Pierre Bourdieu 

Un homme en harmonie de Frédéric H. Fajardie 

Vu

Spectacle 

Carmen. réécriture de François Grémaud interprété par Rosemary Standley

samedi 31 mai 2025

boîte à livres, ce qu’on abandonne

 

un guide du routard mais qui pour rêver encore d’aller, sac à dos, par les chemins de Syrie ? 

vendredi 30 mai 2025

un vendredi soir à Cracovie

 

7 heures du soir, la queue auprès d’un camion 


presque adossé au viaduc de la gare de Grzegórzki et à deux pas d’une avenue très passante,

griller des saucisses, toute une organisation et un savoir-faire ; au Rynek Glówny, place du marché, se pressent les visiteurs de passage. 

mercredi 28 mai 2025

au marché (30) arracher quelques petits sous de plus

 


de grosses mottes de beurre, quelques œufs, pas beaucoup, elles ne doivent pas pondre, il fait trop froid, encore l’hiver à Cracovie, 


des fleurs du jardin, le muguet est en fleur, croiser de par la ville plusieurs personnes un petit bouquet bien serré dans la main, premières pivoines, 

mardi 27 mai 2025

Cracovie, à la Poste

 


de tout à vendre, cartes postales, magnets, produits de beauté, insecticides, boissons, livres, journaux, jeux, friandises, petite papeterie…


…s’approcher du comptoir [un autre bureau], télescopage de nos anglais laborieux, Dix timbres pour l’Europe ? sursaut indigné Très cher, dix zlotys ! sourire prévenant, elle agite une planche de timbres, Alors… combien ? l’air contrit Deux elle respire. 

10 zlotys : 2, 35 euro

dimanche 25 mai 2025

Lu et vu (149)

Lu 

Je ressemble à une chambre noire de Roja Chamankar
Si belles et fraîches étaient les roses de Nella Bielski

Vu

Cinéma

Jeunes mères des frères Dardenne

à Cracovie

château royal Wawel 


la basilique cathédrale Saints-Stanislas-et-Wenceslas du Wawel

la Vieille Synagogue

exposition : Traces de la mémoire au Galicia Jewish Museum

(…) Un dernier point important à souligner est la maniere dont l’exposition a été aménagée. À la suite de cette introduction, s'enchainent cinq parties. Cela s'explique par la complexité des sujets abordés. Nous voulions éviter de classer les photographies dans des propos inappropriés, des généralités stéréotypées. A la place, nous proposons une vision pluridimensionnelle et des perspectives multiples sur les différents sujets photographiés. 

Il y a en réalité cinq messages simples que nous voulions suggérer, cinq façons ou approches de par lesquelles l'absence tragique des Juifs après l'Holocauste peut être observée : la tristesse induite par les ruines; l'intérêt pour la culture d'origine, l'horreur face aux procédés de la destruction, et la reconnaissance des problèmes rencontrés en se confrontant au passé, incluant à la fois l'effacement des traces de la mémoire, mais également les efforts mis en œuvre pour la préserver et se remémorer. Afin de souligner l'absence de la population juive, vous ne trouverez aucun individu dans les photographies des quatre premières sections. 

Cependant, la dernière section renverse ce parti-pris en se focalisant sur les personnes aujourd'hui impliquées, de différentes manières, commémorant et honorant le souvenir du passé juif en Galicie, en célébrant sa culture, et en contribuant à la présence juive et à son renouveau. La réalité d'aujourd'hui présentée par cette exposition contient ces cinq messages simultanément: les ruines ainsi que les restaurations, l'absence ainsi que la présence.

 C'est un orchestre de voix qui doivent toutes être entendues. 


Les traces de la mémoire laissées au dépens du hasard témoignent d'une réalité complexe.

Il ne reste qu'une seule tombe au cimetière de Wola Duchacka à Cracovie, qui fut entièrement détruit par les Allemands pour installer le camp de concentration KL Plaszów. Pour beaucoup de Juifs, cette photographie est peut-être une représentation poignante de la façon dont ils perçoivent la présence juive en Pologne aujourd'hui: un cimetière de l'Holocauste, sans relief et vide, excepté pour quelques reliques fortuites. Pourtant, faut-il voir dans cette solitaire pierre tombale la dernière trace d'un passé juif d'avant-guerre, ou bien un symbole de la catastrophe qui l'a englouti ? Il n'y a pas de réponse simple à cela. Il semble que ces deux interprétations se justifient, dans une ambiguïté  révélatrice de la complexité des événements. 



Traces de l'emplacement d'une mezouza


Les Juifs ont le devoir religieux de fixer un petit rouleau de parchemin contenant des textes bibliques, appelé mezouza, sur l'encadrement de leur porte. Son but est de rappeler aux Juifs leur identité spirituelle et morale. Ces traces indiquent qu'il s'agissait autrefois d'une maison juive. On peut encore observer de telles traces de mezouza aujourd'hui à l'entrée des maisons privées de certaines villes de Galice, et parfois même de petits villages isolés. Bien que ces traces disparaissent lorsque les encadrements de porte sont rénovés par les nouveaux propriétaires, tant qu'elles perdurent, elles constituent un témoignage poignant et public marquant physiquement l'absence des Juifs de leurs anciennes demeures.



Une pierre tombale juive utilisée pour le pavage


Sur ordre allemand, les pierres tombales étaient souvent retirées des cimetières juifs pendant la guerre pour être réutilisées comme matériaux de construction. Les Polonais locaux se servaient également des pierres, surtout après la guerre, longtemps après que les Juifs aient été emmenés. Dans le village isolé de Wielkie Oczy (près de la frontière ukrainienne), un agriculteur local a montré au photographe une pierre tombale que son beau-père avait prise au cimetière juif pour l'utiliser comme pavage devant l'entrée de sa maison. Il l'avait posé face cachée, mais le fermier était toujours mal à l'aise à cause de ce qui avait été fait et voulait rendre la pierre au cimetière. Elle est brisée en deux mais sinon presque intacte, avec une inscription hébraïque parfaitement conservée.



La pierre tombale décorée d'un cohen, prêtre juif qui a béni le monde.


Les symboles étaient très courants sur les pierres tombales juives de Galicie. Les mains représentées ici montrent la bénédiction rituelle de la congrégation, prononcée à la synagogue par les « cohanimi », un petit groupe au sein du peuple juif descendant des prêtres des temps bibliques, qui la récitent les mains levées. Le plan de Dieu est perçu avec optimisme comme fondé sur le désir de combler l'humanité de bénédiction, et les prêtres sont un vecteur de transmission de cette énergie cosmique au monde. Mais la pierre tombale est en mauvais état : les mains sont abîmées et l'inscription est illisible. La bénédiction a disparu.



des Polonais ont risqué leur vie pour sauver les Juifs pendant l'Holocauste


La croix et l'étoile de David sur ce mémorial, dans un champ isolé de la forêt près du village de Brzostek, marquent la fosse commune de sept personnes - six Juifs, membres d'une famille et un Polonais catholique appelé Jan Janton. Les Juifs avaient été cachés par Janton dans un abri souterrain dans la forêt ici, et il leur apportait régulièrement de la nourriture. Mais il a été trahi par un informateur, les Allemands sont arrivés et ont tiré sur tout le groupe. 

Son attitude héroïque fut cependant récompensée par la reconnaissance de «Juste parmi les nations de Yad Vashem », comme ce fut le cas pour 6500 autres Polonais.



La collaboration polonaise dans la poursuite et l'assassinat des juifs.


Au printemps 1942, les Polonais de la modeste ferme de Gniewczyna, proche de la ville de Przeworsk (200 km à l'est de Cracovie) ont poussé 16 de leurs voisins juifs dans une maison, les ont torturés, volés, violés, et ont ensuite convoqué les forces de police allemande pour les assassiner. 

Ce bâtiment abandonné n'est pas l'endroit du crime, l'ancienne maison ayant été démolie dans les années 1980, mais il s'agit plutôt d'une étable qui se tient sur le lieu-dit, et se trouve en ruines, car le passé du site est trop lourd et le rend invendable. 

Ces atrocités étaient rares, mais elles se sont réellement produites, comme par exemple à Jedwabne au nord-est de la Pologne, où des juifs ont été enfermés dans une grange à  laquelle on a mis le feu. 

Cependant, il n'y a pas de généralité à faire en ce qui concerne le sentiment antisémite parmi les catholiques, surtout lorsque l'on aborde des épisodes aussi brutaux et tragiques, en particulier à Gniewczyna où des Polonais ont également aidé et sauvé leurs voisins juifs..


quatrième et avant-dernier chapitre de l’exposition 


L'objectif de cette section est d'illustrer la coexistence et le déséquilibre de stratégies de commémorations très variées qui font ressurgir un grand nombre de questions. 

Certaines villes n'abordent pas la question de la mémoire dans une seule et cohérente approche : l'ancienne synagogue a pu être transformée en commerce alors que le cimetière juif a été préservé.

Il est donc difficile d'interpréter la façon dont les locaux comprennent et se réapproprient les traces de la mémoire juive dans leurs lieux de vie; et de prédire leurs évolutions. (…) Ce n'est pas une tâche facile de suggérer ce qui devrait être fait avec les restes abandonnés des cimetières, en particulier des fragments de pierres tombales. 

Une solution originale a été adoptée dans nombre de villes et villages : la construction d'un mur des lamentations à partir de ces fragments de pierres (…)

De la même manière, un jardin mémoriel comprenant le reste des pierres tombales d'un cimetière juif à un niveau local peut servir à la fois de lieu de commémoration de l'Holocauste, tout en préservant l'héritage juif du village en question.

La commémoration du Génocide a certainement pris forme mais elle ne se fait pas de manière linéaire, et les généralisations sont difficiles. Il reste beaucoup à faire, en particulier dans le domaine de l'éducation et de la transmission aux nouvelles générations. 





« Terre,  puisse mon indignation ne jamais trouver le

repos » ( Bible hébraïque)


Le site du camp de la mort de Betzec, envahi et négligé pendant des décennies, sans qu'il ne reste plus une seule trace, a finalement été marqué en 2004 par un mémorial, sûrement l'un des monuments de l'Holocauste les plus puissants sur le plan émotionnel jamais construits. 

L'ensemble du site a été recouvert de rochers ressemblant à de la lave volcanique, créant une zone de dévastation absolue afin de rappeler les 450 000 victimes tuées par gaz et enterrées dans des fosses communes.  

Une passerelle environnante enregistre les noms polonais et yiddish de chaque ville et petite ville d'où ils ont été expulsés. 

C'est leur cimetière. 

Au sommet de la colline, juste visible, se dresse un mur commémoratif ; une inscription y rappelle l’expression biblique selon laquelle le meurtre ne devrait jamais être oublié.




Des chaises désolées et vides dans la place des héros du ghetto de Cracovie, symbolisant le vide laissé par les Juifs absents.


Un air de désolation semble planer sur cette place de Podgórze (Cracovie), transformée en mémorial en 2005 en hommage aux Juifs de la ville. 

La place était l'Umschlagplatz du ghetto, où les Juifs avaient reçu l'ordre de s'assembler avant d'être déportés vers des camps de concentration et des camps de la mort. Pendant ces moments d’horreur, les enfants en bas âge ont été assassinés et les personnes âgées tuées dans les rues adjacentes. 

Puisque les Juifs avaient apporté des meubles avec eux lors de l'ouverture du ghetto en mars 1941, et puisque ces meubles avaient été jetés là après sa liquidation en mars 1943, les deux architectes de Cracovie retenus pour concevoir un mémorial en 2004 ont imaginé toute la place comme un monument aux morts. Ils ont voulu rappeler la façon dont les nazis ont dépossédé les juifs du ghetto de leur mobilier et biens. Ces chaises vides sculptées sont là pour symboliser l’absence et susciter la curiosité des passants.


Plac Bohaterów Getta, 23 mai, 15h30



l’usine musée d’Oskar Schindler



"(…) juste de l'autre côté du mur, de l'autre côté de la porte, c'est un monde différent. Ce monde est également tourmenté par la guerre, mais d'une certaine manière, il est aussi libre. Là-bas, les enfants vont à l'école, et les adultes travaillent, se promènent dans les rues lumineuses ou le Planty, visitent des expositions, écoutent l'appel du clairon sonné depuis la tour de l’église Sainte-Marie. »

- Halina Nelken, 17 ans




PHOTO. Porte numéro III entre les bâtiments de la rue Lwowska et de la rue Józefinska 



propriété de Kukasz Biedka



"N'était-il pas trop facile de dire - échappe à la déportation !


Et comment étiez-vous censé traverser la clôture en fil de fer barbelé bordée de policiers ? Comment faire le premier pas libre dans une rue ? 



Une fois qu'ils avaient remarqué le brassard, ils vous mettaient une balle dans la tête. Laisser tomber le brassard ? Une fois qu'ils avaient remarqué que le symbole blanc glissait de votre bras, ils vous remettaient immédiatement à la police. 
Même si vous vous cachiez dans la plus sombre des portes [...] quelqu'un vous voyait toujours entrer dans cette porte en tant que juif et en sortir comme - comme qui ? Eh bien, qui ? Même si vous aviez laissé tomber votre brassard cent fois, vous seriez toujours vous-même.


Vous resteriez toujours un juif - mais sans brassard.


Votre judéité ressortait à chaque mouvement anxieux, à chaque pas hésitant, chaque fois que vous penchiez le dos, comme chargé du joug de la servitude, chaque fois que vous lanciez un regard d'animal appâté ; c'était évident dans toute votre silhouette, votre visage, vos yeux, tous portaient le cachet du ghetto."


- Gusta Dänger, enseignant, combattant du ZÖB




le. bureau d’Oskar Schindler 



et des noms, tous ces noms, pourtant juste une poignée,  


les parcourir des yeux 



à Wieliczka (une dizaine de kilomètres de Cracovie) mine de sel

sculpture de sel par mineurs autodidactes