depuis Jurançon, le château, de l’autre côté du gave, l’eau est basse
pour la plupart des enfants de paysans dans cette petite école, à l’un Tu pues l’ensilage, et c’est vrai que pas terrible cette odeur d’herbe fraîche en décomposition qui fermente sous les grandes bâches de plastique, les bêtes en raffolent, faut croire qu’elle s’est inscrustée dans son épaisse tignasse, penser à d’autres odeurs qui isolent, rayon poissonnerie, abattoir Tu as beau te doucher, te récurer à fond, tu peux y aller, rien n’y fait, il t’en reste dans les recoins, sous les ongles et tu traînes ça avec toi jusque tes jours de repos
Lu
Le corps des pays de Luc Baptiste (photo) et Marie-Hélène Lafon (texte)
Le champ de Josef Winkler
Le fait est que j'ai rapporté du Mexique entre autres choses une boîte de têtes de mort en sucre, que j'ai pulvérisées de laque pour qu'elles ne tombent pas en poussière avant de les placer à tous les coins et recoins de mon cabinet de travail, et même sur l'étagère qui couvre tout le mur, entre les livres, surtout auprès des surréalistes français et des Russes, de Tolstoi, d'Anna Akhmatova et de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski. Tu voulais absolument être enterré et pourrir sous la terre, il n'a jamais été question que nous te fassions incinérer, tu aurais considéré comme une profanation une incinération telle qu'on en pratique souvent en Inde, dans la ville sainte des Hindous, à Varanasi, sur la rive du Gange, cela t' épouvantait. Lorsque, voici vingt ans, Rajiv Gandhi alluma avec un tagot le bücher sur lequel gisait sa mère, la première ministre indienne assassinée Indira Gandhi, nous étions assis toi et moi lors de cette cérémonie d'incinération devant la télévision dans la maison familiale à Kamering, tu as bondi du canapé vert que ta grosse mère avait défoncé à force d'y rester assise et qui était souillé par son urine, tu m'as regardé fixement, l'air horrifié, et tu as hurlé : « Mais regarde-moi ça! Le fils qui met sa propre mère sur le gril! » J'avais cette réponse sur les lèvres mais je ne l'ai pas prononcée : « Oh, toi aussi on te metra sur le gril! » Quand l'heure viendra! Mais quand tu es mort, je me trouvais à Tokyo, je ne suis même pas rentré pour ton enterrement, c'était une chance de ne pas devoir être là au moment de l'adieu, car un jour, par indignation, tu m'avais fait transmettre ton souhait que je ne vienne pas à ton enter-rement, puisque j'avais écrit qu'une fermière du village avait mis son ivrogne de fermier dans la soue à cochons et que pendant la nuit, les cochons lui avaient bouffé les couilles, tu craignais, paraît-il, qu'on s'en prenne à moi dans mon village natal au moment de ton enterrement, qu'on me pousse dans la fosse pour que je tombe sur ton cercueil et que de mon poids mort et vivant j'écrabouille non seulement le grand bouquet de roses rouges, mais peut-être même que je transperce le couvercle du cercueil et que ma tête de vivant heurte tête de mort et que ma tête et la tienne se pulvérisent mutuellement. (p 150, 151)
Tandis que ma mère malade des nerfs prenait la fine omelette suivante, de la taille d'une assiette, pour la découper en lamelles, que ma sœur malade des nerfs posait sur la planche en bois le morceau suivant de viande de porc sanglante et lui assenait de brefs coups secs avec le marteau à viande pour que le sang de la viande aplatie coule dans les veines du bois et les rainures de la planche, un reporter de guerre [le père ou l’un de ses deux frères] lança, dans l'air de la cuisine sentant les chrysanthèmes et le saindoux qui grésillait dans la poêle posée sur le fourneau : « Imagine ça, pendant la guerre, on avait un curé qui nous recommandait d'abattre autant d'ennemis que possible. Un curé, dire une chose pareille! Un de mes camarades a dit au curé qu'il était chrétien et avait le devoir de respecter les Dix Commandements. "Connaissez-vous le cinquième commandement, monsieur le curé? Tu ne tueras point!" a dit mon camarade. Depuis ce moment-là, je les respecte plus, ces pisseurs dans leurs soutanes. Ce camarade a reçu une balle dans la tête, ils lui ont délogé les yeux de la tête! À l'hôpital militaire, aveugle, il criait tout le temps : "Je veux voir ma famille encore une fois!" » Dans l'intervalle, les gouttes d'eau bénite avaient séché sur les manteaux des trois messieurs reporters de guerre et les gouttes de cire à l'ourlet de leurs manteaux en loden vert, qui auraient durci dans le froid du cimetière, s'étaient de nouveau ramollies dans l'air chaud de la cuisine sentant la cire de bougie, les leurs de la Toussaint et les os d'Odilo Globocnik que Hermann le tonton-taupe avait dégotés lors de ses virées dans les galeries souterraines des Pâtis-aux-Porcs et qui mijotaient dans le bouillon destiné à la soupe à l'omelette. Ma sœur cassait un œuf sur le rebord d'un saladier en émail blanc portant l'inscription « Old Enamel Ware Bowl », versait le blanc d'œuf de chaque moitié dentelée de la coquille dans un saladier émaillé et glissait le jaune d'œuf dans un autre saladier émaillé, posait la viande de porc bien aplatie dans le saladier des jaunes d'œufs qu'elle avait battus avec une fourchette et, enfin, déposait l'escalope dans un troisième récipient rempli de chapelure. Elle plaçait délicatement les escalopes une fois panées dans le saindoux qui grésillait et formait des bulles dans la poêle. Ma mère avait découpé les omelettes, ouvrait la porte du fourneau et y jetait dans les braises plusieurs morceaux de bûches d'épicéa, tandis qu'au fond de la cuisine, devant la fenêtre déjà embuée par le bouillon des os de Globocnik, les trois vieillards en train de se raconter leurs aventures de guerre, qui avaient peu a peu déplacé leurs sièges et rapprochaient leur tête l'une de l'autre pour s'écouter attentivement, s'excitaient mutuellement et se lançaient : « Encore de nos jours, c'est l'Youpin qui dirige le monde... Hitler, il aurait dû en tuer deux fois plus, des Juifs... Ils ont fermé Mauthausen bien trop tôt... Regarde-moi ça combien d'argent le chancelier a encore envoyé en Israël. Et même les cimetières juifs, c'est l'État qui doit les entretenir... » (p 197, 198)
Malgré moi, mon téléphone m'envoie chaque mois une carte avec le tracé de tous les trajets que j'ai parcourus
En octobre 2019, 4 pays et 3 continents France, Indonésie, Cameroun, Côte d'Ivoire
En mars 2024, 13 prés, 29 chemins et 53 bosquets La Fondichère, la Champ dou Veine, Clavel, les Cros, le Lac, la Pave, la Grande Paisse, Lachamp, Chaudoreilles, Route du Fraisse, le Crouzillou, le Champeix, les Tortes
Sur la carte d'octobre 2019, les trajets d'aujourd'hui seraient comme un petit point
Gribouillage confus
Traces laissées par un insecte dans un bocal
Sur celle de 2024, ces espaces deviennent un nouveau planisphère
Je connais leurs histoires, j'y ajoute les miennes
Je les transforme par mes pratiques
J'aperçois l'arrivée d'une nouvelle espèce fourragère dans la prairie
Je connais le débit des sources à chaque saison
Je compare la période de chute des feuilles des arbres et sais quand ils ont manqué d'eau
A la taille des flaques je connais l'intensité de la pluie de la veille
Je remarque l’installation d’un nouveau terrier
Je sais si quelqu’un est venu (43, 44)
Races bouchères
Agnelages 3 en 2 *
Antibiotiques préventifs
Aliment optimisé
Engraissement accéléré
Carcasses conformées
Étal au supermarché
Viande dans nos corps
On se fait croire, entre éleveurs, qu'il faudrait produire avec performance pour s'en sortir
Mais ce sont principalement les subventions qui nous font vivre
Quelles que soient nos pratiques
Nous ratons l'occasion discrètement possible
D'élever nos bêtes dans la dignité (p 63)
* conduite d’élevage où les brebis agnellent trois fois en deux ans (au lieu de deux fois), ce qui implique un sevrage précoce des agneaux (glossaire p 115)
Donner de l'aliment à ses agneaux
Pétrole
Débroussailler un parc
Pétrole
Chausser ses bottes
Pétrole
Faucher à la barre de coupe
Pétrole
Tondre les brebis
Pétrole
Faner à la pirouette
Pétrole
Construire une bergerie
Pétrole
Botteler le foin
Pétrole
Installer une clôture mobile en plastique
Pétrole
Vendre la viande sous-vide
Pétrole
C'est avec aisance qu'entre paysannes nous parlons
De nos pratiques eugénistes
De régulation des naissances
De sélection naturelle
De races (p71, 72)
il tourne vire dans la librairie, grand corps ingrat, imposant et cassé à la fois, il se raconte à la caisse, un ancien militaire, au Comment ça va ? d’une connaissance saisir Comme quelqu’un qui a un pied dans la tombe et l’autre sur une peau de banane, elle proteste, il insiste C’est que j’ai soixante-dix ans quand même, penser ah ! bon, que, je lui aurais donné plus, l’autre, Justement, j’espère qu’on a encore quelques bonnes années devant
une abaya ? elle est magnifique dans sa grande robe colorée, chevelure couverte d’un voile vert parfaitement dans la nuance, trois boucles brunes échappées sur son front, s’enrouler à l’intérieur le temps d’une petite sieste sur la ligne de bus Toulouse/Bilbao
promenade matinale par le petit ravin du Hédas, à gauche le château sur sa motte, à droite la maternelle de l’école Marca, récréation, cris suraigus, lever les yeux, des enfants se pressent au grillage, agitent leurs mains, reprennent leurs cris de plus belle, prêter l’oreille La mamie, la mamie ! regarder autour de soi, personne, vous allez passer, signes et gestes deviennent frénétiques, comprendre La mamie c’est vous, des signes encore, un de leurs jouets est passé de l’autre côté, grimper le haut talus, dans l’herbe un petit palet de sable empaqueté ficelé dans un bout de tricot coloré, le leur faire passer, Merci La mamie
Vingt-cinq ans de compagnonnage, il a quatre vingt-six ans, elle cinq de moins. Lui dans sa petite maison en haut de la vallée, elle dans le creux. Ensemble les fins de semaine chez lui, dans le cocon du chalet en bois conçu aménagé de ses mains, ensemble des balades en montagne, ensemble des escapades à l’Océan, les vélos dans la voiture. Puis, la santé qui se dégrade, il tombe parfois, ballet des aides à domicile, il se perd un peu dans le temps, renonce à son petit poulailler, donne son chat au voisin mais achète encore une voiture, rester un homme, elle l’aide un peu beaucoup s’en veut de pas plus, et c’est l’Epahd, deux semaines seulement, il ne supporte plus, rugit, éructe, menace, traitement de choc, le voilà sur fauteuil roulant, la becquée, elle l’appelle chaque jour, le voir non, encore sous le choc la dernière visite, il ne poursuivra plus personne dans les couloirs, couteau de cantine à la main, le frêle Hubert
Lu
Ce qui reste de nos vies de Zeruya Shalev
Depuis des années, il se bat contre les institutions les plus puissantes, l'État, l'armée, les services de sécurité, il se bat pour des terres et des indemnisations, des troupeaux et des cabanes en boue, des taudis et des cuvettes de cabinets, oui, parce que c'est là que réside la dignité des malheureux pris entre les feux croisés de forces qui les dépassent, la dignité de Haled, un ouvrier de seize ans qui travaillait chez un marbrier jusqu'à ce qu'une grue lui lâche une pierre tombale sur le dos, depuis il est paralysé, mais comme il n'était pas déclaré, son patron s'en lave les mains, sa famille n'osera pas porter plainte car juste après, le jeune frère a été embauché dans l'entreprise, qui essayera d'obtenir des indemnités pour ce gosse, qui donc s'occupera de Hala, une jeune femme qu'on allait expulser vers la Jordanie en violation totale du droit fondamental de mener une vie privée et familiale normale, qui interviendra pour ces trois enfants grièvement blessés par l'ancien obus de mortier avec lequel ils jouaient, qui s'occupera de ces tribus en voie de disparition, ces âmes libres du désert, ces Bédouins, fiers nomades qui sont à présent réduits à ramasser les ordures aux abords de nos villes ? Rares sont ceux qui acceptent de défendre les faibles, les cerveaux les plus brillants se mettent au service du pouvoir, c'est tellement plus excitant de représenter le gouvernement, les banques, les nantis ! Mais toi, quand tu enfiles ta robe dans la salle d'audience, c'est justement là que tu te sens puissant, en plaidant pour les désarmés et les humiliés face au système capable de les broyer, parfois même tu arrives à gagner et alors tu ne te sens plus du tout démuni, sauf que ces dernières années tu peux compter tes victoires sur les doigts de la main (…) p 86
Je t'ai toujours dit qu'un enfant me suffisait amplement et je suis ravi que tu aies enfin compris qu'effectivement c'était une chance, il hoche la tête tandis qu'elle accuse le coup en se crispant davantage puis elle se lève, va s'asseoir sur ses genoux, pose le front sur son épaule tant elle a besoin d'un contact apaisant, non, Amos, tu n'y es pas du tout, lui chuchote-t-elle dans l'oreille, je viens de comprendre ce que nous devons faire, je sais que tu vas d'abord trouver mon idée insensée mais après, tu y réfléchiras toi aussi et tu verras combien ce sera merveilleux pour nous trois. De quoi parles-tu ? demande-t-il en remuant nerveusement sur sa chaise au bois fissuré par la pluie et le soleil, eh bien voilà je... cette question l'oblige à assumer pour la première fois les mots clairs, pas les quelques syllabes nébuleuses qui ont plané dans la chambre de sa mère, pas non plus les pages silencieuses qui ont défilé sur l'écran de son ordinateur, elle hésite un peu puis se lance à voix basse, je veux adopter un enfant.
Quoi ? rugit-il, à moins que ce ne soit qu'une impression parce que son oreille est presque plaquée à la bouche d'Amos, elle bondit sur ses pieds mais c'est peut-être lui qui l'a repoussée car à présent il la toise de bas en haut, les verres de ses lunettes scintillent d'ahurissement, adopter un enfant ? D'où ça sort, là, tout à coup ? Tu dérailles, Dina, ou bien c'est pour te moquer de moi ? Elle réintègre sa chaise en face de lui, où se cache son sens de la repartie, pourquoi disparaît-il dès qu'elle en a besoin, pourquoi les arguments ne lui viennent-ils pas avec la même fluidité que les facteurs de l'expulsion des Juifs d'Espagne qu'elle cite en cours, écoute-moi avant de monter sur tes grands chevaux, dit-elle, nous n'avons qu'une fille et elle est grande maintenant, dans quelques années elle va quitter la maison, mais moi, je sens que j'ai encore trop de choses à donner, si tu savais comme j'aime être mère, alors pourquoi ne pas sauver un enfant qui n'a pas de foyer et nous sauver nous aussi par la même occasion, pourquoi ne pas donner un sens à notre vie au lieu de vieillir et de nous rabougrir, tu ne vois pas à quel point ça serait merveilleux ?
Absolument pas, répond-il sèchement, je n'ai pas besoin d'être sauvé et je suis désolé d'apprendre que tu as peur de te retrouver en tête à tête avec moi après le départ de Nitzane, c'est n'importe quoi, je ne comprends vraiment pas quelle mouche t'a piquée, heureusement que tu aimes être mère, parce que Nitzane, grande ou pas, reste ta fille et aura besoin de toi toute sa vie, de plus, tu as aimé être la mère de Nitzane mais comment peux-tu être sûre que tu aimeras être la mère d'un enfant qui n'est pas le tien et qui te mettra face à des situations que tu ne peux même pas imaginer ! Adopter, c'est un saut dans le vide, si tu savais le nombre d'histoires abominables que j'ai entendues là-dessus, le fils de mon rédacteur par exemple avait un ami qui vient de se suicider à dix-huit ans, un pauvre môme adopté au Brésil, tu n'as pas idée de l'enfer qu'ils ont vécu à cause de lui, c'est ce que tu veux, transformer notre vie en enfer?
Tu ne cesses de me parler de gens qui se suicident, lui susurre-t-elle étonnée, tu cherches à me donner des idées ou quoi? Elle s'empresse de ponctuer sa question par un petit rire pour qu'il comprenne que c'était une plaisanterie, même si le tour conflictuel de cette conversation la secoue jusqu'au plus profond d'elle-même, tu dérailles complètement, Dina, reprend-il, évidemment que je ne suis pas contre l'adoption, mais ça dépend des cas, c'est toujours un pari fou, il faut avoir les épaules sacrément larges pour tenir le coup et toi, tu es plutôt du genre à paniquer au moindre problème, tu ne veux pas la difficulté, tu veux le bonheur, lâche-t-il avec amertume, alors tu es en train de te fourvoyer, ma chérie, prends un amant si tu t'ennuies avec moi, crois-moi, ce sera plus simple.
Pourquoi dis-tu n'importe quoi, braille-t-elle les lèvres frissonnantes, je te parle d'élever ensemble un autre enfant et tu m'envoies dans les bras d'un autre homme, je veux que nous retrouvions le bonheur qu'on a connu à la naissance de Nitzane, un enfant c'est une vie nouvelle, un sens nouveau, surtout si c'est un orphelin qui, sans nous, serait resté dans une institution sordide, mais il la coupe avec impatience, Dina, laisse tomber, tu ne fais que réciter bêtement des formules toutes faites, tu ne sais rien de ces mécanismes, d'ailleurs, il y a plus d'adoptants que d'enfants adoptables, plus de demandes que d'offres, alors ne te berce pas d'illusions en te persuadant que tu sauveras vraiment un pauvre gosse, si ce n'est pas toi, c'est quelqu'un d'autre qui le prendra, et certainement dans un pays moins dangereux que le nôtre.
Tu te trompes, je le sauve parce que, nous, nous avons beaucoup à lui apporter, s'entête-t-elle, je le sauve même si quelqu'un d'autre l'aurait pris, je le sauve parce que nous sommes des parents expérimentés, que nous avons une bonne situation, qu'il aura une sœur merveilleuse et que je pourrai lui consacrer énormément de temps.
Ça, c'est sûr, du temps, tu en auras pléthore puisque tu seras licenciée si tu ne termines pas ta thèse, ironise-t-il sans sourciller, mais on n'adopte pas un enfant pour occuper son temps libre. Je comprends les gens qui aspirent à ce qu'on les appelle maman ou papa, mais toi, tu as une fille, tu ne vois pas que c'est une différence fondamentale? Tu es déjà mère, ça devrait te suffire, tu dois te contenter de ce que tu as et ne pas en demander plus. Si tu veux mon avis, c'est lié à la ménopause, et toi, comme d'habitude, tu choisis de traverser cette crise de la manière la plus originale qui soit, mais il faut que tu te mettes bien ça dans le crâne, et il souligne son propos en se penchant vers elle au-dessus des verres de vin et des bols de soupe de yaourt vides, un enfant ne te rajeunira pas, un enfant ne réparera pas tes erreurs, un enfant ne nous rendra pas plus heureux, tu ne peux pas prendre un pauvre gamin et le charger d'espoirs fous qui n'ont rien à voir avec lui. Bref, Dina, au lieu d'essayer de recréer un paradis perdu qui de toute façon ne reviendra pas, tu dois accepter ce que tu as et voir comment tu peux apprécier ta vie telle qu'elle est, tu comprends ?
Comment peux-tu être aussi sûr de toi, proteste-t-elle tandis qu'elle palpe ses côtes douloureuses, le plus facile, c'est de dire que je suis folle sans même essayer d'examiner la chose, mais il la coupe de nouveau, il n'y a rien à examiner, tes motivations sont nauséabondes et tu sais quoi, même si elles émanaient du sentiment le plus noble et le plus pur, moi, ce truc ne me convient pas du tout. Je me sens suffisamment père avec la fille que j'ai, même si elle commence à avoir une vie à elle, je ne suis plus tout jeune, tu oublies que je vais sur mes cinquante-cinq ans, alors la dernière chose dont j'ai envie, c'est de courir après un bébé qui ne sera même pas de moi. Qu'est-ce qui va me rattacher à lui ?
Et qu'est-ce qui me rattache à toi, se demande-t-elle en fixant hargneusement les lèvres qui lui assènent leurs arguments avec une désarmante fluidité, elle a l'impression que jamais il n'a parlé avec un tel débit, aussi étrange que cela puisse paraître, des deux, c'est lui qui est le mieux préparé à cette conversation, qu'est-ce qui me rattache à toi, elle se lève de sa chaise dans un élan furieux, avec l'envie de tout balancer en bas, les verres et les bols, entendre son rêve se fracasser dans la cour dallée des voisins, non, elle ne va pas battre en retraite si vite, alors elle dit, Amos, je ne renoncerai pas, elle sait que ses lèvres se déforment et que des lambeaux de la serviette en papier rouge tremblotent sur son visage, elle sait qu'il la considère en cet instant comme une malade mentale et que cela ne l'ébranle pas le moins du monde, Amos, je le ferai, je ne peux pas renoncer cette fois. Tu as besoin de te faire soigner d'urgence, ça fait déjà un certain temps que tu ne vas pas bien, articule-t-il en se dressant devant elle, ne crois pas que je ne m'en sois pas rendu compte, c'est juste que je ne pensais pas que ça irait si loin.
Comme c'est facile pour vous de nous qualifier de folles des que nos aspirations sont contradictoires aux vôtres, ricane-t-elle même si, intérieurement, elle n'est pas certaine de trouver beaucoup de femmes prêtes à la soutenir dans ce choix-là. Il la toise avec froideur, tu sais quoi, tu as peut-être raison, peut-être que c'est une erreur de ma part d'essayer de poser un diagnostic, alors je vais me contenter de te répéter ce que je ressens: pour moi, c'est exclu. Je n'ai aucune envie d'élever maintenant un petit enfant et tu ne peux pas me l'imposer. Désolé de te décevoir, si tu ne renonces pas, c'est simple, je me lève et je pars.
Et, comme pour illustrer sa menace, il se lève et il part, en un clin d'œil il n'y a plus personne, elle a l'impression qu'il n'a même pas pris le temps d'enfiler un tee-shirt ni de mettre des sandales, il s'est évaporé pendant qu'elle posait les assiettes tremblantes dans l'évier de la cuisine et se penchait sur le lave-vaisselle, à présent elle contemple la terrasse vide, la chaise vide, elle n'a même pas entendu claquer la porte, peut-être est-il encore dans l'appartement, mais quelle différence, la question n'est pas où est Amos en ce moment précis, mais que fera-t-elle, elle, maintenant qu'il lui a clairement indiqué sa position, que fera-t-elle du restant de ses jours, du restant de sa vie. (p 178-182)
Vu
Don Quichotte, ballet de Rudolf Noureev avec l’Opéra National de Paris, une co-production Opéra Bastille Arte France
Le rire et le couteau de Pedro Pinho
Des hommes entre eux, ça parle de Roger, l’avisé Roger, un gros paysan, grosse ferme, gros troupeau, des terres dans tout le canton et même au-delà, un énorme tracteur, la remorque, pour aller d’une terre à l’autre, d’un bout de troupeau à l’autre des kilomètres de petites routes, comment le dépasser, piaffer derrière lui en voiture, Roger donc Alors à ce qui paraît il a réussi à passer sa prostate en maladie professionnelle ? Les regards s’allument, les têtes se rapprochent Je savais pas qu’on y avait droit. T’es sûr ? Faudra lui demander comment il a fait, sur le côté, une femme Et je te parie que le glyphosate, les pesticides, Roger, il est pour, une autre, haussement d’épaules Oui, pas que lui, tous
Elle raconte Mon mari, un peu plus vieux que moi, me voulait toute à lui mais quand j’ai eu presque quarante ans il m’a dit Je vois combien c’est important pour toi, un enfant on va tenter, c’est maintenant ou jamais, on avait visé ce week-end là, si ça marchait ce qui dérangerait le moins nos vies, elle s’illumine de l’intérieur et se redresse, je revois ces deux jours, la montagne, le torrent, notre petite tente, la grande natte aux étoiles et même pas deux semaines plus tard, des vertiges la nausée, ni une ni deux, je fonce à la pharmacie, un peu tôt, on me dit, on pourra le refaire, pas besoin, grand rire victorieux, Bingo, positif le test de la lapine ! regards interloqués, Test de la lapine ? Ah ! Vous connaissez pas ? je suis née en 47, on disait comme ça alors.
la maladie,
la vieillesse,
la folie des hommes,
le feu,
la folie des dieux,
la foudre,
et ils meurent aussi,
les arbres
stèles dans le paysage
Lu
Des flocons de neige rouge de Jin Eun-Young
Vu
Parvis Leclerc Pau : expo photo
Des chiens et des hommes Michel Van den Eeckhoud et William Wegman
à Avignon
En attendant Godot mis en scène par Jacques Ozinski
Les parallèles écrit et mis en scène par Alexandre Oppecini
Montaigne, les Essais adapté et interprété par Hervé Briaux, mise en scène de Chantale de La Coste
Heureux les orphelins texte et mise en scène de Sébastien Bizeau
Face au mur de Damien Droin, mise en scène de Damien Droin et Louise Aussibal, cirque compagnie Hors Surface
Cendres sur les mains, texte de Laurent Gaudé, mise en scène d’ Alexandre Tchobanoff
Le songe d’une nuit d’été mis en scène par Anthéa et Théodora Sogno
Rêves échangés à l’ombre du vent création collective de la compagnie fondée à Tapei par Sun Li-Tsuei
aux jardins du Palais des Papes lectures dans le cadre de Le Souffle d’Avignon
Un Bruissement de Fourmilières de Adeline Flaun proposé par ETC Caraïbes
jour de marché à Avignon, sur la terrasse du traiteur libano syrien pas de place où savourer votre aubergine farcie, aviser un homme seul, café cigarettes briquet posés devant lui sur le guéridon, une chaise libre, hésiter puis après tout les cheveux blancs, une protection Je peux ? s’installer, l’observer, très brun, le cheveu gominé, pochette Vuitton, penser Tu vois le genre se détester de penser Tu vois le genre il dira plus tard qu’il est d’Arles, votre cliché du gitan parcourant au galop de son cheval les étangs en bord de mer, son goût pour les voyages, un enthousiasme d’enfant pour évoquer Prague, une insistance, à plusieurs reprises Je suis Français, puis Ce festival je vous garantis qu’y a pas d’Avignonnais, que des touristes, non, je vous dis, des gens comme nous y en a pas, d’ailleurs je me marre, je les vois faire, tenez par exemple, ils tractent, des publicités à toutes les tables mais la mienne, ils me passent devant, et rien.
à la boulangerie une manière légère d’annonce les congés :
« Même les baguettes ont besoin de vacances!!
La boulangerie sera fermée du 18 au 25 août inclus.
On revient reposés... et bien dorés (comme
nos croissants) !
Bel été à tous ! »
Elles discutent de la petite-fille d’une voisine. Tu dis que ça lui fait quel âge déjà ? dix, ça passe le temps et mignonne ? L’autre Ratonne. Sourcil interloqué, interrogatif aussi. Ben oui, elle est ratonne, le père, t’oublies ou quoi, y s’appelle Karim.
Lu
Pour que chantent les montagnes de Nguyēn Phan Quē Mai
Vu
Cinéma
Toute une nuit sans savoir de Payal Pakadia
Grand tour de Miguel Gomes
Jeunesse (retour au pays) de Wang Bing
Exposition
au Guggenheim de Bilbao
Peindre sans règles
Helen Frankenthaler (1928-2011) a joué un rôle majeur dans la transition de l'expressionnisme abstrait au color-field painting (littéralement « peinture du champ coloré »). Reconnue pour avoir inventé la technique du soak stain (tremper-tacher) sur laquelle elle expérimente pendant des décennies, l'artiste a conçu un corpus considérable d'œuvres sur toile et sur papier, ainsi que des sculptures, des céramiques, des tapisseries et des œuvres graphiques. Ses créations novatrices, présentes dans les collections des plus grands musées du monde, continuent d’'inspirer les artistes contemporains.
Née à New York, Frankenthaler étudie l'art avec une approche classique sous la direction de Paul Feeley, au Bennington College, dans le Vermont, avant de rentrer à Manhattan, où elle s'est tournée vers l'abstraction. Au début des années 1950, elle rencontre les figures phares de l'École de New York, des icônes de l'art américain d'après-guerre qui partagent avec Frankenthaler un engagement en faveur de l'expérimental et qui, dans certains cas, intégreront son cercle social le plus proche.
Helen Frankenthaler : Peindre sans règles met en lumière la pratique créative de l'artiste à travers ses affinités artistiques, ses influences et ses relations dans le milieu artistique. Rassemblant une trentaine d'abstractions poétiques signées par l'artiste entre 1953 et 2002, l'exposition comprend également une sélection de peintures et de sculptures de certains de ses contemporains -Anthony Caro, Morris Louis, Robert Motherwell, Kenneth Noland, Jackson Pollock, Mark Rothko et David Smith -, qui viennent souligner les synergies liant ces artistes.
L'exposition trace un parcours chronologique qui commence dans les années 1950 et se termine dans la première décennie du 21ème siècle. Chaque section, accompagnée d'un texte explicatif, constitue un chapitre de la carrière prolifique de Frankenthaler.
Peindre sans règles rend hommage à l'héritage d'une artiste pionnière qui n'a jamais interrompu sa quête de nouvelles voies de création dans le champ de l’art abstrait.
Another day another night de Barbara Kruger
au Musée des Beaux-arts de Bilbao
Le principal témoignage graphique de cette intervention sont les photographies publiées dans les brochures des expositions individuelles d'Ibarrola à Barakaldo et Sestao, toutes deux en 1980. Les images, restaurées par le photographe Patxi Cobo, ont permis de reconstruire maintenant l'installation de la Salle Grise coïncidant avec le dépôt, par les héritiers de l'artiste, de 18 des peintures qui formaient cette grande peinture murale. Le musée récupère cet important ensemble artistique dans le cadre du programme Iberdrola-Musée de conservation et de restauration.
. Agustín Ibarrola, Euskadi, 1977-1979
extrait lien ci-dessus
« La tension entre l'abstraction formelle et la représentation figurative relie des figures et des objets provenant du monde du travail manuel - de l'artisanat traditionnel à l'industrie - violemment intervenus par des lignes en noir et blanc qui représentent l'expérience oppressive des neuf années de prison qu'Ibarrola a subies pour son militantisme dans le Parti communiste d'Espagne. Des échelles, des perspectives et des pénombres forcées qui confinent des figures dans une sorte d'artefact de dénonciation et d'expression de l'art et de l'artiste en tant qu'agents sociaux en faveur de la démocratie. » traduction Google