Faire la parole /
Hitza egin
un
documentaire d'Eugène Green
Une langue, le
basque, incarnée, portée, par quatre jeunes gens à peine sortis de l'enfance.
Vivante. Une course, une quête dans un pays magnifié. Regard lucide, questionnement, fraîcheur d'esprit.
Sans concession.
Beauté.
Ils disent, récitent.
Eux vivants, une parole incarnée et cela suffit.
A portée, la transmission possible.
Espoir.
Songer aussi à Bernardo Atxaga entendu en 95 à Biarritz pour Obabakoak, Obaba, nom d'un village imaginaire, "k" de, d'Obabakoa donc, dans les premiers plans la caméra effleure ce livre-là "pour traduire mon livre et passer du basque à l'espagnol, j'ai dû me retourner le cerveau comme une chaussette".
Songer encore à une leçon du père M. en un lointain après-midi "Euskalduna, être basque, voyez-vous, c'est, si on décompose, Euskal le basque entendu comme lanque, et duna qui a, autrement dit être basque pourrait se traduire par "celui qui possède la langue".
Soudain dessillée saisir qu'être basque signifie l'attachement à la langue.
Ce qui fonde son identité.
Songer enfin au dernier plan du film, port de Pasai/Passage, au-delà de l'étroit goulet qui rend son accès difficile, le grand large.
Ses immensités.
Espoir encore.
Un film délicat, respectueux, il frôle, s'éloigne, revient, un ballet, une liturgie.
Glissement du côté du sacré.
ci-après une critique de ce film sur critikat.com
«
Au moyen du cinématographe je fais la parole », par Marie Gueden
Le
nouveau film d’Eugène Green, présenté en sélection française lors de l’édition
2016 du Cinéma
du Réel, est un objet curieux, surprenant, comme peuvent l’être les films
du réalisateur : si le documentaire n’est pas son terrain habituel, celui-ci
s’attache ici à un portrait de la langue basque centré sur des habitants
choisis.
Un
tel projet pouvait néanmoins poindre dans le cinéma d’Eugène Green comme dans
ses écrits : la parole tient chez lui une place centrale, ne serait-ce que pour
la parlure si particulière de ses personnages, leur diction liée, mais aussi
dans les ouvrages qui lui sont consacrés (La Parole baroque, 2001 ; Le
Présent de la parole, 2004) ; le pays basque était déjà filmé dans Le
Monde vivant (2003), tourné en partie dans la plus petite mais la plus
« basque » des provinces basques, la Soule, correspondant à la
découverte par Eugène Green de la région, ultérieurement à l’honneur dans son
roman La Bataille de Roncevaux (2009).
Faire
la parole peut ainsi
s’appréhender comme l’aboutissement de préoccupations originelles, profondes,
d’Eugène Green, et la documentation de la langue basque, l’une des plus
anciennes d’Europe, le creuset idéal, presque d’ordre généalogique, d’une
réflexion touchant à la parole chez le réalisateur, permettant en retour
d’appréhender son cinéma. Celui-ci formule d’ailleurs ce projet à venir en
avance dans sa Poétique du cinématographe (2009) associant parole,
basquité, cinéma : « La langue basque, témoignage vivant de la naissance
de l’homme, dit : euskaraz hizt egiten dut – “au moyen du basque je fais
la parole” pour “je parle basque”. Mais aujourd’hui on pourrait dire
: zinematographaz hizt egiten dut – “au moyen du cinématographe je fais
la parole”, la rendant visible. »
Si
le verbe « faire » est un opérateur linguistique dans « faire la
parole » en emploi transitif équivalant à un verbe d’action, nul doute
qu’il y ait une analogie avec le cinéma qui opère sur le réel : ce
« faire » insiste sur le pouvoir performatif de la parole, ici et
maintenant. C’est là le cœur du projet documentaire d’Eugène Green : recueillir
les voix du parler basque dans le temps de leur énonciation, s’incarnant dans
des personnages qui le font vivre.
pour
lire la suite
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire