Ce texte dans la lettre du jour d’Henri Gougaud
Disparition
Le 23 septembre 2004 est morte Yang Huanyi, la dernière Chinoise à parler le nushu. Le nushu n’était pas une langue ordinaire. Il s’agissait en vérité d’un système d’écriture uniquement utilisé par les femmes de la région de Jiangyong, dans la province du Yunan. De fait, c’était une façon d’écrire le chinois classique de telle manière qu’il demeure incompréhensible aux hommes. De quoi parlaient les femmes, en leur langue nushu ? De tout ce qu’ils ne devaient pas entendre. Et quand l’une d’elles mourait, avec elle, étaient enterrés (c’était la tradition) tous les écrits nushu qu’elle avait conservés. Du coup, les manuscrits survivants furent extrêmement rares. La langue s’épuisa ainsi (on estime qu’elle était vieille d’environ 400 ans), par pénurie d’écrits, oubli de transmission, épuisement des êtres.
Yang Huanyi, donc, fut la dernière. Elle avait appris dès son plus jeune âge à lire et écrire le nushu. Trois années durant, un mystérieux groupe de femmes, « les sept sœurs sous serment » l’avaient initiée aux subtilités de la langue. Ce fut pour rien. Elle ne connut bientôt plus personne à qui la parler ou l’écrire. Elle mourut à 90 ans avec son étrange savoir. Tout ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que ce langage perdu était fait de traits, d’arcs, de points, de virgules, et que ses mots disaient le malheur d’être femme, et ces choses menues, travaux, peines de cœur, souci du lendemain, qui font l’essentiel de la vié.
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