Papiers collés II Georges Perros
Portraits -Jules Renard-
Poète, il aura, toute sa vie, rêvé de l'être, et l'élément hautement pathétique de son œuvre, de son espèce d'aventure, vient de ce conflit acharné qui le mit aux prises avec tout ce que le langage charrie d'éthique, dans un dégorgement sans pitié de tout ce qui n'est pas ce langage, sans que jamais cette lutte provoque la moindre basculade, le renversement souhaité de l' "autre côté". Renard est exemplaire, pour cette raison, la moins paradoxale qui soit : il se trouve posté très exactement à l'envers d'un endroit où règne en maître le mystère absolu, et grâce à sa minutie, à sa rigueur, à son genre de sainteté, il arrive à donner de cet endroit une idée très nette, idée-tableau, idée qu'assument, en en perturbant l'essence magique, les poètes majeurs. Il regarde la nature comme un muet regarde un bavard : avec surprise et jalousie. Il y a quelque chose de "méchant", de frénétique, dans les livres de Renard. C'est la méchanceté, la furie, de quelqu'un qui voudrait enchanter le monde, et ne parvient qu'à l'interpréter, à fleur d'une peau tannée. Alors, ce défi, qui est un vœu : "Et j'aurais une casquette avec ces mots en lettres d'or: "Interprète de la nature ". " Il va très loin dans ce sens (Ravel l'a admirablement compris). Il frôle le sourire, qui est de la nature dépliée. Puis les branches se recroquevillent, le souffle se perd dans la glace initiale : c'est le rictus, le papier collé du regard. Toute son œuvre respire à peine, toujours à deux doigts du figement, de la paralysie. Mais c'est bien dans cet infime jeu entre la chair de l'être et l'os du cadavre qu'elle trouve son chant tragique, et du coup, échappe à son homme. On pense à Tcchékhov, sans la steppe de tendresse, sans le génie de l'ennui, qui permet une figuration. Renard, c'est peut-être ce qu il y a de plus rare en littérature, et ailleurs : le talent.
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