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dimanche 19 mars 2017

la terre,


une pioche,
des semis, 
des promesses de printemps,
 l'écho du ressac, 
rien d'autre


mercredi 15 mars 2017

Ronde (22) : cuisine(s)

La ronde est un échange périodique de blog à blog sous forme de boucle, mis en ligne le 15 du mois. Le premier écrit chez le deuxième, qui écrit chez le troisième et ainsi de suite. .. 
J'ai le plaisir aujourd'hui d'accueillir  Frank. De mon côté, je suis accueillie par Céline.

 Deux contraintes cette fois :

un incipit  => Ils vont où les oiseaux
et 
un thème => cuisine(s) 

Frans SNYDERS
Anvers, 1579 - Anvers, 1657
- Ils vont où les oiseaux, Madame ?
- Eh bien posez-les délicatement sur la table mon Ami… dit-elle d’un ton légèrement excédé. Elle avait bien d’autres préoccupations que donner des ordres évidents à des aides encombrants. Enfin, le jour était venu de fêter dignement l’évènement par un dîner gastronomique dont le clou devait être la révélation de l’œuvre. Le dîner se devait d’être splendide. Madame Desplat souhaita se surpasser dans la confection du menu. Elle avait accepté, aussi incroyable que cela put paraître, la complicité de Carter qui s’était proposé de lui venir en aide, bien entendu en tant que simple commis parce qu’il avait tant à apprendre sur la cuisine française... On les vit, sous les halles au marché, choisir les ingrédients nécessaires pour la préparation du dîner. Ils s’attardèrent devant l’étal du volailler, à soupeser les bécasses, palper les foies de canard, inspecter la venaison chez le boucher, trier les meilleurs légumes chez le marchand de primeurs. Madame Desplat virevoltait d’un étal à l’autre, condamnait d’une sentence irrévocable le cuissot de chevreuil dont on avait, d’un geste irresponsable, dépecé la fourrure, mettait sous le nez d’un Carter attentif et appliqué la tête luisante et grêlée de brindilles d’un cèpe de Bordeaux, le retournant pour montrer la chair moussue et kaki où le doigt s’enfonçait, la fermeté rénitente de la queue attaquée par des limaces connaisseuses, autant de signes qui traduisaient la qualité du produit. Elle avait manifestement plaisir à instruire Carter de toutes les ficelles accumulées par des générations avant elle et transmises de bouche de mères à oreilles de filles. L’attention studieuse qu’il avait, la façon d’incliner la tête vers elle, de lui sourire en la relevant, de porter sans broncher les colis de plus en plus pesants qu’elle entassait sur ses bras, cette élégante humilité qui le faisait se retirer pour la laisser parader dans son rôle stimulaient son enthousiasme. Loin de lui l’idée de raconter ses longues années d’apprentissage dans les plus grandes maisons d’Europe et les grandes tables où il avait appris l’art culinaire ; il ne voulait pas rompre l’entrain qui saupoudrait de rose les joues de madame Desplat et lui seyait si bien. 
La préparation du repas les occupa toute la journée et ils ne tolérèrent aucune autre personne autour d’eux. Il obéit aux ordres enjoués de son chef, peler les carottes, vider les oiseaux après les avoir plumés, exactement comme elle lui avait montré, les mettre en broche après les avoir lardés et fourrés d’une noix de foie gras de canard, « juste pour remplacer le manque », préparer le bouillon de carcasse avec les os du canard, oignons, carottes, poireaux… Elle lui montra comment désarticuler les bécasses rôties, les parer, ôter la peau de la chair, les agencer dans la casserole, puis concasser les os et les restes à réserver ; comment préparer la sauce en faisant revenir dans du beurre, assaisonné d’une branche de thym et de laurier, quelques échalotes puis mouiller de bouillon et de vin rouge « attention, pas n’importe quelle piquette », sel, poivre, une pincée de muscade. Comment la faire réduire de moitié pour enfin y plonger ce qui a été pilé, faire chauffer, sans bouillir, et passer le tout à l’étamine, verser la « substantifique moelle » sur les morceaux de bécasses et faire chauffer le tout au bain-marie… Carter était rouge de plaisir et d’excitation derrière madame Desplat qui maniait poêlons et sauciers de main de maître. Les mains dans le dos, il fronçait les sourcils en observant tous les mouvements qu’elle réalisait avec précision et efficacité, malgré l’attention qu’elle sentait peser sur elle. Elle rayonnait sur son terrain de prédilection, fière de montrer au majordome toute la maitrise de son art, auréolée des vapeurs de cuisson, parfumée aux bouquets de gibier, les mains ornées de rubis de sang séché. Il souhaita que jamais ne cessa cet office païen où la puissante prêtresse sacrifiait goulument sous le tranchant de sa lame, tout ce qui passait entre ses mains, les cous déplumés, chapelets à la triste peau noire et ridée, les fanes tremblantes des carottes ligotées, les radicelles dressées sur la queue des poireaux, jusqu’aux transparentes et légères tuniques des oignons qui seuls, avaient pu tirer une larme de ses yeux exaltés.






















































La ronde tourne cette fois-ci dans le sens suivant, par ordre du tirage au sort (un clic sur le lien de son blog libère le nom de l’auteur) : 

Bonne lecture à tous au fil de la ronde !

mercredi 8 mars 2017

parole(3) de fils

on en est encore à marquer nos enfants à la culotte nos enfants que l'on doit en plus s'occuper des histoires d'amour de nos parents, oui, papa, voilà qu'il tombe raide dingue d'une jeunesse, et maman,  forcément, complètement à la ramasse, à pousser, tirer, finalement quand il a été si malade, s'il y était resté, on avait du chagrin, bien sûr, mais au moins, on gardait une image de père généreux et combattif au lieu de quoi

mercredi 1 mars 2017

"C'était un vrai petit jardin où erraient les songes de maman. Un fil bleu ouvrait une porte sur le ciel."


Arioste L'Attentif de Yannis Ritsos
traduit du grec par Gérard Pierrat

Substitution

Maman avait un panier en osier rempli de bobines, de dés à coudre, d'aiguilles, de boutons, d'anneaux, d'agrafes. C'était un vrai petit jardin où erraient les songes de maman. Un fil bleu ouvrait une porte sur le ciel. Sur un fil vert marchaient des funambules, des feuilles, de petits perroquets, des paons, un oiseau avec une ombrelle rouge, un chagrin vespéral sans cause, jusqu'à ce qu'ils parviennent, à petits sauts répétés, sur le tambour à broder de maman tendu de satin. Moi, j'ôtais chaque jour une parcelle des arbres, de la lumière, de l'air, et je l'ajoutais à la broderie de maman, jusqu'à ce qu'il se produise, peu à peu, un échange secret entre notre maison et la campagne. Nos meubles cédaient leur place à des oiseaux, des sources, des buissons. Ainsi, la campagne se vidait progressivement de sa verdure pour se remplir de canapés, d'armoires, de miroirs et de rideaux. Papa, semble-t-il, ne se rendait pas compte de cette transformation car il continuait à secouer la cendre de sa cigarette au-dessus d'un lys - c’est-à-dire à l'endroit précis où se trouvait jadis le cendrier. Maman et moi, nous nous regardions à la dérobée et nous hochions la tête en souriant. C'est à cette époque que je me suis mis au tabac pour dissimuler mes yeux derrière la fumée. Plus tard, je vis un enfant qui tenait un panier identique et vendait des cerises. ]e l'ai aussitôt aimé. "Le panier de maman!" lui dis-je. L'enfant me regarde. Il tire deux cerises pour me les offrir. Maman n'est plus là pour que nous hochions la tête à l'unisson en souriant. "Merci", lui dis-je. ]e lui donne deux sous. "Mais je t'en fais cadeau, proteste-t-il, je ne veux pas d°argent!" Il a jeté les deux sous à mes pieds. ]e les ai ramassés. Je tiens les cerises dans ma main gauche. ]e me propose de planter leurs noyaux dans deux dés à coudre du panier de maman. C'est sûr qu'il y poussera deux cerisiers à l'endroit où ses mains brodaient. Ils auront cette expression clémente qui était bien à elle. "Merci", lui dis-je à nouveau. Car je l'aimais beaucoup et ne pouvais me fâcher.