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Borgo Vecchio de Giosuè Calaciura
Tout ira mieux d’Almudena Grandes
Que nous a enseigné le coronavirus? Le Grand Capitaine n'avait jamais oublié la question à laquelle avait répondu son fils Juanito lors d'un cours en visioconférence pendant la Grande Pandémie [L’importance de la santé publique, de l’Etat-providence, la nécessité de la soutenir à tout prix]. Il avait élaboré une réponse très différente, qu'il n'avait pas encore osé partager avec quelqu'un et qui ne franchirait peut-être jamais ses lèvres. Le coronavirus nous a appris qu'il est très facile de confiner les citoyens d'un pays entier. De leur faire renoncer, volontairement, aux droits et libertés que leurs ancêtres ont conquis dans le sang, au cours d'un combat qui a duré des siècles. De les inonder de propagande et d'intox au niveau optimal afin de restreindre leur accès à une vraie information. De les désarmer, les neutraliser, les immobiliser, sans qu'ils doutent un seul instant de la nécessité de leur sacrifice pour le bien de tous. Tel était ce que le coronavirus avait enseigné de plus important, selon le Grand Capitaine. (p 37)
Toutes les époques sont dégueulasses de Laure Murat
Le racisme, le colonialisme, l'antisémitisme sont des idéologies. Extirper d'un texte ici un mot insultant, là un adjectif désobligeant revient à sortir des poissons crevés d'une eau qui, de toute façon, est empoisonnée. Si on peut toujours corriger la lettre, il est impossible de réformer l'es-prit, qui dicte en sous-main l'intrigue et imprègne les raisonnements, où le sens de la hiérarchie, l'évidence de la domination blanche, la séparation des classes sociales, la supériorité des hommes sur les femmes sont un présupposé, une conviction indiscutable et indiscutée. Dans Ils étaient dix, par exemple, un personnage explique qu'il a laissé mourir vingt et un Noirs dans la savane africaine, en leur volant leur ration de nourriture, au motif que le premier devoir de l'être humain est d'assurer sa propre survie - sans manquer d'ajouter : « Les indigènes ne se soucient pas de mourir, vous savez. Ils n'ont pas les mêmes sentiments que les Européens. » Quelle logique y a-t-il à enlever le mot « nègre » et à laisser de telles horreurs, ou de telles inepties, comme on voudra? Ces exemples montrent que la récriture est par définition vouée à l'échec. C'est une demi-mesure, qui ne peut pas remplir le programme qu'elle s'est fixé. Car on ne s'attaque pas à l'inconscient collectif ou à « l'esprit du temps » par des interventions ponctuelles et cosmétiques.
Dès lors, où est la solution ? Elle est très simple. Vous jugez James Bond sexiste, Agatha Christie raciste et démodée ? Eh bien, arrêtez de les lire, ainsi que ceux et celles qui perpétuent des stéréotypes. Passez à autre chose. Tournez-vous vers des livres contemporains, qui ne baigneront pas dans l'atmosphère des années 1930 et les relents de la xénophobie. Choisissez de lire ce qui correspond à votre temps. Mais gardez bien en tête, pour reprendre la formule d'Antonin Artaud, que « toutes les époques sont dégueulasses » et que, fatalement, le siècle prochain éprouvera un malin plaisir à débusquer nos aveuglements actuels. (p21,22)
écho de Caro à ce livre dans son blog