Lu
Le vieil incendie d’Elisa Shua Dusapin
« Je monte me coucher avec un album de Claude
Ponti, L'arbre sans fin. Je n'ai pas oublié la scène où la petite créature endeuillée se retrouve prisonnière d'une planète sur laquelle règnent des milliers de miroirs. Chacun renvoie une image légèrement différente, on ne peut s'échapper qu'en trouvant celui qui nous reflète vraiment. Je me demande encore comment la petite créature y parvient si aisément. » p 52
… comme Neige Sinno, génération Claude Ponti
Limite d’Antoine Emaz
28.08.2013
parce que tout sera perdu
presque déjà
perdu
hors de portée
alors quoi
de tout l'épais
restent des bribes
des riens
au bout de la langue
si peu
de vif
encore à lire
débris d'avoir été d'être
là
et quoi
quel élan neuf
voilà ce qui creuse le soir
(p 17, 18)
VI
les mots hésitent
quand ça secoue trop
ils filent à l'abri
dans la cave
des années on a pu croire
qu'ils menaient un peu la danse
là
ils fuient
et ne reviennent qu'après
quand ça se tasse un peu
durant le lent retour au calme
(p 70)
V
on voudrait tenir encore la barre
la barque est déjà partie
sa voile est noire ou blanche
qu'est-ce que ça bouge en tête
le jeu est fait
on peut discuter les erreurs
bien sûr
on a encore du temps
même court
pour la politesse en fin de partie
(p 47)
III
dehors est resté à la pression normale
mais on a du mal
à faire avec
on aimerait
seulement être tranquille
face au jardin
ou bien trouver refuge
au fond de la page
attendre
parmi les ombres muettes
laisser passer
le vent les mots vides
et tous ceux qui savent
(p 75)
Mémoire de fille d’Annie Ernaux
« Aucun autre projet d'écriture ne me paraît, non pas lumineux, ni nouveau, encore moins heureux, mais vital, capable de me faire vivre au-dessus du temps.
Juste «profiter de la vie» est une perspective intenable, puisque chaque instant sans projet d'écriture ressemble au dernier. » p 18
« Cette fille-là de 1958, qui est capable à cinquante ans de distance de surgir et de provoquer une débâcle inté-rieure, a donc une présence cachée, irréductible en moi.
Si le réel, est ce qui agit, produit des effets, selon la définition du dictionnaire, cette fille n'est pas moi mais elle est réelle en moi. Une sorte de présence réelle.
Dans ces conditions, dois-je fondre la fille de 58 et la femme de 2014 en un «je»? Ou, ce qui me paraît, non pas le plus juste - évaluation subjective - mais le plus aventureux, dissocier la première de la seconde par l'emploi de «elle» et de «je», pour aller le plus loin possible dans l'exposition des faits et des actes. Et le plus cruellement possible, à la manière de ceux qu'on entend derrière une porte parler de soi en disant «elle» ou «il» et à ce moment-là on a l'impression de mourir. »
« Comment sommes-nous présents dans l'existence des autres, leur mémoire, leurs façons d'être, leurs actes même? Disproportion inouïe entre l'influence sur ma vie de deux nuits avec cet homme et le néant de ma présence dans la sienne.
Je ne l'envie pas, c'est moi qui écris. » p 94
Vu
Spectacle
Quartett de Heine Müller (1980) mis en scène par Jacques Vincey