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dimanche 8 décembre 2024

Lu et vu (127)

 Lu

Le vieil incendie d’Elisa Shua Dusapin


« Je monte me coucher avec un album de Claude

Ponti, L'arbre sans fin. Je n'ai pas oublié la scène où la petite créature endeuillée se retrouve prisonnière d'une planète sur laquelle règnent des milliers de miroirs. Chacun renvoie une image légèrement différente, on ne peut s'échapper qu'en trouvant celui qui nous reflète vraiment. Je me demande encore comment la petite créature y parvient si aisément. » p 52 


… comme Neige Sinno, génération Claude Ponti 


Limite d’Antoine Emaz

     28.08.2013



parce que tout sera perdu 

presque déjà 

perdu


hors de portée


alors quoi


de tout l'épais 

restent des bribes 

des riens


au bout de la langue 

si peu 

de vif 

encore à lire


débris d'avoir été d'être

et quoi

quel élan neuf

voilà ce qui creuse le soir

(p 17, 18)


VI



les mots hésitent


quand ça secoue trop

ils filent à l'abri

dans la cave


des années on a pu croire 

qu'ils menaient un peu la danse


ils fuient


et ne reviennent qu'après 

quand ça se tasse un peu

 durant le lent retour au calme

(p 70) 


V


on voudrait tenir encore la barre


la barque est déjà partie 

sa voile est noire ou blanche 

qu'est-ce que ça bouge en tête 


le jeu est fait


on peut discuter les erreurs 

bien sûr

on a encore du temps 

même court

pour la politesse en fin de partie

(p 47)


III



dehors est resté à la pression normale

mais on a du mal 

à faire avec


on aimerait 

seulement être tranquille 

face au jardin 

ou bien trouver refuge 

au fond de la page 

attendre

parmi les ombres muettes


laisser passer

le vent les mots vides 

et tous ceux qui savent

(p 75)


Mémoire de fille d’Annie Ernaux 


« Aucun autre projet d'écriture ne me paraît, non pas lumineux, ni nouveau, encore moins heureux, mais vital, capable de me faire vivre au-dessus du temps.

Juste «profiter de la vie» est une perspective intenable, puisque chaque instant sans projet d'écriture ressemble au dernier. » p 18


« Cette fille-là de 1958, qui est capable à cinquante ans de distance de surgir et de provoquer une débâcle inté-rieure, a donc une présence cachée, irréductible en moi.

Si le réel, est ce qui agit, produit des effets, selon la définition du dictionnaire, cette fille n'est pas moi mais elle est réelle en moi. Une sorte de présence réelle.

Dans ces conditions, dois-je fondre la fille de 58 et la femme de 2014 en un «je»? Ou, ce qui me paraît, non pas le plus juste - évaluation subjective - mais le plus aventureux, dissocier la première de la seconde par l'emploi de «elle» et de «je», pour aller le plus loin possible dans l'exposition des faits et des actes. Et le plus cruellement possible, à la manière de ceux qu'on entend derrière une porte parler de soi en disant «elle» ou «il» et à ce moment-là on a l'impression de mourir. »


« Comment sommes-nous présents dans l'existence des autres, leur mémoire, leurs façons d'être, leurs actes même? Disproportion inouïe entre l'influence sur ma vie de deux nuits avec cet homme et le néant de ma présence dans la sienne.

Je ne l'envie pas, c'est moi qui écris. » p 94

Vu

Spectacle 

Quartett de Heine Müller (1980) mis en scène par Jacques Vincey

vendredi 6 décembre 2024

Parole de (6) femme de vieux chasseur de bécasse

rapide coup d’œil aux oreilles du mari Tu m’étonnes qu’il entende pas, je lui dis pourtant assez de mettre ses appareils, ah ! y a que pour la chasse qu’il les oublie pas, oui pour entendre la clochette de  Negu [nom du chien à plumes] quand elle file dans  les sasi (fourrés),  moi, je peux toujours causer

mercredi 4 décembre 2024

retour de battue au sanglier

midi, au moment du rassemblement final, plus de Gérard, avec ses quatre-vingts ans c’est le plus vieux de la bande des chasseurs, on bat les fourrés, l’appelle, les téléphones s’activent Tu veux pas prendre la voiture pour aller à Petit Jean s’il est pas par là, elle lâche sa cuisine, l’Express, échos de colline à colline, cris, aboiements des chiens, il est sourd comme un pot, rien, elle a beau s’égosiller, toujours rien, plus tard, nouvel  appel, tension, le même, il coordonne Il a dû se perdre, tu peux aller en haut du Grand Sasi, (un ravin) re-Express, toujours rien, une inquiétude maintenant, elle s’apprête à rappeler quand sonnerie Ça y est on l’a trouvé, et tu sais quoi. il nous attendait tranquille sur la route, assis au Petit Pont de Beleret, ce qu’il a râlé, Toujours pendus à vos putains de portables, le cor au moins tout le monde l’entendait

lundi 2 décembre 2024

Petites choses qui (89) serrent le cœur

sur la Concha le va et vient d’un dimanche, la foule, le soleil, il fait bon, la voir elle d’abord, bien soixante-dix ans, un tout petit bout de femme, droite jusqu’à la raideur, austère dans un tailleur gris, visage exténué, elle pousse un lourd fauteuil roulant, le regard glisse, apercevoir furtivement sa fille, la quarantaine bien en chair elle tangue, la tête renversée roule d’un côté de l’autre, autour le halo d’une poignante solitude 

dimanche 1 décembre 2024

Lu et vu (126)

 Lu

Tenir sa langue de Polina Panassenko


« À Saint-Étienne, il y a un immeuble qui s'appelle la Muraille de Chine. Un immeuble immense. Le plus grand d'Europe. Il a été construit pour être « le symbole d'un avenir meilleur en train de se réaliser ». On dit que la Muraille de Chine est dans un quartier mal famé. Mal famé ça veut dire famé en mal. Il y a longtemps, un président est venu lui rendre visite incognito. Tu m'étonnes. Moi aussi j'adore passer devant. Quand je prends le 18 avec ma mère, il s'arrête juste en face. S'il est en avance c'est là qu'il attend quelques minutes pour se remettre à l'heure. Ça laisse le temps de bien regarder. La Muraille de Chine c'est un immeuble sublime. On dirait un immeuble russe. Un immeuble immigré » p 93


« J'ai rendez-vous au cabinet de mon avocate. Je vais régler ce que je lui dois et demander des détails sur la procédure à venir. En descendant dans le métro je tape « Jallal Hami » dans la barre Google de mon téléphone, onglet Actualités. Il est mort il y a huit ans mais le procès de son affaire s'ouvre à Rennes aujourd'hui. Dans les journaux ils appellent ça « le procès Saint-Cyr ».

À Sciences Po, le premier jour de cours, on s'est retrouvés dans le même groupe d'« introduction à la sociologie ». Je ne connaissais personne. (…)

Tout le monde devra faire un exposé en binôme. On choisit le sujet dans la liste qu'elle nous lit. Quand un sujer nous intéresse, on lève la main. À « Sociologie des prénoms » je lève la mienne. Elle dit : Vous vous appelez? Pauline. Très bien. Et vous ? Je me retourne, il y a un gars au fond de la salle qui sourit. Jallal, il dit. OK. Alors Pauline et Jallal pour la sociologie des prénoms.

On a échangé nos numéros. On s'est donné rendez-vous sur les chaises orange de la cafét'. On a pris des paninis Nutella, on a fait des blagues sur les prénoms des séries américaines et les gens qui appellent des nouveau-nés Didier. À un moment, Jallal a dit : C'est marrant, sur la liste t'es inscrite à Polina. Ouais ouais, j'ai dit, mais cest Pauline. On n'en a plus parlé. Je ne lui ai rien demandé sur « Jallal ». C'est drôle de faire un exposé sur la sociologie des prénoms et de ne surtout pas parler des siens. C'est exactement ce qu'on a fait.

Sur Internet j'ai lu qu'il avait fait un master d'affaires internationales, qu'il avait fait un tour du monde, appris le chinois puis qu'il était rentré à Saint-Cyr en 2012. Trois mois plus tard il est mort noyé dans un étang de l'école. Bizutage. À Saint-Cyr on ne dit pas bizutage, on dit bahutage ou transmission des traditions. Peut-être parce qu'on y prépare les recrues de la grande muette.


Je change à République. Dans les couloirs du métro il y a des cadres avec marqué « Cap sur les bonnes affaires ». Dans la 5 je regarde une vidéo où le frère de Jallal dit : Quand tu quittes Alger, où des balles sont tirées dans ton salon, et que tu arrives dans un pays où tu peux aller à l'école, ta dette est incommensurable. Je scrolle. Au fort de Vincennes, le 7 novembre 2012, le chef d'état-major de l'armée de terre s'adresse au cercueil de Jallal en ces termes : Je voudrais tout particulièrement saluer votre sens de l'engagement alors que les études que vous aviez suivies vous auraient certainement permis de choisir un métier plus confortable que celui des armes. Mais vous vouliez, disiez-vous, rendre à la France un peu de ce qu'elle vous avait donné. Votre parcours remarquable ilustre ce que notre beau pays peut offrir de mieux à tous ceux qui, animés par une saine ambition, se donnent les moyens de réusir. Il dit ça devant le cercueil d'un type noyé au milieu de la nuit dans une eau à neuf degrés au son de La Walkyrie pendant une séance de « transmission des traditions ». p 99 à 101


« Je suis la seule de ma famille à avoir perdu l'accent russe. La paroi entre le français et le russe est devenue étanche. Plus rien ne filtre au travers. On m'a dit C'est dingue ça, on n'entend rien du tout, non mais c'est vrai, c'est vrai, pas un pet de quelque chose. L'accent  c'est quelque chose. Rien du tout c'est ce qu'il m'en reste. Ce sont les oreilles des autres qui actent la rupture, s'étonnent qu'il ne soit plus là. Tu as un français impeccable. Impeccable. Une cuisine bien lavée. Pas de pelures coincées dans le trou de l'évier. Pas de taches sur la nappe. Même pas une miette accrochée à l'éponge. Mais si mon français est impeccable, le français de ma mère, il est quoi? Et celui de mon père ?

L'accent c'est ma langue maternelle. » p 122


« Pour qui a perdu son accent, il n'est pas exclu que son accent lui manque. Ce n'est pas obligé mais ce n'est pas exclu. Peut-être qu'arrivera le jour où mon accent viendra me demander des comptes. Alors ma vieille, on parle comme Jean-Pierre Pernaut ? Il viendra en fin de matinée. En fin de matinée, il ne se passe jamais grand-chose. Soit ce qui devait se passer a déjà eu lieu le matin, soit ça attendra le soir. Et là, on sonne à la porte. Je regarde dans le judas, je dis C'est pour quoi? Ouvre, c'est ton accent. Une petite femme menue au regard pointu, au front large, avec un béret en laine mauve qui lui couvre l'oreille droite et un baise-en-ville dans les mains. J'ouvre. » p 155

Vu

Cinéma

La infiltrada de Arantxa Echevarría  

Direct Action de Guillaume Cailleau, Ben Russel (documentaire)

Conférence 

Le scientifique dans la société et sa responsabilité par Jacky Cresson dans le cadre de la manifestation paloise Les idées mènent le monde


jeudi 28 novembre 2024

Rénovation


 Lourdes, la saison est terminée, les pèlerins partis,  les rénovations mises aux normes goût du jour vont bon  train, ainsi de cet hôtel, dans le hall baignoires quatre fers en l’air, adieu à elles