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mercredi 30 juillet 2014

la maison de retraite prospère,


 
 l'école a fermé et le village se meurt,
tableau d'affichage, 
des punaises se souviennent

samedi 26 juillet 2014

années 50 "la question de l'émigration des bergers"


  Jean le Basque Joseph Peyré (1953)

 Les hommes encore mouillés regardaient la photographie du récent convoi de bergers expédié par Oyamburu. Groupés autour de l'immanquable joueur d'accordéon destiné à montrer que tout se passait dans la joie, (...) les émigrants en imperméables neufs et bérets, petites valises à la main, fixaient comme il se doit l'objectif de l'opérateur.
— On dirait la chorale de Lizoain, fit une voix.                                         
Une chorale, c'était exactement l'image que suggéraient ces groupes en partance. Et, de fait, ils faisaient le voyage en chantant. Autant de pris, disait Oyamburu lui-même, lorsqu'une bonne affaire l'avait mis d'excellente humeur. Mais quelqu'un observa :
—Comment ? Ils ont encore leurs bérets de paysans ? Je croyais qu'il leur achetait des chapeaux de messieurs ? Oyamburu ?
— Des chapeaux ? Des feutres de cow-boys, oui ! intervint alors Irazoqui, s'emparant de la photographie.
La question était cependant claire, à son sens, et il l'avait dit mille fois : les garçons qui se laissaient piéger étaient des imbéciles, et ils paieraient cher, de toute façon, au départ et à l'arrivée. Et surtout tard, beaucoup plus tard. Irazoqui était réputé pour ne rien faire de ses mains. Hâbleur, grand joueur de mus et chasseur de bécasses, il avait de plus été le héros des pantagrueliques défis de naguère — truites et truites et « ragoûts-rôtis » — où s'affrontaient les gros mangeurs de la vallée. Un, jour, dans un double resté fameux, ayant droit au choix de son partenaire, il avait amené à table un énorme chien affamé, lequel avait tenu sa place, et mené -rondement son jeu. Mais la question de l'émigration des bergers était venue troubler les loisirs que lui consentait la bécasse.
—Des cow-boys, voilà ce qu'ils en font, de nos fils, Oyamburu et les autres. Des cow-boys ou des morts, reprit-il, assenant un coup de sa grosse patte sur la table. —De bons morts qui ne parlent pas. Donne cette photo. Ils y font une tête, ces imbéciles ! Comme leurs agneaux quand ils descendent à l'abattoir. Et l'autre, avec son accordéon, qu'est-ce qu'il se figure ? Qu'il va là-bas pour y faire danser des fandangos, peut-être ?
Pour bien regarder la photographie, Irazoqui avait chaussé ses lunettes de fer. 
(...)

 
Ramiro Arrue Les trois couronnes, galerie Bouscayrol
 
 Cependant ayant extrait de son portefeuille la coupure [de Herria], Irazoqui lisait sa lettre écrite en réponse à un plaidoyer pour l'émigration des bergers récemment publié par le même journal, et la commentait à voix forte :                       
—De vrais négriers, ces agents, je vous dis ! Des trafiquants de chair humaine, Oyamburu comme les autres ! Quinze cents garçons basques partis, depuis la Libéation seulement, vous vous rendez compte ? Cent cinquante pour notre seule vallée. Et combien en reviendra-t-il? Demandez à Jean-Baptiste, lui qui a été assez malin pour s'échapper.
Bien fourré dans sa canadienne, Jean-Baptiste approuvait toujours de la tête. Irazoqui relança sûr de son effet :   
—Tu ne le reverras plus, ton fils. Voilà ce que les curés devraient dire aux mères, s'ils en avaient seulement le courage. Au moins, elles sauraient ce qui les attend.
(...)

"Joueurs de mus" (1932), Ramiro Arrue y Valle (1892-1971), Musée Basque Bayonne

 —S'il y fait sa pelote, Oyamburu ? Plus que dans le commerce des agneaux, je vous assure. Et d'ailleurs, agneaux pour agneaux ! Je voudrais bien savoir ce qu'il vient de prendre à ce pauvre diable d'Espagnol d'Urtasun, qui traînait par là tout ce mois-ci, après être passé. Pour le billet d'avion seulement, vous savez combien ils touchent, les agents ? Le huit du cent. Sur tous les billets, calculez. Sans compter le reste, même la commission sur les chapeaux ! 
Irazoqui semblait avoir instruit pièce à pièce le procès des agents d'émigration, et, particulièrement, d'Oyamburu, sa bête noire.           
—~ Quoi, les papiers ? s'emporta-t-il,, (...) ils sont toujours à rabâcher ça : les papiers ! On dirait que nous sommes un pays d'analphabètes. Qu'on s’adresse à moi, et j'irai les faire faire au consulat de Bordeaux, les papiers. Et sans un sou de commission. Ce n'est pas sorcier !
 Pour se mettre en travers des violences d'Irazoqui, il fallait être, un étranger à Baïgorry. Le représentant de la motofaucheuse se versa un grand verre de vin rouge, et risqua :     
—Il y a tout de même autre chose ? II faut bien contrat de travail, là-bas, pour celui qui ne va pas chez un oncle. Ce n'est plus le temps des traitants. Oyamburu travaille pour le Syndicat des Éleveurs américains, et sur garanties.
—Des garanties ! Ah! parlons-en ! explosa le Pantagruel 
— Elles sont jolies, les garanties ! Même à présent. Le pauvre imbécile de Basque tombe à l'hôtel, de son avion. Et, s'il ne va pas chez un parent, il est bien obligé d'accepter ce qu'on lui propose. Ce qu'on lui propose, demandez-le donc à Jean-Baptiste. Le Syndicat a eu beau s'en mêler, ça n'a pas changé, depuis le temps. Mener ses deux mille bêtes dans le désert—ils disent eux-mêmes : "le désert " ! —au milieu des tempêtes de neige, avec un froid comme tu n'en vois pas au haut du pic de Béhorléguy en janvier, les membres qui gèlent ! Mais aucun Américain n'en veut, de ce métier ! Je m'étonne même qu'ils les sortent encore, leurs moutons, au lieu de les tenir sous cloche, à l'engrais !