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Amikuze, 30 août 2015, 15 h 45 |
chaleur d’un jour d’été, vous êtes attendue, personne sur le seuil, coincé dans la porte d’entrée, sur un bon gros bout de carton récupéré, bien visible, un mot au feutre
Élize, Mets-toi au frais. On est partis tirer un veau à Borde-Sallabure. À tout à l’heure.
Une urgence donc.
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vêleuse pour mise bas difficile |
L’Ukrainienne de Josef Winkler
« Nietotchka Vassilievna Iliachenko, ainsi que je la nommerai néanmoins, plongea une main dans le vagin d'une vache pleine pour attraper le veau par un pied. Elle avait le bras enfoncé jusqu'au coude dans le vagin de l'animal. Elle l'en retira et nous fit comprendre qu'elle ne trouvait pas le pied. La poche des eaux se rompit et gicla, nous éclaboussant, moi et son benjamin qui étions accroupis devant la vache, sur le pantalon, les mains et le visage. Je fis la grimace, comme à chaque fois que quelqu'un claque l'un contre l'autre les revers de ses mains mouillées et m'éclabousse le visage des gouttes restées sur ses doigts. De nouveau elle plongea la main dans le vagin, et à l'expression de son visage je compris qu'elle venait d'attraper un pied. Elle arriva enfin à le sortir, y noua la corde à veau qui était attachée à un petit bâton. Nietotchka Vassilievna enfonça de nouveau la main dans le vagin de la vache pour fixer la deuxième corde à la deuxième patte du veau. Une échelle était posée au sol de manière à buter contre le rebord de la rigole où s'écoulait l'urine des animaux. Le benjamin de Nietotchka Vassilievna et moi, un genou au sol, l'autre jambe tendue contre un barreau de l'échelle, nous tirions, lentement et en rythme, l'un puis l'autre, sur les deux cordes, tandis que Nietotchka Vassilievna, elle, écartait de ses mains le vagin de la vache pour que le crâne du veau puisse glisser au-dehors.
Nous apercevions déjà la langue bleue qui pendait hors de la gueule du veau, le mufle rose bleuté, et quand apparut la tête, nous tirâmes de toutes nos forces sur les cordes attachées aux pattes avant de cette apparition. Le veau avait encore le cou retenu par le col du vagin lorsqu'il ouvrit les yeux et regarda les visages de tous les accoucheurs. Le corps du nouveau-né vint à la suite en se tordant comme un serpent, puis il fut couché dans la paille, maculé de sang et de mucus. J'étais présent lorsqu'à cinq heures du matin, les yeux que venait d'ouvrir pour la première fois ce veau nouveau-né se révulsèrent, que sa tête s'affaissa et que Nietotchka Vassilievna s'écria Mon Dieu, le veau! Je frottai le corps trempé de mucus de l'animal, lui massai le cœur, bougeai ses pattes. Il me semblait sentir au-dessus de ma tête le courant d'air provoqué par des hirondelles noires qui volaient vers la fenêtre. Dépassant par la fenêtre de l'étable éclaboussée de bouse, les fleurs ouvertes des deux abricotiers assistaient à la naissance. Je vis Nietotchka Vassilievna plonger la main dans la gueule du nouveau-né, en extirper la langue bleue et la débarrasser du mucus pour qu'il ne s'étouffe pas. Je sortis de l'étable et courus à travers la cour pour aller chercher au garde-manger de l'eau-de-vie, l'alcool de tête, pour la faire couler sur le nombril du nouveau-né afin, selon les mots de Nietotchka Vassilievna, de le désinfecter. Elle étendit l'animal sur le dos. Je regardai le cordon ombilical rompu, encore sanglant, et renversai le verre d'eau-de-vie. |
Encore un peu, dit Nietotchka Vassilievna, vas-y, verse encore, voilà, ça suffit. Il se passa bien un quart d'heure avant que nous puissions commencer à nous dire que l'animal survivrait. Nous lui bougions les pattes, Nietotchka Vassilievna lui secouait la tête et suppliait Dieu de garder l'animal en vie. La vache était étendue au sol, les yeux écarquillés, la tête tournée vers le nouveau-né.
Une vieille fermière du village passée là par hasard assistait au vêlage. Les veaux qui viennent au monde tout seuls sur les alpages, dit-elle, sont farouches et parfois aussi sauvages que des chevreuils. Nietotchka Vassilievna traîna le nouveau-né vers la vache. La vache doit se remettre sur pattes tout de suite après la naissance, dit-elle, elle ne doit pas rester couchée. Elle ouvrit la claire-voie de la mangeoire et y versa le broyé de fourrage. La vache se releva et alla lécher les céréales concassées avant de se tourner enfin vers le nouveau-né qu'elle commença à lécher. Au début, l'autre vache debout à côté donna quelques coups de sabot envieux en direction du veau, après quoi les deux vaches furent à lécher le nouveau-né. Nous déposâmes le veau sur un sac de jute et le portâmes jusqu'à sa litière.
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souvent vigoureusement frictionné au gros sel, la mère lèche, un lien créé |
Le benjamin de Nietotchka Vassilievna tenait une pointe du sac, moi l'autre, et nous posâmes le nouveau-né sur la paille. Nietotchka Vassilievna s'approcha et enfouit les doigts dans les boucles de sa tête encore humide des entrailles de sa mère. J'avais oublié de me laver les mains et m'assis à ma table d'écriture avec sur mes doigts le mucus desséché du nouveau-né. » (p 37-39)