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dimanche 30 novembre 2025

Lu et vu

Lu

Nue sous la lune de Violaine Bérot

La maison vide de Laurent Mauvignier 


Marie-Ernestine se sent étouffée par toutes les attentions de sa mère, elle pressent que celle-ci projette sur elle un besoin d'amour qui n'est satisfait ni par ses fils - les deux aînés, comme deux fuyards, sont déjà bien loin quoiqu'ils vivent des vies opposées -, ni par son mari, qui ne s'intéresse à elle que pour lui demander des nouvelles du livre de comptes et de ce qu'elle a prévu pour le repas du soir.

Marie-Ernestine se doute bien que, dans ces conditions, pour sa mère, son retour pour Pâques est plus qu'une façon d'échapper à un quotidien terne et sans distractions, c'est un peu de vie et de lumière, une bouffée de chaleur humaine; ensemble elles pourront prier, jouer au jeu de l'oie ou au jeu des manchons, aller marcher dans le bois du Cheval-Blanc ou dans le jardin public qui longe la rivière, flâner dans les rayons des deux boutiques de tissus à La Bassée, boire de la limonade et puis parler, parler de tout et de rien, surtout de rien, sur le mode du murmure et de la confidence, avec de jolies phrases pleines de trous pour préserver la pudeur et une forme de censure - disons de convenance - sur les histoires, anecdotiques et vaines le plus souvent, des cousins et des cousines, sur les peines de cœur des voisines, oui, en privilégiant l'air de rien les ragots sur les fiançailles qui ont capoté au dernier moment - on continuera à casser du sucre sur le dos d'Unetelle puis de telle autre, puis d'une autre encore, pourtant sans vraiment penser à mal, car on ne médit pas tant sur les autres pour les rabaisser que pour accroître la surface de notre entente, pour la solidifier, la faire fructifier, comme si la médisance était le terreau par lequel mère et fille pouvaient s'imaginer comme deux amies, feignant d'ignorer que parler des autres c'est aussi le meilleur moyen d'éviter de parler de soi. Lorsqu'on évoque les mariages de jeunes filles moins belles et moins intelligentes, moins riches aussi que Marie-Ernestine, mère et fille font semblant de ne pas s'apercevoir qu'au fond on ne parle que de son avenir à elle. Ainsi, Marie-Ernestine et sa mère trottinent bras dessus bras des-sous, parfois quelques heures, et toutes les deux cancanent comme deux camarades de classe, sans arrière-pensées, se délassant l'une et l'autre de la fatigue de leur vie en s'adossant à la présence aimée d'un appui solide. (p 71, 72) 


C'était pure médisance, personne n'avait la moindre information sur la vie amoureuse du couple, mais la formule collait bien, Jules incarnait le lapin et sa jeune épouse avait tout de la carpe, muette et passive. On était heureux

- sournois et heureux - de trouver matière à minimiser l'arrogant triomphe de celui qui, hier encore, était des nôtres, était même un peu au-dessous des nôtres, lui qu'on avait aimé plaindre, qu'on avait aimé soutenir et encourager du temps où la vie ne lui faisait pas de cadeaux, car c'était beau et noble de le voir en lutte pour un avenir meilleur.

On avait aimé ça, comme on avait adoré nous voir tellement bienveillants à son égard que ça avait été comme un trahison de sa part quand il s'était mis à tous nous dépasser d'une tête. Maintenant, on était moins enclins à vouloir pour lui tout le bien dont on avait l'impression qu'il venait de nous déposséder, comme s'il avait été dit un jour que tout nous reviendrait. Jules était devenu l'ombre de son beau-père et on se doutait qu'une fois ce dernier mort et enterré, il en serait la continuité.

On n'avait rien à lui reprocher sur sa solidité au travail, même si c'était bien difficile de le voir prendre ses airs de propriétaire, de le voir jouer au maître, lui, affichant ces airs qui ne lui allaient pas du tout quand il se mettait à inspecter le travail des uns et des autres. Mais on savait bien qu'il ne fallait rien dire, et, comme seul lieu possible pour projeter tout le ressentiment engrangé, il ne nous restait que l'aridité du ventre de sa femme et l'impression que, depuis leur mariage, le couple n'avait jamais montré qu'une union de façade - des sourires au marché et des visites le dimanche à l'église, quelques invitations à un notable ou à un cousin, mais c'est tout. Le ventre de Marie-Ernestine donnait matière à se payer en toute bonne conscience de ce que chacun des amis de Jules avait secrètement vécu comme une humiliation, lorsque tous ces jeunes hommes s'étaient demandé sans oser affronter la question avec per-sonne, pourquoi c'était lui, Jules, que Firmin avait choisi - lui, trop gros, pas plus malin qu'un autre, oui -, pourquoi lui et pas moi.


L'enfant naît au mois d'avril, le 17 de l'année 1913. C'est Jules qui décide du prénom, Marguerite, parce que, dit-il en souriant, ému aux larmes, 

Quand je venais te taire la cour, j’avais toujours une ou deux marguerites en boutonnière.


Marie-Ernestine sourit, oui, c'est vrai, elle se souvient des boutonnières - elle se souvient du mépris qu'elle éprouvait. Mais elle est touchée de le voir si ému, elle pense qu'il sera avec sa fille comme son père était avec elle. C'est lui et non pas eux, encore moins elle, qui vient d'avoir un enfant. C'est lui, ce n'est pas elle. Marie-Ernestine ne se sent traversée par rien, par aucun bonheur irradiant, aucune révélation ni épiphanie; elle s'étonne de se sentir aussi peu mère. Elle pensait qu'avec la naissance de l'en-fant, ce serait sa naissance à elle en tant que mère, mais non, et comme on vient avec l'enfant dans la chambre

- la bonne le porte dans ses bras, couvert de langes, elle est accompagnée par la mère de Marie-Ernestine et toutes les deux sourient; elles lui donnent l'enfant et les deux femmes s'enhardissent, oui, 

C'est le portrait de son père, 

disent-elles toutes les deux, le répétant deux ou trois fois, comme si c'était la plus belle nouvelle du monde.

Marie-Ernestine scrute la peau rougeâtre et les yeux gonflés de l'enfant; elle pense à la souffrance de l'accouchement, à Jules et à sa joie, elle pense qu'en effet le bébé lui ressemble, à lui; elle regarde l'enfant avec une dureté qui la surprend elle-même - maintenant la guerre peut commencer. (p 279, 280)

Vu

Black Box Diaries de Shiori Ito

Pompéi Sotto le nuvole de Gianfranco Rosi


samedi 29 novembre 2025

Petites choses qui (132) amusent

passer au marché des forains, un écriteau à un portant de vêtements Arrivage frais, comprendre l’idée mais sentir que ça coince, pas tout à fait ça, pas le mot juste, chercher et  penser à récent, oui, arrivage récent

jeudi 27 novembre 2025

Conversation (55)

Professeur documentaliste en collège, La semaine dernière dur, une semaine avec mes réfugiés climatiques, lever un sourcil surpris, tu te rappelles comme il a plu, commencer à comprendre, se remémorer aussitôt les cours de récréation et leurs minuscules préaux, les seuls abris et dessous les courses déchaînées, bousculades, cris suraigus, quelques autres à pieds joints sur les grandes flaques du goudron, le ciel roulant ses lourds nuages, revoir aussi leur retour en classe follement excités, trempés comme des soupes, elle poursuit, je n’ai pas le cœur de les laisser dehors, bien sûr, ils sont là par défaut, il faut avoir l’œil partout, supporter le bruit mais j’en prends le plus possible, sourire désolé et tendre, des réfugiés climatiques 

mardi 25 novembre 2025

vieillir (80)

elle prend place sur la banquette l’air réjoui de j’en a une bonne, ça ne manque pas, Faut que je te raconte, tu sais pourquoi on y est pas allés à Aydius finalement? Figure-toi que François a fait une de ces gastro à tel point que je lui ai dit, attends, je vais te chercher une couche de mon père au garage, oui, je les avais gardées quand il est mort et tu vas voir j’ai bien fait, tu seras plus à l’aise avec, je l’aide à enfiler tout ça et de se voir comme ça sur le lit, lui sur le dos, ça faisait de toutes  petites jambes qui sortaient, nous bientôt on s’est dit et ça nous a pris le fou-rire, impossible d’arrêter, ses yeux se plissent encore à ce souvenir, l’interrompre Tu sais ce que j’ai entendu, qu’en Chine, ils vendraient maintenant plus de couches adultes que de couches bébé, elle se fige

lundi 24 novembre 2025

s’asseoir là (9)

Urt, 10 novembre 2025, 16h30

dimanche 23 novembre 2025

Lu et vu (165)

 Lu

Le musée de l’Innocence d’Orhan Pamuk

Paysages aléatoires de Peter Stamm

Jours à Leontica de Fabio Andina

C'est du côté des champs en dessous du lavoir que l'Evelina a sa baita. Nous la trouvons dans sa cuisine en train de laver une assiette. Le Felice [son frère nonagénaire] lui demande si elle a besoin de quelque chose, elle tourne la tête, l'observe, confuse, répond que non puis continue sa vaisselle. Le Felice contrôle alors que tout est en ordre, soupèse la bonbonne de gaz, regarde dans le frigo, jette un coup d'œil à la salle de bains et disparaît à l'étage. Depuis que sa sœur a l'alzheimer, il doit garder un œil sur elle, des fois qu'elle laisserait quelque chose pourrir dans le frigo ou qu'elle oublierait de fermer une fenêtre et prendrait froid, ou un robinet ou, pire encore, le gaz. Un portrait de son mari, le Fosco, assis sur un vieux tracteur, est accroché au mur. Il est mort il y a une dizaine d'années au moins. Un rameau d'olivier tout sec et un chapelet.

Le Felice descend l'escalier, retourne dans la cuisine et la salue, on y va, il dit. L'Evelina, qui lave toujours la même assiette, se tourme vers lui et répond, l'air de ne pas nous reconnaître, vous voulez un café?

Nous la laissons dans son monde, fait du présent et de guère plus. Le Felice soupire plusieurs fois sur le chemin du retour. (..) p 130


Un virage, un klaxon, et ainsi de suite jusqu'à Corzoneso, où il toque chez la vieille dame du premier jour. Personne ne répond, il suspend son dernier sac à la poignée de la porte et nous faisons le tour de la baita. Nous la trouvons dans le poulailler, occupée à donner une bouillie jaune à ses poules. Elle vient à notre rencontre d'un pas hésitant, le souffle court, en s'aidant d'un bout de bois qui finit comme un manche de parapluie. En le voyant de plus près, je constate que c'est bel et bien un parapluie sans toile ni baleines. Le Felice lui signale qu'il lui a posé un sac de figues et d'oignons devant la porte.

Mèrsi Felice. Attends voir. Elle retourne dans son poulailler en claudiquant et revient, essoufflée, avec un exemplaire du Giornale del Popolo dans une main et quatre œufs dans la poche de son tablier. Le bâton coincé entre ses cuisses pour éviter qu'il tombe par terre, elle emballe les œufs dans le journal et nous les donne. (p 132)


(…) On regarde en l’air. Je lève les yeux moi aussi. Les étoiles au-dessus du Simano jouent à cache-cache avec des nuages sombres. Le vent des hauteurs souffe vers le sud, je dis en m'asseyant. Ehi, Ramoneur.

Ué, il répond, la tête ailleurs.

Je vais pour ajouter quelque chose, histoire de parler un peu et qu'on ne reste pas sans rien dire comme deux ivrognes, mais une quinte de toux le tire de sa torpeur. Il se racle la gorge et crache un mollard au milieu de la chaussée.

Il retrouve son souffle, soupire, fourre une main à l'intérieur de sa veste et la ressort avec un paquet de tabac. Il l'ouvre, prend une feuille, y dépose une pincée de tabac qu'il roule en un éclair, porte la cigarette à ses lèvres, se tâte la veste puis les poches de son pantalon.

T'as pas du feu? il me fait. Je lui réponds que je ne fume pas, alors il se lève et, du haut de son mètre nonante, inspecte ses poches arrière, où il déniche enfin un briquet. Il se tourne pour s'abriter du vent, allume sa cigarette puis se rassoit. Alors cette gouille [sorte de grande bassine naturelle dans le granit, à flanc de montagne dans laquelle Felice se baigne chaque jour à l’aube], il dit, ça doit bien vous prendre une heure pour y aller.

Je le regarde. Lui qui disait à tout le monde que cette histoire de gouille, c'était du grand n'importe quoi. Je lui réponds, alors en fin de compte t'y crois, mais lui me demande de but en blanc, sa première bouffée tirée, ça t'arrive jamais d'avoir besoin de rester seul dehors la nuit, sans rien dire. Je ne trouve rien à lui répondre.

Moi si, continue-t-il avant de s'emmurer de

nouveau dans le silence.

Sa cigarette, il l'a déjà terminée depuis un bail, il l'a même fait voler puisqu'elle a presque rejoint son crachat au milieu de la route, et ensemble nous l'avons regardée s'éteindre.

J'ai pas de souvenirs de mes parents, il dit.

J'ai des photos d'eux, enfin... pas un album.

Mais je me souviens pas vraiment d'eux. Je me souviens des photos parce que de temps à autre je les regarde, je les ai rangées dans une boîte.

Tu vois les boîtes de sablés du Danemark? Eh bien, elles sont là-dedans, en vrac, elles pourraient raconter quelque chose, mais quand j'ouvre la boîte, il y a rien qui se passe, c'est des souvenirs mais ils me parlent pas, c'est tout. Ils disent rien. Moi pour passer un peu de temps avec mes parents, tu sais ce que je fais? Je me pose là, et je me tais.

J'ai eu de la peine à suivre ses propos décousus, mais je crois avoir compris où il voulait en venir. Je ravale donc mes mots et nous restons là, comme ça, comme deux ivrognes. Nous n'entendons que l'eau qui coule dans le lavoir. Un long moment après, alors que je vais pour partir, il dit, dehors, la nuit, j'ai l'impression qu'ils sont avec moi. (p 170, 171)


Vu

Spectacle 

Article 353 du Code Pénal de Tanguy Viel, mise en scène d’Emmanuel Noblet

Cinéma

Dossier 137 de Dominik Moll

vendredi 21 novembre 2025

ombre et lumière (12)

Pau, parc du Château. 18 novembre10h30

 ce qu’il reste encore d’automne