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vendredi 3 juillet 2009

Mains


Jeunes, adultes, vieillissantes, fines, petites, élégantes, potelées, travailleuses, noueuses, repliées, offertes... et puis les mains de tous les rêves, celles de Pola Marelle, Julio Cortazar (p404, 405)


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Avec Pola, ce furent d'abord les mains, comme toujours. Il y a le soir, il y a la fatigue d'avoir perdu son temps dans les cafés en lisant des journaux qui sont toujours le même journal, il y a comme une barre de bière qui serre doucement la peau à la hauteur de l'estomac. On est disponible pour n'importe quoi, on pourrait tomber dans les pires pièges de l'inertie et de l'abandon et soudain une femme ouvre son sac pour payer son café-crème, ses doigts jouent un instant avec le fermoir toujours rétif du sac. On a l'impression que le fermoir défend l'entrée d'une maison zodiacale, que lorsque les doigts de la femme trouveront la façon de faire glisser la fine barrette dorée, une irruption va éblouir les habitués du café imbibés de Pernod et de Tour de France, ou plutôt elle les avalera, un entonnoir de velours violet arrachera le monde de ses gonds, tout le Luxembourg, la rue Soufflot, rue Gay-Lussac, le café Capoulade, la fontaine Médicis, la rue Monsieur-le-Prince, elle emportera tout dans un gargouillement final qui ne laissera qu'une table vide, le sac ouvert, les doigts de la femme qui sortent une pièce de cent francs et la tendent au père Ragon, tandis que, naturellement, Horacio Oliveira, émérite survivant de la catastrophe, se prépare à dire ce qu'on dit en pareille occasion.
—Oh, vous savez, répondit Pola, la peur n'est pas mon fort.
Elle dit Oh, vous savez, un peu comme devait parler sphinx avant de poser l'énigme, en s'excusant presque, refusant un prestige qu'elle savait grand. Elle parla comme les femmes de tant de romans où le romancier ne veut pas perdre son temps et met le meilleur de la description dans les dialogues, joignant ainsi l'utile à l'agréable.
—Quand je dis peur, fit remarquer Oliveira assis à la gauche du sphinx, sur la même banquette de peluche rouge, je pense surtout aux envers. Vous bougiez cette main comme si vous touchiez une limite, après laquelle commençait un monde à rebrousse poil, où moi par exemple je pouvais être votre sac et vous le père Ragon.
Il espérait que Pola rirait et que les choses cesseraient d'être aussi sophistiquées mais Pola (il sut par la suite qu'elle s'appelait Pola) ne trouva pas trop absurde cette possibilité. Elle montrait en souriant des dents petites et très régulières contre lesquelles s'aplatissaient un peu les lèvres peintes d'orange vif, mais Oliveira en était encore aux mains, comme toujours les mains des femmes l'attiraient, il éprouvait le besoin de les toucher, de promener ses doigts sur chaque phalange, d'explorer comme un masseur japonais la route imperceptible des veines, de s'informer de l'état des ongles, de pressentir chiromantiquement les lignes néfastes et les monts propices, d'entendre le grondement des marées en appuyant son oreille contre la paume d'une petite main que l'amour ou une tasse de thé ont rendue un peu humide.
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