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L'ennui est l'oiseau qui couve l'œuf de la réflexion" aurait dit 
Walter Benjamin, pas d'autre référence dans mon vieux cahier de citations, je ne m'embarrassais pas alors de relever la source, deux, trois clics aujourd'hui 
et et le texte sort du chapeau, merveille que de vivre cette croisée de chemins-là,
  
"Observant que 
l'art                du conteur consiste pour moitié à savoir rapporter                une histoire sans y mêler d'explication, Benjamin formule                en ces termes la règle principale du conte :             
L'extraordinaire,                le merveilleux se trouve raconté avec la plus grande précision,                mais le contexte psychologique de l'action n'est pas imposé                au lecteur. Celui-ci est laissé libre de s'expliquer la chose                comme il l'entend, et le récit acquiert de la sorte une amplitude                que n'a pas l'information. 
Concernant la supériorité                du conte sur l'information, Benjamin fournit l'exemple suivant,                emprunté aux 
Histoires d'Hérodote :
Il s'agit                du roi d'Egypte Psamménite. Lorsque celui-ci eut été                vaincu et fait prisonnier par le roi des Perses Cambyse, ce dernier                résolut d'humilier le captif. Il donna l'ordre de le placer                sur le chemin que devait suivre le cortège triomphal des                Perses. Et, de plus, il fit en sorte que le prisonnier pût                voir sa fille, réduite à l'état de servante,                allant à la fontaine avec une cruche. Alors que tous les                Egyptiens, à ce spectacle, se plaignaient et se lamentaient,                Psamménite seul ne disait mot et restait immobile, les yeux                cloués au sol ; et voyant peu après son fils qu'on                emmenait au supplice avec le cortège, il ne bougea pas davantage.                Mais lorsqu'il reconnut ensuite, dans les rangs des prisonniers,                un de ses serviteurs, un vieillard misérable, alors il se                frappa la tête avec les poings et présenta tous les                signes de la désolation la plus profonde.
Hérodote raconte ;                il n'explique pas. Ainsi rapportés, les faits conservent                un caractère étonnant, sur quoi le temps n'a pas de                prise. L'interprétation demeure ouverte. Chacun de nous,                tour à tour, s'y essaiera, à la mesure des raisons                que lui dicte son entente propre.(...)
Contrairement à n'importe                quelle information, qui 
 n'a de valeur que                dans l'instant où elle est nouvelle, note Benjamin,                ce récit venu de l'ancienne Egypte demeure en tout cas 
encore                capable, après des milliers d'années, de nous étonner                et de nous donner à réfléchir. Il ressemble                à ces graines enfermées hermétiquement pendant                des millénaires dans les chambres des pyramides, et qui ont                conservé jusqu'à aujourd'hui leur pouvoir germinatif.
Rendu frappant par sa pudique                concision, ce type de récit s'impose d'autant plus                durablement à la mémoire qu'il laisse à son                auditeur ou à son lecteur le soin de tirer, relativement                aux faits rapportés, et à la lumière de son                expérience propre, la leçon qui éclaire et                approfondit cette dernière. Autrui devient ainsi dépositaire                d'un précipité d'expérience que, par la suite,                il aura sans doute envie de transmettre. A ce titre, autrui saura                prendre le relais du conteur, par là maintenir ouvert le                possible d'une sagesse qui, bien qu'héritée du passé,                requiert chaque fois d'être questionnée aujourd'hui                comme si c'était la première fois. 
(...) De        façon paradoxale, Benjamin invoque ici la 
vertu de l'ennui. 
L'ennui,        dit-il, est l'oiseau de rêve qui couve l'œuf        de l'expérience. Il ne niche pas dans les villes, 
où        il n'est plus d'activités qui soient intimement liées à        l'ennui, mais à la campagne, du moins la campagne d'antan,        dédiée à la vie lente, aux longs travaux, poursuivis        le soir, à la veillée. Tandis que l'on filait, dévidait        et tissait, le conteur, en miroir, filait, dévidait et tissait des        histoires. En vertu de cette disposition spéculaire, favorable à        l'écoute et à la communion des esprits, la mémoire        collective s'entretissait. La relève du conteur se trouvait naturellement        assurée. 
Benjamin conclut ce tableau,                d'apparence passéiste, par quelques lignes d'explicitation,                qui, nouant et dénouant le fil de la métaphore, éclairent                la valence symbolique du propos :
L'art de raconter des histoires                est toujours l'art de reprendre celles qu'on a entendues, et celui-ci                se perd, dès lors que les histoires ne sont plus conservées                en mémoire. Il se perd, parce qu'on ne file plus et qu'on                ne tisse plus en les écoutant. Plus l'auditeur s'oublie lui-même,                plus les mots qu'il entend s'inscrivent profondément en lui.                Lorsque le rythme du travail l'occupe tout entier, il prête                l'oreille aux histoires de telle façon que lui échoit                naturellement le don de les raconter à son tour. Ainsi donc                se noue le filet où repose le don de raconter. Il se défait                aujourd'hui par tous les bouts, après qu'il a été                assemblé, voici plusieurs milliers d'années, dans                la sphère des plus anciennes formes d'artisanat."