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jeudi 28 avril 2011

L'éloquence des larmes Jean-Loup Charvet

Artemisia Gentileschi, Marie-Madeleine (détail)
... des années plus tôt, cliquer ici,
disque écouté en boucle, si peu de traces aujourd'hui de Jean-Loup Charvet ... et pourtant...
(citées et commentées dans le livre qui accompagne le disque, reproductions 1 et 2)

L'éloquence des larmes Jean-Loup Charvet

(...) On pourrait presque ici parler d'extase méthodique, comme on parle ailleurs de doute méthodique. Extase définie comme cette attitude qui nous tient hors de nous-mêmes, là où veut bien nous placer la souffrance quand elle sait ne pas nous détruire. On ne pratique pas les larmes, on est gagné par les larmes. Elles sont sans doute un degré ultime de conscience, un moment d'"attention extrême".
1 Artemisia Gentileschi, Marie-Madeleine
    Les vraies larmes se donnent. Ou, plus exactement, se reçoivent. Elles sont la dernière chose que l'on a le droit de gaspiller, car on ne peut les acquérir. Parce qu'elles sont la chose la plus précieuse au monde, elles se donnent, ou plutôt elles sont données. On parle du don des larmes.

 
   Les larmes s'offrent à notre visage comme à notre pensée ou à notre cœur, leur évidence leur épargne une définition, leur intelligence les en protège. Leur claire transparence leur évite une description. Pour nous donner leur lumière, pour nous donner leur légèreté, pour nous offrir leur silence, elles se sont confiées à l'obscurité, se sont soumises à la pesanteur, se sont données aux soupirs. Pas de clarté sans clair-obscur, pas de pesanteur sans apesanteur et pas de son sans "silence mélodieux". Au risque de notre incarnation et de notre béatitude. Entre chair et ciel. Horizon transparent.

2 Jacob Jordaens Les Disciples au tombeau
     Parole incarnée, la larme n'est donc jamais un argument, peut-être tout juste une preuve, et encore sans doute malgré elle.
    Vision, elle se tait dans la lumière. Mots éblouis. Regards muets d'avoir vu.
    Épiphanie, c'est-à-dire, au sens étymologique du terme, apparition lumineuse, la larme est du domaine de la certitude profonde, de la clarté reçue, du mémorial joyeux.
   Comme la parole vient au muet, comme la vue illumine l'aveugle, comme la marche fait danser le boiteux, les larmes ne sont données qu'à celui qui, longtemps, est demeurée sur leur bord. Elles n'ont pas d'origine visible, pas de fin déterminée. C'est ce qui fait leur force. Notre plus belle existence s'inscrit dans leur chiffre de fuite, notre plus juste discours dans leur éloquence muette, notre peinture la plus forte dans leur transparence, notre écriture la plus parlante dans leur silence. Elles nous aveuglent dans une vision plus absolue que celle du regard.
Les larmes de St Pierre
   Les vraies larmes nous confient qu'elles ne sont pas de nous tout en venant du plus profond de nous-mêmes. C'est quand la larme s'échappe de notre corps qu'elle signifie, qu'elle le signifie le mieux. On ne pleure vraiment qu'en perdant ses larmes, comme on ne croit vraiment que si l'on a déjà une fois douté. L'invisible s'écrit sur nos visages en s'incarnant, en s'effaçant, par la force de nos larmes. L'évidence de cette force nous éblouit dans son obscurité, comme la chute peut nous faire gravir un échelon vers le ciel.

La Sainte Famille

1 commentaire:

  1. Des larmes et de Saints, des poules, des vaches, des moutons, Cioran et du silence, en somme...

    Bonne journée, Elise !

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