Rechercher dans ce blog

mercredi 18 mai 2011

La mère (1) un poème extrait de Haut Mal de Michel Leiris


une violence, la vôtre, les derniers mots une glu dans laquelle vous continuez à être prise, vous étiez si jeune alors...


LA MERE    Haut Mal (1943) Michel Leiris


La mère en deuil, c'est la mort qui attend au bord du fossé où se reflètent les nuages troubles,—c'est les obsèques du père un matin d'hiver (les panaches noirs frissonnent, un vent mauvais s'abat, épaissit les doigts des porteurs, couleur de gros vin rouge).


La mère en noir, mauve, violet—voleuse des nuits— c'est la sorcière dont l'industrie cachée vous met monde, celle qui vous berce, vous choie, vous met en bière, quand elle n'abandonne pas—ultime joujou— à vos mains qui le posent gentiment au cercueil, son corps recroquevillé.


La mère—en noir, en bleu, en vert, en rouge— c'est l'immortelle jaunie, le bouquet poussiéreux de mariée. Vierge claire, elle a pourtant gémi quand l'homme—charpentier de douleur—lui a mis aux entrailles la cheville, la pierre d'angle, la clef de voûte, afin qu'en un recoin du sanglant édifice prospère et nidifie l'humain malheur...


La mère—bête en folie—c'est le volcan tumultueux qui vous crache. (Mais le cratère—jetant sa pourpre de cendres, son paquet de laves brûlantes— lui, n'a jamais souri...)


La mère—statue aveugle, fatalité dressée au centre du sanctuaire inviolé—c'est la nature qui vous caresse, le vent qui vous encense, le monde qui tout ensemble vous pénètre, vous monte au ciel (enlevé sur les multiples spires) et vous pourrit.


I.a mère, c'est la chienne et l'ogresse, la goule qui hante les songes, le spectre réveillé soudain qui s'interpose entre l'âme (riches pilastres, altière ruine) et toute joie, tout pur amour.


La mère — qu'elle soit jeune ou vieille, belle ou laide, miséricordieuse ou têtue—c'est la caricature, le monstre femme jaloux, le Prototype déchu,— si tant est que l'Idée (pythie flétrie juchée sur le trépied de son austère majuscule) n'est que la parodie des vives, légères, chatoyantes pensées...


La mère—sa hanche : ronde ou sèche, son sein : tremblant ou dur—c'est le déclin promis, dès l'origine, à toute femme, l'émiettement progressif de la roche étincelante sous le flot des menstrues, ensevelissement lent—sous le sable du désert âgé —de la caravane luxuriante et chargée de beauté.


La mère—ange de la mort qui épie, de l'univers qui enlace, de l'amour que la vague du temps rejette— c'est la coquille au graphique insensé (signe d'un sûr venin) à lancer dans les vasques profondes, génératrices de cercles pour les eaux oubliées.
         
La mère—flaque sombre éternellement en deuil de tout et de nous-mêmes—c'est la pestilence vaporeuse qui s'irise et qui crève, enflant bulle par bulle sa grande ombre bestiale (honte de chair et de lait), voile roide qu'une foudre encore à naître devrait déchirer.


Viendra-t-il jamais à l'esprit d'une de ces innocentes salopes de se traîner pieds nus dans les siècles pour pardon de ce crime : nous avoir enfantés?

2 commentaires:

  1. Un plaisir à relire, surtout la fin.

    Merci, Elise, ````````

    RépondreSupprimer
  2. Michel Leiris avait plus de quarante ans lorsqu'il a publié ce texte. Une surprise. J'imaginais que la la maturité venant la relation à la mère, à la vie elle-même s'apaisait. Il faut croire que la maturité n'a que faire là... et qui pour dire ce qui sommeille, parfois grouille, en nous ? Un écho que l'on fait sien, la voix qui vieillit avec nous.

    RépondreSupprimer