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dimanche 3 août 2025

Lu et vu (159)

 Lu

Le corps des pays de Luc Baptiste (photo) et Marie-Hélène Lafon (texte)

Le champ de Josef Winkler 

Le fait est que j'ai rapporté du Mexique entre autres choses une boîte de têtes de mort en sucre, que j'ai pulvérisées de laque pour qu'elles ne tombent pas en poussière avant de les placer à tous les coins et recoins de mon cabinet de travail, et même sur l'étagère qui couvre tout le mur, entre les livres, surtout auprès des surréalistes français et des Russes, de Tolstoi, d'Anna Akhmatova et de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski. Tu voulais absolument être enterré et pourrir sous la terre, il n'a jamais été question que nous te fassions incinérer, tu aurais considéré comme une profanation une incinération telle qu'on en pratique souvent en Inde, dans la ville sainte des Hindous, à Varanasi, sur la rive du Gange, cela t' épouvantait. Lorsque, voici vingt ans, Rajiv Gandhi alluma avec un tagot le bücher sur lequel gisait sa mère, la première ministre indienne assassinée Indira Gandhi, nous étions assis toi et moi lors de cette cérémonie d'incinération devant la télévision dans la maison familiale à Kamering, tu as bondi du canapé vert que ta grosse mère avait défoncé à force d'y rester assise et qui était souillé par son urine, tu m'as regardé fixement, l'air horrifié, et tu as hurlé : « Mais regarde-moi ça! Le fils qui met sa propre mère sur le gril! » J'avais cette réponse sur les lèvres mais je ne l'ai pas prononcée : « Oh, toi aussi on te metra sur le gril! » Quand l'heure viendra! Mais quand tu es mort, je me trouvais à Tokyo, je ne suis même pas rentré pour ton enterrement, c'était une chance de ne pas devoir être là au moment de l'adieu, car un jour, par indignation, tu m'avais fait transmettre ton souhait que je ne vienne pas à ton enter-rement, puisque j'avais écrit qu'une fermière du village avait mis son ivrogne de fermier dans la soue à cochons et que pendant la nuit, les cochons lui avaient bouffé les couilles, tu craignais, paraît-il, qu'on s'en prenne à moi dans mon village natal au moment de ton enterrement, qu'on me pousse dans la fosse pour que je tombe sur ton cercueil et que de mon poids mort et vivant j'écrabouille non seulement le grand bouquet de roses rouges, mais peut-être même que je transperce le couvercle du cercueil et que ma tête de vivant heurte tête de mort et que ma tête et la tienne se pulvérisent mutuellement. (p 150, 151)


Tandis que ma mère malade des nerfs prenait la fine omelette suivante, de la taille d'une assiette, pour la découper en lamelles, que ma sœur malade des nerfs posait sur la planche en bois le morceau suivant de viande de porc sanglante et lui assenait de brefs coups secs avec le marteau à viande pour que le sang de la viande aplatie coule dans les veines du bois et les rainures de la planche, un reporter de guerre [le père ou l’un de ses deux frères] lança, dans l'air de la cuisine sentant les chrysanthèmes et le saindoux qui grésillait dans la poêle posée sur le fourneau : « Imagine ça, pendant la guerre, on avait un curé qui nous recommandait d'abattre autant d'ennemis que possible. Un curé, dire une chose pareille! Un de mes camarades a dit au curé qu'il était chrétien et avait le devoir de respecter les Dix Commandements. "Connaissez-vous le cinquième commandement, monsieur le curé? Tu ne tueras point!" a dit mon camarade. Depuis ce moment-là, je les respecte plus, ces pisseurs dans leurs soutanes. Ce camarade a reçu une balle dans la tête, ils lui ont délogé les yeux de la tête! À l'hôpital militaire, aveugle, il criait tout le temps : "Je veux voir ma famille encore une fois!" » Dans l'intervalle, les gouttes d'eau bénite avaient séché sur les manteaux des trois messieurs reporters de guerre et les gouttes de cire à l'ourlet de leurs manteaux en loden vert, qui auraient durci dans le froid du cimetière, s'étaient de nouveau ramollies dans l'air chaud de la cuisine sentant la cire de bougie, les leurs de la Toussaint et les os d'Odilo Globocnik que Hermann le tonton-taupe avait dégotés lors de ses virées dans les galeries souterraines des Pâtis-aux-Porcs et qui mijotaient dans le bouillon destiné à la soupe à l'omelette. Ma sœur cassait un œuf sur le rebord d'un saladier en émail blanc portant l'inscription « Old Enamel Ware Bowl », versait le blanc d'œuf de chaque moitié dentelée de la coquille dans un saladier émaillé et glissait le jaune d'œuf dans un autre saladier émaillé, posait la viande de porc bien aplatie dans le saladier des jaunes d'œufs qu'elle avait battus avec une fourchette et, enfin, déposait l'escalope dans un troisième récipient rempli de chapelure. Elle plaçait délicatement les escalopes une fois panées dans le saindoux qui grésillait et formait des bulles dans la poêle. Ma mère avait découpé les omelettes, ouvrait la porte du fourneau et y jetait dans les braises plusieurs morceaux de bûches d'épicéa, tandis qu'au fond de la cuisine, devant la fenêtre déjà embuée par le bouillon des os de Globocnik, les trois vieillards en train de se raconter leurs aventures de guerre, qui avaient peu a peu déplacé leurs sièges et rapprochaient leur tête l'une de l'autre pour s'écouter attentivement, s'excitaient mutuellement et se lançaient : « Encore de nos jours, c'est l'Youpin qui dirige le monde... Hitler, il aurait dû en tuer deux fois plus, des Juifs... Ils ont fermé Mauthausen bien trop tôt... Regarde-moi ça combien d'argent le chancelier a encore envoyé en Israël. Et même les cimetières juifs, c'est l'État qui doit les entretenir... » (p 197, 198)

Élever d’Elsa Sanial

Malgré moi, mon téléphone m'envoie chaque mois une carte avec le tracé de tous les trajets que j'ai parcourus


En octobre 2019, 4 pays et 3 continents France, Indonésie, Cameroun, Côte d'Ivoire


En mars 2024, 13 prés, 29 chemins et 53 bosquets La Fondichère, la Champ dou Veine, Clavel, les Cros, le Lac, la Pave, la Grande Paisse, Lachamp, Chaudoreilles, Route du Fraisse, le Crouzillou, le Champeix, les Tortes


Sur la carte d'octobre 2019, les trajets d'aujourd'hui seraient comme un petit point

Gribouillage confus

Traces laissées par un insecte dans un bocal


Sur celle de 2024, ces espaces deviennent un nouveau planisphère


Je connais leurs histoires, j'y ajoute les miennes

Je les transforme par mes pratiques

J'aperçois l'arrivée d'une nouvelle espèce fourragère dans la prairie

Je connais le débit des sources à chaque saison

Je compare la période de chute des feuilles des arbres et sais quand ils ont manqué d'eau


A la taille des flaques je connais l'intensité de la pluie de la veille

Je remarque l’installation d’un nouveau terrier

Je sais si quelqu’un est venu (43, 44)


Races bouchères

Agnelages 3 en 2 *

Antibiotiques préventifs

Aliment optimisé

Engraissement accéléré

Carcasses conformées

Étal au supermarché

Viande dans nos corps


On se fait croire, entre éleveurs, qu'il faudrait produire avec performance pour s'en sortir 

Mais ce sont principalement les subventions qui nous font vivre

Quelles que soient nos pratiques


Nous ratons l'occasion discrètement possible

D'élever nos bêtes dans la dignité (p 63)


* conduite d’élevage où les brebis agnellent trois fois en deux ans (au lieu de deux fois), ce qui implique un sevrage précoce des agneaux (glossaire p 115)


Donner de l'aliment à ses agneaux

Pétrole


Débroussailler un parc

Pétrole


Chausser ses bottes

Pétrole


Faucher à la barre de coupe

Pétrole


Tondre les brebis

Pétrole


Faner à la pirouette

Pétrole


Construire une bergerie

Pétrole


Botteler le foin

Pétrole


Installer une clôture mobile en plastique

Pétrole


Vendre la viande sous-vide

Pétrole


C'est avec aisance qu'entre paysannes nous parlons

De nos pratiques eugénistes 

De régulation des naissances

De sélection naturelle

De races (p71, 72) 

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