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vendredi 23 décembre 2011

Homme de gauche Alex Métayer


Le père est dans le salon et il lit. Valérie, quatorze ans, entre dans la pièce
VALERIE (de sa petite voix ingénue): Papa ? Je peux te poser une Question ?
LE PÈRE (sans lever la tête): Oui...
VALERIE: Voilà, papa. Quand tu parles, toujours tu dis que tu es un homme de gauche. C'est quoi exactement un homme de gauche ?
Le père lève les yeux et regarde sa fille l'air épuisé.
LE PÈRE: Valérie, j'ai un peu mal au crâne mais je vais te répondre... Je... (II se lève.) Un homme de gauche, si tu veux, Valérie, c'est quelqu'un qui est plus sensible qu'un autre à tous les problèmes humains. C'est une question de sensibilité... Et on appelle ça avoir une sensibilité de gauche.
VALÉRIE: Mais cette sensibilité de gauche papa, on 1'a de naissance ?
LE PERE : Oui. Je crois. Je crois qu'il y a des gens, comme moi, qui ont une sensibilité plus grandeà la misère des autres.
VALERIE: Ça veut dire que toi, tu souffres de la misère des autres ?
LE PERE: Attention, Valérie ! Pas tout le temps-tout le temps ! Parce que tu sais, ta mère et moi, on est très occupés... Mais oui, ça nous arrive d'en souffrir.
VALERIE: Attends, papa. Y a quelque chose que j' comprends pas... (Toujours de la même petite voix naïve.) Toujours tu dis que si je veux réussir dans cette société, faut pas que je sois sensible. Ça veut dire que j'ai intérêt à être de droite ?
EE PÈRE: Euh... Enfin... De droite dans ton travail, et de gauche tout le reste du temps ! Pour te battre, et changer les choses !
VALÉRIE (illuminée): Ah, d'accord ! Je comprends. C'est une question d'horaires !... Mais toi, papa, tu te bats pour changer les choses ?
LE PÈRE: Pas tout le temps-tout le temps, quand même, Valérie ! Parce qu'avec ta mère, on est très pris. Mais ça nous arrive, oui.
VALERIE: Mais qu'est-ce que tu fais, pour te battre ?
LE PÈRE: Eh bien... ON S'INFORME ! Tu as remarqué qu'on regarde beaucoup la télé? Donc, on est très informés ! Tu vois ?
VALERIE (dubitative): Non mais concrètement, comment tu te bats ?
LE PERE (pris de panique, il bredouille): Concrètement, concrètement... Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?... Y a mille manières... Je... Je... (Soudain, triomphant:) Tiens ! Par exemple: en votant pour des hommes de gauche!
VALERIE: Mais toujours tu dis que tous les hommes politiques de droite ou de gauche, c'est tous des pourris !
LE PÈRE: Oui, c'est vrai, je dis ça... Mais parmi eux, y en a quand même qui ont une sensibilité de gauche !
VALERIE: Ah oui! C'est des pourris sensibles ?
LE PÈRE (excédé): Voilà, si tu veux !
VALÉRIE: Et à droite, c'est des pourris qui ont même pas de sensibilité ?
LE PÈRE: Attends ! Là, j'ai peur de dire des conneries !
Écoute-moi, Valérie. En politique, les formules les plus simples sont les meilleures. Il faut donc que tu saches que, quand on est de gauche, il est toujours préférable d'envoyer au gouvernement des gens de gauche ! Voilà. Ça, c'est sûr.
VALERIE: Oui, mais alors y a autre chose que j' comprends pas... Toujours tu dis que tous les hommes de gauche qui sont au gouvernement, ils font une politique de droite...
LE PÈRE: Oui... MAIS ILS EN SOUFFRENT ! 
Il prend sa tête entre ses mains.
Valérie. Valérie, sois gentille, papa a mal à la tête. Alors descends à la pharmacie m'acheter de l'aspirine, et on reprendra cette conversation plus tard. D'accord, Valérie ?
Il la regarde s'éloigner en poussant un long soupir, puis va vers sa femme. Nicole ! Tu sais, chérie, que Valérie est en crise ! Avec le type de questions qu'elle m'a posées, elle aurait ses petits problèmes de femme d'ici peu que ça m'étonnerait pas !
 voir aussi Le taré nucléaire 

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