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vendredi 1 février 2013

Ronde (1) : empaysements


Ce vendredi, pour les   Vases communicants de février (merci à ScriptopolisTiers Livre et à Brigitte Célérier) une ronde, un échange à sept plumes sur le thème des départs avec  JW.ChanDangrek, QuotiriensDominique Autrou,et Loin de la route sûre que je suis heureuse d'accueillir ici tandis que je suis reçue par Un promeneur.



Empaysements

De la pierre chocolat, douce au toucher et au ciseau du sculpteur, on ne peut voir que quelques veines sur les flancs du causse de Montbel et des pierres tombales dans le cimetière du village. L. s'imprègne de son odeur sucrée, une odeur d'enfance comme sortie du four au soleil de l'été, oublieuse des temps glacés de l'hiver où ne flotte plus dans l'air que l'émanation de l'eau sur les herbes gelées et les craquements de la couche de neige. Elle ignorait cette curiosité géologique (une couche de granite sur un substrat de calcaire, en stratigraphie inversée), ces lits percés de gouffres où tombent parfois les brebis pour descendre loin là-bas portées par les flots souterrains vers la fontaine de Nîmes, histoires sorties de la mythologie des lieux et dont on ne dit rien aux petits. La route qui conduisait à la petite ville de son premier exil, elle ne s'en souvient sans doute que pour l'avoir arpentée de nombreuses fois, par la suite, pour rejoindre le pays où l'on ne revient jamais, celui de la première enfance.

Ensuite, ce fut un nouveau départ, du Languedoc septentrional vers les plaines viticoles. Comme un rite, à chaque vacance, la voiture prenait le chemin du retour, bien que ce fût un départ, du retour vers la montagne. Quissac, Anduze et l'eau violente du Gardon qui couvre de boue les façades et plisse la falaise, Saint-Jean-du Gard et ses sacristains feuilletés d'amande et de sucre glace, les planches à savon pour la luge d'été au Pompidou, la ferme sombre sur le causse au-dessus du village, dans l'austérité des hivers et des paysans protestants. Là-haut, sur le plateau, le vent soufflait parfois en congères : passerons-nous le col ? Puis la route descendait en virages innombrables vers Florac, riante sous le soleil d'été, vers les bories des cantonniers, vers Saint-Etienne-du-Valdonnez et ses sources pétrifiantes et la rivière qui parfois se volatilise en gouffres et résurgences, et enfin la ville de son enfance et ses ruelles sombres. Ainsi s'ancra l'exil, de départs en retours, un sens et puis l'autre, et toujours comme un arrachement. Pourtant, le chemin du retour n'était dans sa mémoire, qu'une bouffée d'air chaud après l'ombre noire du Mont Mimat sur la petite Ville - l'hiver toujours gommé - et surtout les odeurs des pinèdes lorsque la corniche des Cévennes, violette, s'achève au col Saint Pierre, après le franchissement du col de l'Exil et avant de que la route ne plonge vers la plaine, la garrigue et les alignements de ceps.

Sur cette route, elle posait des repères, adoptait des arbres, qui lui faisaient une autre famille, imaginaire, dans le silence du voyage. Un bouleau, surtout un bouleau, fragile sur un coin de parapet, tout près des empreintes de dinosaures - il y avait aussi dans le rituel du voyage ce bouquet de pins au passage du col. Un bouleau au tronc grêle, brillant de blancheurs striées, incliné vers le vide creusé dans la montagne par la vallée du Tarn. Un jour, un arrêt près de lui, on sortit l'appareil photo et elle conserva longtemps l'image de l'arbre dans sa chambre d'enfant. L'arbre a disparu (elle reconnaît le virage), l'image aussi, le mur de pierre est toujours là, par fragments dans l'étrange solitude de celui qui seul se souvient.

Quadriller le paysage des chemins connus, arpenter la France dans un sens et dans l'autre pour reconnaître chaque brin d'herbe, et surtout l'odeur de la terre faite d'acidité douce sur l'argile, de sang sur le granite, de pollen de fougère sur la silice, et celle du schiste chaud. Faire corps, faire souche.

6 commentaires:

  1. regards, sensations, comme un enfant
    toute notre vie, espérons retrouver.

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  2. Superbe octoptyque au gré des climats.

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  3. Quotiriens ne parvient pas à poster un commentaire. Il me prie donc d'ajouter: "Giono du mont Lozère, quand la phrase exhale, à chaque inflexion, un peu de terre noire (que je préfère au déprécié terroir). A chacun son spectre (spectrum) dans la photo souvenir, ici l'ombre d'un bouleau fantôme omniprésent. A re savourer sans restriction."

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  4. ce que j'aime et retrouve, un regard bien sûr, discret comme toujours, surtout pas d'intrusion, de la retenue, et une précision à nommer, faire exister ce qui pourrait s'enfuir

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  5. de la délicatesse du passé, du bien nommé imparfait. Tels nous sommes, marionnettes du souvenir. Tous pareils au Col de l'Exil, fraternellement.

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