La ronde est un échange périodique de blog à blog sous forme de boucle,
mis en ligne le 15 du mois. Le premier écrit chez le deuxième, qui écrit
chez le troisième et ainsi de suite.
Sur le thème de «frémissements» j'ai le plaisir aujourd'hui d'accueillir quotiriens, tandis que je me décale vers La distance au personnage.
Les participants de cette ronde évoluent aujourd'hui dans le sens suivant : Dom A, wanagramme, Gilbert Pinna, Dominique B, loin de la route sûre, mesesquisses, un promeneur, cecile-r, quotiriens et Même si
Le printemps à fleur de peau
Le printemps à fleur de peau
On peut voir sur certains moules de parties de corps réalisés par le sculpteur Geoffroy-
Dechaume un hérissement inattendu de la peau au contact du plâtre liquide (initialement froid
qui se réchauffe au cours de la réaction chimique de solidification). La réaction du derme se
dévoile en un piqueté régulier, l’empreinte figée d’une réaction spontanée et irrépressible qui
rend ce moulage si naturel, si touchant de réalité. Le frisson traduit-il l’angoisse du modèle
vivant encapsulé dans un suaire de plâtre – le frémissement est horripilation- ou bien érection
pilaire de plaisir du corps qui enfin se laisse dominer, s’abandonne?
Cette réaction impromptue n’aurait jamais pu être immortalisée par le ciseau dans la pierre.
Le grain de la peau, le moindre repli, chaque imperfection ou ligne parfaite jusqu’aux poils
pubiens en relief sont incrustés dans le plâtre qui donne de ces moulages un instantané de
corps figé dans sa fragilité, sa vulnérabilité, la vérité réelle à fleur de chair. S’en dégage,
après une première impression favorable probablement liée à la reconnaissance du tégument
familier qui couvre l’ersatz de sculpture, un sentiment plus mitigé. Peut être cette empreinte
de vie qui rend si apparent le modèle lui enlève-t-elle toute chance d’immortalité et nous
renvoit-elle à notre triste réalité (morituri) quand l’art nous la fait oublier un moment.
Comment aller au plus près du réel, à l’interface du modèle y chercher le frémissement? Avec
Yves Klein pour qui le corps de femme devient instrument de peinture, sa peau le pinceau.
Ici, le modèle n’est plus sujet du regard du peintre, mais outil dynamique volontaire vers la
toile. Le tableau est aussi une empreinte, le souvenir taché de l’oeuvre qui est véritablement
la création, ou plutôt son évènement, sa mise en scène avec orchestre et spectateurs, filmée,
diffusée. Le frémissement du modèle exhibé, sa chair de poule, le contact sensuel de
l’acrylique sur la peau nue (l’interface) sont absentes de la toile. Reste le souvenir de corps
désirables souillés du bleu qui porte le nom de l’artiste.
On retrouve une interprétation du frémissement, de la chair de poule dans les satoris d’Henri
Foucault. Photogrammes, photographies sans appareil photographique, ils représentent les
empreintes de corps directement posés sur papier photographique. L’étrange résultat vient
de ce que l’aura diffuse vers l’intérieur de la silhouette, comme une irradiation inversée,
une révélation d’une intime entropie. L’artiste complète les satoris par une multiperforation
régulière de la silhouette à l’aide d’aiguilles, lui donnant une texture dermique en même
temps qu’une armure scintillante.
Enfin la chair de poule, la vraie, la peau hérissée sous le plumage arraché est à l’opposé du
frémissement quand il ne reste qu’une dépouille, un cadavre livré en pâture au regard. Là
encore le frisson a disparu depuis longtemps, comme sur les moulages des morts. L’interface
ne réagit plus malgré le froid, le vivant a fui.
Le frisson est involontaire, une imprévisible réaction épidermique à un changement thermique
Le frisson n’est pas représentable, il peut être suggéré mais surtout il doit être ressenti.
J’ouvre la porte. Nous avons eu un long hiver. Dehors, la neige n’est plus que tas galeux sur
les trottoirs mouillés qui rejettent les détritus de l’automne précédent. Au creux des branches
nues, les maigres écureuils au poil ébouriffé ouvrent un œil. La silhouette des passantes
s’allège enfin. Le nez au vent, passe dans l’air frais un relent sibyllin qui en dit long. Il est
là, le frémissement, celui de la nature frissonnante dont l’écho remonte le long de la colonne
vertébrale. La terre endolorie à encore des fourmis, qui sort juste de l’étau de glace.
Je sens sur mes épaules une armée minuscule au garde à vous, en vie, puis cette envie de
rugir, de courir, de rire.
Voici une réflexion où le frémissement, mis à nu, analysé cru, sans romantisme peut être ,aussi bien, la première sensation que la dernière..Morituri
RépondreSupprimerLa peau, éternel défi. Lucian Freud s'en sort pas mal (et quotiriens aussi ;)
RépondreSupprimer"le frisson n'est pas représentable" mais votre texte le dit si bien.
RépondreSupprimerLes phrases en frémissent elles-mêmes.
RépondreSupprimerencore une fois le grand talent, le bel oeil de peintre que vous avez Quotiriens, et cet art de faire rebondir les époques et les styles, et d'apercevoir les (belles) passantes
RépondreSupprimerjacques D
Comment toucher du doigt toute sensation ? Ce grand désir humain de faire écho pour que les frissons de vie durent plus longtemps...
RépondreSupprimerun travail inspiré, surprenant, inspirant, passionnant
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