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vendredi 29 janvier 2010

"Il me vient parfois des fureurs d'ayatollah..."

Bousculade. Un petit groupe. Il est malmené. Une douzaine d'années.  
- Elle est moche ta pochette.
- Mais c'est une Vuitton !
- Pfff ! c'est qu'une copie.
Une fillette vient de cracher son mépris

(...) Les mauvaises notes que je trace au stylo rouge, les appréciations négatives, si euphémiques que je m’applique à les rendre, dans les bulletins trimestriels, ne sanctionnent pas seulement l’insuffisance des connaissances acquises. Elles vont laisser une trace indélébile, entamer l’estime que tout homme est en droit de s’accorder à lui-même. Il m’est arrivé d’entendre des collègues évoquer la note qu’ils avaient obtenue, par exemple, à tel certificat de licence sur un ton qui indiquait le prix, le poids qu’ils continuaient de lui accorder vingt-cinq ans après. Si des gens qui font profession d’enseigner ne sont pas en mesure de relativiser les verdicts scolaires, comment ceux dont la vie se passera loin de l’école guériraient-ils de la blessure symbolique profonde qu’elle leur a infligée d’emblée. Je serais tenté de regarder la folie galopante du « look » qui s’est emparée des jeunes et des moins jeunes comme une compensation au stigmate laissé par la genèse scolaire généralisée des identités. Un élève sacrifiera d’autant plus aux excentricités vestimentaires et cosmétiques, à l’apparence, à l’extérieur, qu’il a été intérieurement disloqué, frappé d’une indignité à la fois publique et sentie dans la lutte, perdue d’avance, à laquelle il s’est trouvé inévitablement mêlé. Et sur cette misère d’une nouvelle sorte se sont abattus les charognards de la presse people, de la TV poubelle, les marchands de « produits » qui proposent à une jeunesse privée des ressources vitales de la culture savante, un désastreux simulacre d’identité. Il me vient parfois des fureurs d’ayatollah, une envie d’allumer des bûchers où jeter, en vrac, tennis Machin et pantalons biplaces à taille surbaissée, portables et MP3, piercings, baladeurs, gels coiffants et autres affiquets.

2 commentaires:

  1. Ah fit Kaye… Affiquets mais cépavrai jamais entendu ce "sobriquet"… Espèce d'affiquet, remets ton béret !

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  2. Pierre Bergounioux, une des voix que je reconnais immédiatement à la radio, beauté et précision d'une langue, un goût pour le mot juste, une modestie, ces textes, parfois plus difficile, mais une obstination, un même sillon livre après livre, très beau

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