La croiser, bien soixante-dix ans, petite et menue, droite jusqu’à la raideur, austère dans un tailleur gris, visage exténué, sur la Concha on va et vient, du soleil, il fait bon, elle pousse un fauteuil roulant, dedans sa fille tangue, tête renversée d’un côté de l’autre, autour le halo d’une poignante solitude
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lundi 2 décembre 2024
dimanche 1 décembre 2024
Lu et vu (126)
Lu
Tenir sa langue de Polina Panassenko
« À Saint-Étienne, il y a un immeuble qui s'appelle la Muraille de Chine. Un immeuble immense. Le plus grand d'Europe. Il a été construit pour être « le symbole d'un avenir meilleur en train de se réaliser ». On dit que la Muraille de Chine est dans un quartier mal famé. Mal famé ça veut dire famé en mal. Il y a longtemps, un président est venu lui rendre visite incognito. Tu m'étonnes. Moi aussi j'adore passer devant. Quand je prends le 18 avec ma mère, il s'arrête juste en face. S'il est en avance c'est là qu'il attend quelques minutes pour se remettre à l'heure. Ça laisse le temps de bien regarder. La Muraille de Chine c'est un immeuble sublime. On dirait un immeuble russe. Un immeuble immigré » p 93
« J'ai rendez-vous au cabinet de mon avocate. Je vais régler ce que je lui dois et demander des détails sur la procédure à venir. En descendant dans le métro je tape « Jallal Hami » dans la barre Google de mon téléphone, onglet Actualités. Il est mort il y a huit ans mais le procès de son affaire s'ouvre à Rennes aujourd'hui. Dans les journaux ils appellent ça « le procès Saint-Cyr ».
À Sciences Po, le premier jour de cours, on s'est retrouvés dans le même groupe d'« introduction à la sociologie ». Je ne connaissais personne. (…)
Tout le monde devra faire un exposé en binôme. On choisit le sujet dans la liste qu'elle nous lit. Quand un sujer nous intéresse, on lève la main. À « Sociologie des prénoms » je lève la mienne. Elle dit : Vous vous appelez? Pauline. Très bien. Et vous ? Je me retourne, il y a un gars au fond de la salle qui sourit. Jallal, il dit. OK. Alors Pauline et Jallal pour la sociologie des prénoms.
On a échangé nos numéros. On s'est donné rendez-vous sur les chaises orange de la cafét'. On a pris des paninis Nutella, on a fait des blagues sur les prénoms des séries américaines et les gens qui appellent des nouveau-nés Didier. À un moment, Jallal a dit : C'est marrant, sur la liste t'es inscrite à Polina. Ouais ouais, j'ai dit, mais cest Pauline. On n'en a plus parlé. Je ne lui ai rien demandé sur « Jallal ». C'est drôle de faire un exposé sur la sociologie des prénoms et de ne surtout pas parler des siens. C'est exactement ce qu'on a fait.
Sur Internet j'ai lu qu'il avait fait un master d'affaires internationales, qu'il avait fait un tour du monde, appris le chinois puis qu'il était rentré à Saint-Cyr en 2012. Trois mois plus tard il est mort noyé dans un étang de l'école. Bizutage. À Saint-Cyr on ne dit pas bizutage, on dit bahutage ou transmission des traditions. Peut-être parce qu'on y prépare les recrues de la grande muette.
Je change à République. Dans les couloirs du métro il y a des cadres avec marqué « Cap sur les bonnes affaires ». Dans la 5 je regarde une vidéo où le frère de Jallal dit : Quand tu quittes Alger, où des balles sont tirées dans ton salon, et que tu arrives dans un pays où tu peux aller à l'école, ta dette est incommensurable. Je scrolle. Au fort de Vincennes, le 7 novembre 2012, le chef d'état-major de l'armée de terre s'adresse au cercueil de Jallal en ces termes : Je voudrais tout particulièrement saluer votre sens de l'engagement alors que les études que vous aviez suivies vous auraient certainement permis de choisir un métier plus confortable que celui des armes. Mais vous vouliez, disiez-vous, rendre à la France un peu de ce qu'elle vous avait donné. Votre parcours remarquable ilustre ce que notre beau pays peut offrir de mieux à tous ceux qui, animés par une saine ambition, se donnent les moyens de réusir. Il dit ça devant le cercueil d'un type noyé au milieu de la nuit dans une eau à neuf degrés au son de La Walkyrie pendant une séance de « transmission des traditions ». p 99 à 101
« Je suis la seule de ma famille à avoir perdu l'accent russe. La paroi entre le français et le russe est devenue étanche. Plus rien ne filtre au travers. On m'a dit C'est dingue ça, on n'entend rien du tout, non mais c'est vrai, c'est vrai, pas un père de quelque chose. L'accent 'est quelque chose. Rien du tout c'est ce qu'il m'en reste. Ce sont les oreilles des autres qui actent la rupture, s'étonnent qu'il ne soit plus là. Tu as un français impeccable. Impeccable. Une cuisine bien lavée. Pas de pelures coincées dans le trou de l'évier. Pas de taches sur la nappe. Même pas une miette accrochée à l'éponge. Mais si mon français est impeccable, le français de ma mère, il est quoi? Et celui de mon père ?
L'accent c'est ma langue maternelle. » p 122
« Pour qui a perdu son accent, il n'est pas exclu que son accent lui manque. Ce n'est pas obligé mais ce n'est pas exclu. Peut-être qu'arrivera le jour où mon accent viendra me demander des comptes. Alors ma vieille, on parle comme Jean-Pierre Pernaut ? Il viendra en fin de matinée. En fin de matinée, il ne se passe jamais grand-chose. Soit ce qui devait se passer a déjà eu lieu le matin, soit ça attendra le soir. Et là, on sonne à la porte. Je regarde dans le judas, je dis C'est pour quoi? Ouvre, c'est ton accent. Une petite femme menue au regard pointu, au front large, avec un béret en laine mauve qui lui couvre l'oreille droite et un baise-en-ville dans les mains. J'ouvre. » p 155
Vu
Cinéma
La infiltrada de Arantxa Echevarría
Direct Action de Guillaume Cailleau, Ben Russel (documentaire)
Conférence
Le scientifique dans la société et sa responsabilité par Jacky Cresson dans le cadre de la manifestation paloise Les idées mènent le monde